M. Yanni Kin reproche à Réal McNicoll d’avoir tenu à son égard des propos discriminatoires fondés sur son identité ou son expression de genre, sur son origine nationale et sur sa condition sociale en contravention avec les art. 4 et 10 de la Charte québécoise. Il lui réclame, de même qu’à son ancien employeur, Villa Dubé inc. (Villa), laquelle est la commettante de McNicoll, des dommages-intérêts totalisant 15 000 $.
D’origine française, Kin, aujourd’hui dans la soixantaine, vit au Québec depuis l’âge de 12 ans. Il explique qu’il a vécu des difficultés d’intégration en raison de son accent, mais aussi du fait qu’il est une personne transgenre. Il a quitté l’école à l’adolescence. Il se décrit comme un autodidacte et un écrivain. En 2018, il a décidé de « s’isoler dans le bois » pour vivre dans le calme et écrire. Ne pouvant toutefois vivre de sa seule plume, il a exercé de petits boulots afin d’arrondir ses fins de mois. C’est ainsi que, du 21 septembre au 6 novembre 2018, il a travaillé comme préposé à l’entretien ménager à la résidence pour personnes âgées exploitée par Villa. Lorsqu’il a reçu par la poste ses formulaires fiscaux, en février 2019, il a été choqué de voir que l’enveloppe était adressée à « Madame Kin Yanni » . Croyant au surplus que les relevés fiscaux transmis comportaient des erreurs, il a transmis une lettre à Villa. Il reconnaît que le ton de sa lettre est incisif, mais la juge néanmoins respectueuse. Il a joint à son envoi l’enveloppe qui lui était erronément adressée et les relevés, qu’il avait annotés pour souligner les erreurs. Le 5 mars 2019, il a reçu une lettre de réponse signée par le défendeur McNicoll. À ce moment, il ne le connaissait pas, celui-ci ayant commencé à travailler pour Villa après son départ. L’enveloppe était adressée à « Yanni Kin, frustré » . Quant à la lettre, entièrement dactylographiée en caractères gras sauf pour le nom de Kin ( « MONSIEUR yanni kin » ), elle commence par « Salut le frustré » . Le texte qui suit est une litanie de propos méprisants et injurieux à l’endroit de Kin. Ceux-ci font référence à son genre, à son origine nationale et à son niveau d’intelligence. Kin témoigne qu’il en a été profondément blessé et humilié. Il a exigé des excuses et une réparation financière. Insatisfait des suites données à sa demande, il a porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Celle-ci a conclu que la preuve était suffisante pour soumettre le litige à un tribunal et que la lettre du 5 mars 2019 contenait des propos discriminatoires, mais que le litige ne soulevait pas une question d’intérêt public. Elle a autorisé Kin à exercer lui-même un recours devant le Tribunal.
McNicoll explique qu’il est comptable de formation. Il a pris sa retraite, mais continue d’exercer sa profession à temps partiel en acceptant divers mandats. C’est dans ce contexte que Villa a fait appel à lui le 30 novembre 2018 afin qu’il agisse à titre de directeur général intérimaire, fonction qu’il occupait encore au moment de l’instruction de l’affaire. Il reconnaît que c’est lui qui a préparé et expédié les relevés fiscaux des employés de Villa, en février 2019. Il précise que, à cette date, il ne connaissait pas Kin, car celui-ci ne travaillait plus pour Villa lorsqu’il a commencé son mandat. Il nie avoir agi de manière fautive à son endroit.
Le Tribunal ne comprend pas pourquoi McNicoll a choisi d’inverser le nom de famille et le prénom de Kin en les transcrivant sur l’enveloppe qu’il lui a adressée pour lui transmettre ses relevés fiscaux. McNicoll explique que le nom de Kin ne lui permettait pas de connaître son genre. Il ajoute avoir présumé que le nom de ce dernier, inconnu dans la région, indiquait qu’il n’était pas Canadien, d’autant plus qu’il s’était mépris sur les notions de revenu brut et de revenu net. McNicoll ne commente toutefois pas le fait que, sur le formulaire généré par le système informatique, à deux endroits distincts, le nom « Kin » apparaît sous la rubrique « Nom de famille » et le nom Yanni sous celle du « Prénom ». Le Tribunal ne comprend pas non plus que McNicoll, qui se dit professionnel, choisisse d’attribuer un genre à une personne qu’il ne connaît pas, alors que, ce faisant, il avait 50 % de chance de se tromper puisque ni le nom Kin ni le nom Yanni ne permettent de présumer qu’ils identifient une personne de genre féminin. Il aurait pu se contenter — comme le voudraient la bonne pratique, la considération et le savoir-vivre — de ne pas indiquer le genre de la personne à laquelle il s’adressait ou, encore, d’indiquer les deux genres, par souci de déférence, pour signaler qu’il ne connaissait pas le genre de la personne à laquelle il s’adressait.
Que ce soit volontairement ou non, McNicoll a commis une erreur en adressant son envoi des relevés de Kin comme il l’a fait et, une fois informé de son erreur et du tort qu’elle causait à Kin, il aurait simplement dû s’excuser. Il dit qu’il l’a fait et a soumis une lettre datée du 19 mars 2019. Or, non seulement cette lettre n’est pas signée, mais il est incapable de prouver qu’il l’a envoyée et Kin nie catégoriquement l’avoir reçue. Qui plus est, à sa lecture, le Tribunal croit même que ce n’est pas McNicoll qui l’a rédigée et que celui-ci a choisi de ne pas l’envoyer parce qu’elle ne reflétait pas suffisamment le peu d’importance qu’il accordait à la situation, son refus de s’excuser pour une erreur qu’il n’aurait pas dû commettre à titre de professionnel et le mépris que Kin lui inspirait. En effet, il ressort du témoignage de McNicoll qu’il s’est senti insulté par la lettre transmise par Kin qui soulevait des erreurs dans ses relevés fiscaux alors que, dans les faits, il n’y en avait aucune. Il dit qu’il ne comprend pas pourquoi Kin était aussi offusqué « pour une simple erreur [dans la désignation de son nom] » ni pourquoi ce dernier l’a qualifié de négligent dans sa lettre. Il dit qu’il s’est lui-même senti « agressé » par le fait d’avoir été qualifié ainsi après une aussi longue carrière de services comptables, de surcroît pour une erreur de calcul qui n’en était pas une. Le fait qu’il se soit senti insulté parce que quelqu’un qui ne comprenait pas comment les relevés étaient préparés, voire s’est trompé dans sa lecture de ceux-ci, témoigne de la grosseur de son ego. Ici encore, sa réaction est difficilement justifiable. Il aurait pu répondre à Kin calmement et, encore mieux, lui expliquer de manière courtoise et bienveillante son erreur de calcul. Il pouvait fournir des explications simples, sans parler d’origine nationale, de condition sociale et de genre et sans non plus utiliser des caractères extrêmement petits pour écrire le nom de Kin, en précisant en outre que cela « reflète ce qu’il pense de lui ». Il était au surplus inutile pour lui d’utiliser les adjectifs « frustré », « pauvre d’esprit », « parvenu », « simple d’esprit » et « imbécile dans ton genre ». Sa réponse est d’autant plus grossière qu’il l’a rédigée le jour même où il a reçu la lettre de Kin et qu’il a pris le temps de relire sa réponse le soir avant de la mettre à la poste le lendemain. Sans aucun doute, son but était d’insulter et d’humilier Kin.
Nous concluons donc que, par les propos tenus en lien avec l’identité ou l’expression de genre de Kin, son origine nationale et sa condition sociale, McNicoll a porté atteinte de façon discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité.
Kin réclame un montant de 12 000 $ pour compenser son préjudice moral, ce que les défendeurs estiment être « exagéré ». Le Tribunal accorde un montant de 7 500 $. La preuve établit que Kin est une personne fragilisée lorsqu’il reçoit l’enveloppe contenant ses relevés fiscaux, adressée à « Madame Kin Yanni ». Il a été victime de mauvais traitements physiques et psychologiques de la part de ses parents dans sa jeunesse et de dénigrement en lien avec son identité ou son expression de genre et son origine nationale tout au long de sa vie. Sa sensibilité quant à l’identité ou l’expression de son genre transparaissait clairement de sa lettre du 27 février. McNicoll a systématiquement refusé d’adopter un ton respectueux à son égard. Plutôt que de faire preuve de retenue pour épargner sa sensibilité, il a utilisé toutes les occasions qu’il pouvait, incluant la dernière journée d’audience, pour tenir des propos désobligeants à son endroit ou mettre en doute la sincérité de sa démarche. Or, comme c’est le cas pour l’auteur d’un délit, l’auteur d’un acte discriminatoire au sens de la Charte doit prendre sa victime comme elle est et réparer le dommage qu’il a causé, même s’il est plus considérable que si la victime avait été une personne en pleine possession de ses moyens.
McNicoll est aussi condamné à payer des dommages-intérêts punitifs de 2 500 $. Choisir, comme il l’a fait à plusieurs reprises, à tête reposée, de tenir des propos grossiers en invoquant l’identité ou l’expression de genre, l’origine nationale et la condition sociale de Kin et ne faire montre d’aucun remords pour le stress et l’humiliation qu’il lui a fait subir témoigne du caractère intentionnel de son comportement et de son désir de blesser alors qu’il ne pouvait ignorer la sensibilité de Kin, particulièrement quant à son identité et son expression de genre. Une société ouverte et inclusive ne saurait tolérer de tels comportements.
Villa, à titre de commettante de McNicoll, lequel agissait dans le cadre de son mandat lors des faits litigieux, doit être tenue solidairement responsable avec lui du préjudice moral causé à Kin. En effet, elle a commis une faute en ne prenant pas une distance avec les propos tenus par McNicoll ou en ne le remplaçant pas dans sa gestion de la plainte de Kin, lorsqu’elle a constaté qu’il n’était pas en mesure de le faire ou qu’il refusait de le faire. Par contre, Villa n’ayant pas activement participé à la discrimination dont McNicoll s’est rendu coupable, ce dernier devra assumer 80 % des dommages-intérêts moraux accordés à Kin. N’ayant pas elle-même porté intentionnellement atteinte au droit de Kin, Villa n’aura toutefois pas à lui payer en sus de dommages-intérêts punitifs.