Comme chacun le sait, toutes les entreprises qui oeuvrent en ligne cherchent à lier leurs utilisateurs, en prévoyant sur leur site (ou leur service) des modalités d'utilisation comprenant invariablement des clauses d'élection de for. Au fil d'une série de décisions discutables de jurisprudence à l'échelle nord-américaine, on en est généralement venu à comprendre que, juridiquement, ce mécanisme sera souvent une façon acceptable d'imposer des modalités contractuelles, l'usager n'ayant qu'à ne pas se prévaloir du site ou du service en question s'il n'est pas d'accord.
Récemment, à la suite de la tentative d'un usager de Facebook de la poursuivre au Canada, la société a tenté de miser sur ses modalités d'utilisation, afin de faire rejeter l'action. Après tout, ses modalités sont claires : tout recours doit se produire en Californie. Cette fois, par contre, notre plus haut tribunal tranche : pas question d'interdire à un usager de poursuivre dans sa juridiction pour un dossier touchant, par exemple, à sa vie privée.
Pour trancher ainsi, le tribunal prend en compte la nature très unilatérale des ententes en question. Comme on le sait, un fournisseur comme Facebook impose ni plus ni moins que la totalité des dispositions qui font partie de chaque telle « entente ». En telles circonstances, le droit canadien exprime ici un certain inconfort avec la possibilité pour un fournisseur en ligne de parvenir à exclure tout recours qui serait intenté à l'extérieur de sa propre juridiction.
Comme nous ne sommes pas ici dans un contexte commercial à proprement parler, la Cour suprême déclare qu'il s'avère approprié de prendre en compte des considérations d'intérêt public, incluant dans ce cas-ci une disparité totale du pouvoir de négociation respectif des parties. Nos tribunaux peuvent chercher à protéger des droits de nature quasi constitutionnelle, comme ceux que prévoient les lois (et les Chartes) en matière de droits de la personne (c.f. la vie privée), dussent-ils refuser de déclarer exécutoires des clauses de sélection de juridiction comme celle-ci.
La décision vient donc confirmer la validité du recours collectif intenté au Canada en lien avec l'utilisation par Facebook de l'image et du nom de certains usagers, dans le cadre de son programme de nouvelles commanditées.
En attendant, le principe d'ingérence possible de nos tribunaux à l'encontre de clauses visant à limiter où on peut poursuivre les sociétés opérant en ligne a de quoi en faire réfléchir plus d'un. De façon générale, cette décision vient donner un argument justifiant un recours au Canada de toute personne qui voudrait poursuivre une société exploitée en ligne en invoquant des droits comme ceux que nous confère, au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne.