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Une entreprise de construction est déclarée coupable de négligence criminelle causant la mort. Des préoccupations financières et une attitude de détachement et d’indifférence face aux entretiens et réparations ont balayé toute préoccupation de sécurité, et ce, bien au-delà de la simple négligence

R. c. CFG Construction inc., EYB 2019-308396 (C.Q., 14 février 2019)
Une entreprise de construction est déclarée coupable de négligence criminelle causant la mort

CFG Construction inc. est accusée d’avoir causé la mort d’un travailleur par négligence criminelle. L’accident mortel s’est produit en septembre 2012 sur le chantier d’un parc éolien. Personne n’en a été témoin. Le salarié a été trouvé gisant inanimé à côté du poids lourd qu’il conduisait pour le compte de l’accusée, qui en est la propriétaire. Le camion, un porte-conteneur automatique douze roues de marque Volvo de l’année 1997, se trouvait dans le fossé situé au bas d’un chemin forestier bidirectionnel descendant et il était endommagé. L’état mécanique du camion (son système de freinage, essentiellement) est au coeur de l’accusation.

Les défectuosités mécaniques constatées après l’accident, mais préexistantes à celui-ci, résultent clairement d’une omission d’assurer un entretien convenable du camion. L’accusée avait le devoir légal, comme tout propriétaire de véhicules lourds circulant sur la voie publique, de s’assurer que le camion pouvait être utilisé sans risque de mettre en péril la sécurité d’autrui. Or, la preuve établit une omission de l’accusée à ce chapitre. La preuve établit aussi bien plus qu’une simple omission ponctuelle dans l’entretien du camion, notamment de ses freins, et dans la gestion du garage en général ; elle démontre une insouciance déréglée ou téméraire pour la vie ou la sécurité d’autrui de la part du mécanicien responsable. En effet, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que lui n’aurait jamais permis que le camion circule sur la route et encore moins qu’il soit chargé au maximum. Son état mécanique lamentable entraînait un risque déréglé et téméraire pour la sécurité de son conducteur ou de toute personne croisant son chemin. Par ailleurs, l’ensemble de la preuve convainc que la conduite de l’accusée a contribué de façon appréciable et importante à la mort du camionneur. La poursuite a donc fait la preuve hors de tout doute raisonnable de l’actus reus de l’infraction, c’est-à-dire d’un comportement (ici une omission de faire une chose qu’il est de son devoir d’accomplir) qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie d’autrui ou la sécurité, qui a causé la mort d’un être humain.

La mens rea a aussi été démontrée hors de tout doute raisonnable. Ici, la faute tient à l’omission d’envisager ou d’éviter un risque qu’une personne raisonnable aurait envisagé ou évité dans les circonstances. Souvent confondue avec l’actus reus de l’infraction, la faute en matière de négligence criminelle « provient d’un relâchement de la volonté, par l’effet duquel la raison manque de la sollicitude qu’elle peut et doit avoir ». La preuve établit que le salarié a régulièrement avisé les cadres supérieurs de l’accusée des problèmes rencontrés avec le système de freinage automatique de son camion, à tel point qu’il a été qualifié de « chialeux ». Ses plaintes, à l’évidence, n’ont reçu qu’une attention très limitée. Ce constat est troublant quand on pense que les freins constituent un organe de sécurité indispensable pour un camion lourd. Cela témoigne d’un désintéressement important de la part de l’accusée face aux réalités quotidiennes, pourtant clairement exprimées, du conducteur d’un camion lourd vétuste. Nous sommes donc loin ici de l’inattention momentanée ou ponctuelle pouvant engager la responsabilité civile ; nous sommes clairement en présence d’un écart marqué et important par rapport à la norme de prudence que respecterait une personne raisonnablement prudente, placée dans les mêmes circonstances. L’accusée a eu connaissance du risque grave et évident sans pour autant l’écarter ou lui accorder l’attention requise. La conduite des véhicules lourds est une activité strictement règlementée. Ceux qui décident d’oeuvrer dans ce secteur normalisé et qui ne satisfont pas à la norme de diligence requise ne peuvent être considérés comme moralement innocents.

En conclusion, aucun doute raisonnable ne subsiste ici. Un désolant constat doit être émis envers l’accusée : des préoccupations financières, un laxisme présent au garage, voire encouragé, une attitude de détachement et d’indifférence face aux entretiens et réparations des freins du camion ont balayé toute préoccupation de sécurité, et ce, bien au-delà de la simple négligence. Ces omissions ont causé la mort du salarié. L’analyse de l’ensemble de la preuve démontre que la conduite de l’accusée a été, à tous égards, hors norme. Un verdict de culpabilité s’impose donc.

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