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Une femme ayant été sauvagement attaquée par trois chiens obtient des dommages-intérêts de 250 000 $ pour l’ensemble de ses pertes non pécuniaires, en plus des indemnités pour ses pertes pécuniaires. Son époux, quant à lui, obtient 75 000 $. Le propriétaire des animaux et la Municipalité de Potton sont condamnés solidairement à verser les indemnités octroyées, cette dernière n’ayant pris aucune mesure pour protéger la population malgré sa connaissance du caractère agressif et dangereux des chiens.

Résumé de décision : Alain c. Barnes, EYB 2024-547009, C.S., 15 mai 2024.
Une femme ayant été sauvagement attaquée par trois chiens obtient des dommages-intérêts de 250 000 $ pour l’ensemble de ses pertes non pécuniaires, en plus des indemnités pour ses pertes pécuniaires.

La victime, une femme âgée de 55 ans, a été sauvagement attaquée par trois chiens issus d’un croisement avec un pitbull alors qu’elle s’adonnait à la course à pied sur le chemin public en face de la maison où réside le propriétaire des animaux. Les blessures que les bêtes lui ont infligées sont si graves que l’on a craint pour sa vie. Elle a subi de profondes et sévères lacérations aux jambes et aux bras avec os et muscles exposés, ses chairs ayant été mâchouillées et déchiquetées à plusieurs endroits. Elle a été hospitalisée pendant près de trois mois. Malgré une douzaine de chirurgies et des traitements réguliers durant plus d’un an, elle demeure avec des séquelles importantes et permanentes au niveau physique, neurologique, psychologique, musculaire et esthétique. Auparavant une femme active et en santé travaillant à temps plein et pratiquant des activités diversifiées, elle est aujourd’hui limitée dans ses mouvements et doit apprendre à vivre avec de constantes douleurs chroniques. La victime et son époux poursuivent le propriétaire des chiens, la Municipalité et la propriétaire de la maison.

Le propriétaire des chiens, qui n’a pas répondu à l’assignation, a plaidé coupable à une accusation d’avoir causé des lésions corporelles par négligence criminelle, reconnaissant par le fait même que ses trois chiens ont causé de graves blessures à la victime. Il est donc responsable des dommages.

La Municipalité avait connaissance de la dangerosité des chiens et n’a pris aucune mesure pour assurer la sécurité du public. Elle peut difficilement prétendre le contraire, puisque la preuve révèle qu’au moins trois incidents survenus antérieurement lui ont été rapportés. Les deux premiers impliquent la conjointe du directeur des travaux publics et des services de sécurité publique. Celle-ci a, à deux reprises, été victime des comportements agressifs des chiens. Elle en a fait part à son conjoint, lequel en a discuté avec la personne responsable de l’application du Règlement 2005-332 concernant les animaux. Le troisième incident implique le conseiller municipal. Quelques mois avant d’être élu, il s’était fait mordre par l’un des chiens. Un quatrième incident mérite d’être mentionné, lors duquel une cycliste s’est présentée à l’hôtel de ville en rapportant s’être fait mordre par un chien sur le chemin où la victime a été attaquée. Bien que le propriétaire de ce chien n’ait jamais été formellement identifié, le fait que tous les employés se soient mis à dire qu’une dame avait été attaquée par les chiens du défendeur démontre à quel point leur dangerosité était notoire, ou du moins connue du personnel municipal. Il est inconcevable que la Municipalité, à qui le gouvernement a délégué le pouvoir décisionnel d’assurer la sécurité publique et qui s’est prévalue de ce pouvoir en mettant en place un encadrement des chiens, ait décidé d’ignorer de tels incidents suggérant la présence de chiens au caractère agressif et dangereux sur son territoire. Elle devait intervenir en procédant, minimalement, à leur évaluation comportementale. De plus, les chiens de race pitbull ont été interdits sur le territoire de la Municipalité pendant de nombreuses années. Pourtant parfaitement au courant du type de chiens que possédait le défendeur, elle n’est jamais intervenue. Sa négligence à l’égard du respect de sa réglementation est fautive. Son inaction ne peut constituer une décision politique prise dans l’exercice de bonne foi d’un pouvoir discrétionnaire. L’on dénote même une culture de laisser-aller totale à l’égard de la sécurité publique en lien avec la présence de chiens. Par ailleurs, outre les incidents précédemment décrits, la preuve regorge d’histoires où des citoyens ont été attaqués par les chiens. Il est donc évident qu’une simple intervention de la Municipalité aurait permis de constater que seules leur euthanasie ou des mesures sévères de contrôle pouvaient assurer la sécurité des personnes circulant dans le secteur. N’eût été le défaut de la Municipalité de prendre les mesures appropriées pour enrayer la menace, l’attaque sauvage vécue par la victime ne se serait pas produite.

La réclamation à l’encontre de la propriétaire de la maison est rejetée. Elle n’a jamais été avisée d’un quelconque comportement agressif ou dangereux de la part des chiens. Ceux-ci se comportaient de manière calme et paisible en présence de personnes familières et connues.

Près de cinq ans après ce terrible incident, la victime est toujours aux prises avec de la sensibilité et des douleurs aux quatre membres et des faiblesses significatives aux muscles. Elle est limitée dans ses positions en raison de la douleur. Son DAP est fixé à 26 %. Elle éprouve des difficultés de concentration et d’attention et des maux de tête fréquents. Elle vit des épisodes de tristesse, de découragement, d’inquiétude et d’incertitude. Sa vie au complet a dû être adaptée et elle doit apprendre à vivre avec un corps partiellement déformé et des images de l'attaque. La victime a défié tous les pronostics. C’est par ses efforts que l’on pourrait qualifier de surhumains qu’elle est parvenue à réintégrer son emploi à raison d’un horaire qui ne peut dépasser 15 heures par semaine. Pour sa perte de revenus passés, une somme de 111 529,60 $ lui est octroyée. En déduisant le montant qu’elle a reçu de l’IVAC à titre d’indemnités de remplacement de revenus, elle a droit à 44 923,68 $. Pour sa perte de revenus futurs, les circonstances particulières du dossier permettent de retenir qu’elle aurait, en toute probabilité, pris sa retraite à l’âge de 70 ans. Avant l’incident, elle pratiquait régulièrement et intensément de multiples sports. Elle était en pleine possession de ses moyens et n’avait aucun plan de retraite. Il y a lieu de lui accorder la somme de 164 155,36 $. Pour ses pertes non pécuniaires, la somme de 250 000 $ qu’elle réclame lui est accordée. En plus de sa longue réadaptation, ses cicatrices atteignent sa fonctionnalité, en ce qu’elles nécessitent des traitements quotidiens. L’atteinte physique, psychique et cognitive est importante, de même que ses préjudices esthétiques, ses douleurs chroniques, ses souffrances ainsi que les troubles, ennuis et inconvénients. Elle doit apprendre à vivre autrement. Il n’y a rien d’exagéré et de déraisonnable dans sa réclamation.

Les dommages non pécuniaires de son époux sont évalués à 75 000 $. Au-delà de la douleur et de la souffrance psychologique, l’incident lui a occasionné de multiples soucis et inconvénients. L’aide et l'assistance qu’il a apportées à son épouse sont extraordinaires et vont bien au-delà de l’exercice normal du devoir d’un époux de porter secours et assistance à sa conjointe.

Le propriétaire des chiens et la Municipalité ont commis des fautes extracontractuelles distinctes. Ils sont solidairement tenus au paiement des dommages-intérêts, mais pour valoir entre eux seulement, la responsabilité du propriétaire des chiens est établie à 100 %.

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