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Le tribunal autorise l’exercice d’une action collective contre les villes de Québec et de Montréal, pour le compte des utilisateurs de leurs systèmes de paiement électronique de droits de stationnement.

Résumé de décision : Bergeron Duchesne c. Ville de Québec, C.S., 26 janvier 2021, EYB 2021-371869
Le tribunal autorise l’exercice d’une action collective contre les villes de Québec et de Montréal, pour le compte des utilisateurs de leurs systèmes de paiement électronique de droits de stationnemen

La demanderesse présente une demande en autorisation d’entreprendre une action collective contre la Ville de Québec (Québec), la Ville de Montréal (Montréal) et Stationnement de Montréal. Sa demande est faite au nom de ceux qui font usage, depuis le 15 juin 2015, de l’un ou l’autre des deux systèmes de paiement électronique des droits de stationnement imposés par les défenderesses. Pour l’essentiel, les espaces de stationnement pour lesquels de tels droits sont exigés sont ceux que l’on retrouve le long de certaines voies publiques de Québec et de Montréal. Les systèmes de paiement électronique en question sont : 1) des bornes de paiement informatisées installées à proximité des espaces de stationnement ; et 2) une application mobile pouvant être utilisée avec un téléphone intelligent ou un ordinateur. À Québec, cette application porte le nom de Copilote et à Montréal, celui de P$ service mobile. La demanderesse décrit son recours comme étant une action en dommages-intérêts basée sur le non-respect, par les défenderesses, de leurs obligations contractuelles, sur leurs fausses représentations et sur l’abus.

Les motifs de contestation de la demande sont nombreux et ne sont pas en tous points identiques, puisque la situation à Québec est légèrement différente de celle de Montréal en ce que l’application Copilote, contrairement à l’application P$ service mobile, permet à l’usager d’ajouter du temps (de stationnement) sans annuler celui qui n’est pas encore expiré, comme le permettaient les anciens parcomètres mécaniques.

Les défenderesses plaident tout d’abord que la demande est irrecevable parce qu’il y a chose jugée. Elles soumettent à cet égard le jugement rendu le 17 juillet 2007 par la juge Courteau dans l’affaire Pierard c. Montréal (Ville de). Ce moyen n’est pas retenu. Trois conditions doivent être réunies pour donner naissance à la présomption de la chose jugée. Il doit y avoir identités de parties, d’objet et de cause. En l’instance, même s’il y a changement de représentant et que les groupes proposés dans les deux affaires diffèrent dans leur dimension temporelle (les périodes visées étant nécessairement différentes), il y a identité de parties. Il y a aussi identité d’objet. Par contre, il n’y a pas d’identité de cause d’action. En effet, à la différence de M. Pierard, la demanderesse ne veut pas faire annuler la réglementation applicable à Montréal et Québec en matière de tarification des espaces de stationnement. Ce qu’elle plaide, c’est que cette réglementation ne permet pas aux défenderesses de percevoir en double un tarif pour une même période de temps. Ce qu’elle recherche est d’ailleurs le remboursement de ce qui a été payé en double, et non de la totalité du droit payé. Même si la juge Courteau s’est brièvement exprimée dans l’affaire Pierard sur la suffisance des renseignements fournis aux usagers des bornes de paiement et sur l’application du Code civil du Québec (C.c.Q.) et de la Loi sur la protection du consommateur (LPC), ses commentaires n’ont valeur que d’obiter dicta qui ne bénéficient pas de l’autorité de la chose jugée. Ainsi, elle n’a pas rendu jugement sur la validité d’un syllogisme juridique identique ou même semblable à celui proposé ici par la demanderesse.

Le motif basé sur la doctrine de l’abus de procédure est mal fondé également. Comme on vient de le dire, la Cour, dans l’affaire Pierard, ne s’est pas prononcée sur la suffisance du syllogisme juridique que la demanderesse met de l’avant dans le présent dossier, sauf en obiter. En conséquence, le tribunal ne peut conclure que la demande d’autorisation dont il est aujourd’hui saisi est abusive sur quelque aspect que ce soit. Cette demande n’est pas susceptible de discréditer l’administration de la justice et ne porte pas atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice.

Les défenderesses plaident ensuite que les conditions d’autorisation d’une action collective ne sont pas satisfaites. Ici encore, elles ont tort. Rappelons que, au stade de l’autorisation, le rôle du tribunal est simplement de trancher une question purement procédurale. Il n’a pas à décider du fond des arguments des parties. En somme, il s’agit d’un rôle de filtrage. Or, les allégations de la demande et la preuve telle que constituée permettent de conclure que chacune des quatre conditions de l’art. 575 C.p.c. est ici remplie.

Le groupe proposé vise les usagers qui : a) n’ont pu cumuler le temps initialement payé lors d’un paiement subséquent (l’ajout d’argent alors qu’il reste des minutes remet automatiquement le compteur de minutes à zéro); ou b) n’ont pu bénéficier du temps résiduel payé par un automobiliste précédent. La demanderesse allègue que rien n’autorise Québec et Montréal à obtenir un tel double paiement ou, sinon, que le contrat qui les lie à chaque usager est abusif. Elle reproche aussi aux défenderesses de ne pas s’acquitter adéquatement de leur devoir d’information. À Québec, elle reproche de plus son omission d’informer les usagers de ses bornes de paiement de l’existence de l’application Copilote, qui permet d’ajouter du temps au temps résiduel. Elle réclame le remboursement des sommes payées en double que ce soit en raison du temps non écoulé payé par un usager précédent ou encore, de l’impossibilité de cumuler du temps. Elle réclame aussi des dommages punitifs en application de la LPC. Après analyse, et contrairement à ce que plaident les défenderesses, le tribunal ne peut pas conclure que les trois causes d’action sur lesquelles la demanderesse fonde son recours sont frivoles. Elles se défendent. C’est au stade du fond que le tribunal devra déterminer si elles sont bien fondées. L’immunité en faveur de l’État invoquée par les deux villes et la prescription de l’action ou d’une partie de celle-ci sont des moyens de défense qui devront aussi être analysés au stade de l’audition au fond de l’action. Il en est de même de l’argument de Montréal fondé sur l’absence de lien de droit entre elle et les membres putatifs. Seule une preuve complète permettra de comprendre et de qualifier juridiquement le rôle précis de Stationnement de Montréal ainsi que les liens contractuels et d’affaires qui l’unissent à Montréal. À ce stade-ci, on ne peut conclure à l’absence d’un lien de droit comme Montréal l’invite à le faire.

Le tribunal conclut donc que la condition prévue au par. 575  (2) C.p.c. (les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées) est satisfaite.

La condition prévue par le par. 575 (1) est aussi satisfaite : la demande soulève au moins trois questions d’importance qui sont communes à tous les membres et qui sont susceptibles de faire progresser le débat de façon non négligeable.

La condition du par. 575 (3) est remplie également. Sans le véhicule procédural de l’action collective, il est improbable que l’un ou l’autre des membres introduise une demande en justice pour obtenir le remboursement de sommes prétendument payées en trop. La jonction d’instance n’est donc pas une avenue à considérer. L’application des règles sur le mandat d’ester en justice ne permettrait pas non plus à ceux qui s’estiment lésés de faire valoir leurs droits. Les défenderesses n’ont pas fait état de registres d’utilisateurs des bornes de paiement ou des applications mobiles. De toute façon, le très grand nombre d’utilisateurs rendrait aussi quasi impossible l’utilisation des règles du mandat.

Finalement, aucune des défenderesses n’a réussi à mettre en doute la capacité de la demanderesse à représenter les membres de façon adéquate. La condition prévue au par. 575 (4) est donc remplie elle aussi.

La demande d’autorisation est conséquemment accueillie. Par contre, le tribunal modifiera la définition du groupe pour reconnaître le fait que l’application Copilote, utilisée à Québec, permet le cumul du temps. Par ailleurs, le délai d’exclusion de 30 jours proposé par la demanderesse est trop court ; il sera prolongé à 60 jours.

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