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Une obstétricienne et un centre hospitalier doivent se partager la responsabilité d’un accouchement difficile au cours duquel un bébé est né avec de graves séquelles neurologiques

Résumé de décision : Laurendeau c. Québec (Centre hospitalier de LaSalle), EYB 2015-251761 (C.S., 5 mai 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

Un centre hospitalier et un médecin de garde se disputent leur part de responsabilité concernant une erreur professionnelle lors d'un accouchement. Le centre hospitalier soutient que la docteure de garde a sous-estimé les facteurs de risque et l'importance des informations transmises par les infirmières, en plus de ne pas prendre en charge la patiente en temps utile. La docteure, quant à elle, soutient que les infirmières l'ont induite en erreur en ne lui fournissant pas tous les renseignements pertinents. Elle ajoute que les gestes posés par les infirmières, à son insu et sans son autorisation, ont aggravé la condition de la patiente et constituent un nouvel acte fautif rompant le lien causal entre sa faute initiale et les dommages. Le centre hospitalier soutient que si la docteure s'était déplacée après le deuxième appel reçu, l'infirmière Thibault, qui avait peu d'expérience, n'aurait pas eu à gérer seule l'accouchement et n'aurait donc pas posé les gestes qui lui sont reprochés.

L'infirmière Picard a appelé la docteure, de garde chez elle, à 23 h pour lui mentionner que des décélérations variables du coeur foetal ont été constatées. Considérant la situation stable, la docteure n'a pas jugé bon de se déplacer étant donné que la patiente n'était pas suffisamment dilatée. Quinze minutes plus tard, cette même infirmière a noté cinq décélérations variables plus importantes, mais n'a pas transmis cette information à la docteure. À 0 h 5, l'infirmière Thibault, ayant constaté que les décélérations variables étaient maintenant répétitives, a informé la docteure de la situation, après avoir discuté du contenu de cet appel avec une collègue. La docteure a maintenu sa position quant à la dilatation de la patiente. Moins de dix minutes plus tard, l'infirmière Thibault a observé deux décélérations profondes, mais, malgré cette dégradation de la situation, elle n'a pas téléphoné à la docteure. Elle a plutôt choisi d'augmenter la dose du médicament destiné à accélérer la dilatation du col de l’utérus (le Syntocinon) de la patiente. Vers 0 h 50, elle a, avec l'approbation de la résidente, autorisé la patiente à pousser afin de tenter de faire passer la bande de col. Cette tentative infructueuse a été suivie d'une insuffisance cardiaque foetale. Une césarienne d'urgence a été pratiquée peu de temps après l'arrivée de la docteure. Le bébé est né à 1 h 22 avec d'importantes séquelles neurologiques.

La version de l'infirmière Thibault, quant au contenu de l'appel de 0 h 5, est préférée au souvenir imprécis de la docteure. Considérant que l'infirmière avait écrit au dossier que les décélérations étaient maintenant répétitives, elle n'avait aucune raison de ne pas préciser cette information lors de son appel. De plus, le fait que l'infirmière Thibault a fait cet appel, en raison de son inquiétude, rend son témoignage plus vraisemblable.

Les médecins ont une obligation de moyens. Considérant qu'un accouchement est intrinsèquement imprévisible et met en jeu la santé de la mère et du bébé, le médecin a une obligation de disponibilité envers sa patiente. Il doit voir à ce que l'information pertinente lui soit acheminée. Il doit être capable d'anticiper et de voir à ce qu'une salle d'opération soit prête, avec le personnel requis, au moment opportun. En l'espèce, la docteure aurait dû interroger les infirmières, notamment quant au nombre de décélérations observées, leur profondeur et leur fréquence. Un médecin prudent et diligent, équipé des données objectives transmises par les infirmières Picard et Thibault, n'aurait pas attendu que la patiente soit complètement dilatée avant de se déplacer. Il aurait posé d'autres questions et ces réponses l'auraient inévitablement motivé à se déplacer plus rapidement. En n'étant pas alerte aux informations transmises par les infirmières et en sous-estimant les risques associés à l'évolution du travail de la patiente, la docteure commettait une faute.

La conduite des infirmières doit être évaluée en fonction du comportement d'une infirmière prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. Or, les infirmières n'ont ni la formation ni l'expérience pour se substituer à un médecin. Toutefois, l'omission d'appeler un médecin lorsque la condition d'un patient se détériore constitue une faute. En l'espèce, le défaut d'appeler la docteure, à 23 h 15, constitue une simple erreur de jugement qui n'entraîne pas la responsabilité de l'infirmière Picard. Toutefois, en n'avisant pas la docteure des décélérations variables répétitives, à 0 h 5, l'infirmière Thibault commettait une faute puisque celles-ci révélaient une situation alarmante. L'infirmière ne pouvait présumer qu'elles ne se reproduiraient plus par la suite. Le fait d'augmenter le Syntocinon à 0 h 30, sans demander conseil et sans appeler la docteure, constitue une autre faute puisque l'infirmière savait ou devait savoir que les décélérations sont provoquées par les contractions et que ce médicament augmente justement les contractions. La tentative de faire passer la bande de col est une pratique courante pour provoquer une dilatation complète de la patiente et ne constitue pas une faute professionnelle.

Pour conclure à la rupture du lien de causalité, il faut une disparition complète du lien entre la faute initiale et le dommage subi et il faut que la faute subséquente soit aussi grave, sinon plus, que la première. La faute commise par la docteure en l'espèce a un effet continu dans le temps. En effet, même si la condition du foetus s'est détériorée sous les soins de l'infirmière Thibault, il demeure que cette situation découle d'une planification déficiente de l'accouchement. La commission presque concomitante des fautes, leur lien et leur gravité d'égale importance justifient de conclure qu'il s'agit de fautes entraînant un partage de responsabilité. Un médecin n'a pas à assumer une plus grande part de responsabilité du seul fait de son statut puisqu'il peut se fier aux infirmières pour prodiguer les soins appropriés. Il est à noter que la faute de la docteure n'entraîne pas la responsabilité du centre hospitalier, puisqu'elle n'est pas sa préposée. Considérant que l'infirmière Thibault n'agissait pas sous une surveillance directe et immédiate de la docteure, le centre hospitalier est le seul responsable des fautes commises par elle. La part de responsabilité des défendeurs est fixée à 50 % chacun. Considérant qu'ils ont accepté d'indemniser les demandeurs, les conclusions déclaratoires sont émises sans préciser les montants versés.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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