I. Introduction
Dans l’arrêt Marineau c. Bell Canada1, la Cour d’appel énonce qu’un recours collectif proposé ne peut être autorisé s’il s’avère, à la face même de la requête en autorisation, que la cause d’action individuelle du requérant est prescrite.
La décision confirme ainsi qu’il est impossible de démontrer l’existence d’une cause défendable lorsque la réclamation de celui qui désire représenter le groupe est sans fondement.
II. Les faits
Dans cette affaire, la requérante, Mme Anne Marineau, demande l’autorisation d’exercer un recours collectif contre Bell Canada concernant des frais de résiliation exigés par cette dernière.
Plus particulièrement, la requérante se plaint que Bell Canada lui aurait facturé des frais de résiliation et d’annulation lorsqu’elle a décidé de mettre fin à son abonnement. La requérante allègue que ces frais ne lui auraient pas été « divulgués au moment de conclure le contrat »2. De plus, elle affirme que ces frais seraient « abusifs et disproportionnés »3.
Elle demande donc la permission d’intenter un recours collectif pour le compte de toutes les personnes « s’étant vues facturer par Bell Canada depuis le 1er janvier 2009, des frais pour rupture de contrat concernant un service d’accès Internet et/ou de télévision »4.
Entre autres choses, Bell Canada plaide que le recours collectif envisagé ne saurait être autorisé, car la requérante n’a pas déposé sa demande dans les trois ans suivant la rupture de contrat qu’elle allègue. Sa réclamation personnelle étant prescrite, elle est, du fait même, sans aucun fondement. Bref, le syllogisme juridique élaboré par la requérante souffre d’un vice fatal.
Pour sa part, la requérante plaide que la prescription ne s’applique pas puisqu’une requête en autorisation préalable (qui fut éventuellement rejetée) visait les mêmes membres de groupe. Par le truchement de l’article 2908 C.c.Q., qui prévoit que « [l]a requête pour autorisation d’exercer un recours collectif suspend la prescription en faveur de tous les membres du groupe auquel elle profite », son recours contre Bell Canada serait toujours viable.
III. La décision de première instance (l’honorable Christian J. Brossard)
Le juge de première instance se range du côté de Bell Canada.
Dans un premier temps, le juge de première instance conclut que le recours collectif antérieur invoqué par la requérante ne visait pas des clients de Bell Canada ayant résilié un contrat pour service d’accès Internet ou de télévision, mais plutôt ceux ayant résilié un contrat de service de téléphonie filaire. Le groupe putatif n’étant pas le même, ses membres ne peuvent bénéficier de l’effet de la suspension prévue à l’article 2908 C.c.Q.
Dans un second temps, le juge de première instance est d’avis que la prescription du recours personnel de la requérante constitue une fin de non-recevoir. Commentant le caractère sérieux du processus d’autorisation, il énonce ce qui suit :
[27] [B]ien que le juge appelé à décider de la demande d’autorisation doive adopter une approche souple pour la vérification des conditions de l’article 1003, l’autorisation d’un recours collectif ne doit pas être traitée comme une simple formalité, mais plutôt être considérée comme une étape cruciale et déterminante visant à filtrer les demandes futiles ou vexatoires ou autrement insoutenables. (Nos soulignements)
Quant à la question de prescription, le juge de première instance ajoute ceci :
[39] Le juge appelé à disposer de la demande d’autorisation doit déterminer si le recours personnel du représentant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable. Ainsi, son recours individuel doit satisfaire aux conditions de l’article 1003 C.p.c. L’apparence de droit s’analyse donc en premier lieu en fonction du recours du requérant. Par conséquent, le critère n’est pas satisfait si son recours personnel est affecté d’un vice quelconque qui le rend irrecevable à sa face même. En l’occurrence, la question de prescription doit être analysée du point de vue de Mme Marineau.
[41] [À] moins d’une situation claire, tout argument de prescription doit être examiné au fond, après avoir entendu toute la preuve. Il s’agit en quelque sorte d’appliquer la règle de grande prudence, dont un tribunal doit faire preuve avant de conclure au rejet d’un recours en autorisation au motif de l’absence d’apparence sérieuse de droit.
[42] Toutefois, la Cour d’appel enseigne que, lorsque le recours est prescrit à sa face même et est par conséquent voué à l’échec, le rejet immédiat au stade de l’autorisation doit être décrété.
En d’autres mots, le fardeau qui incombe au requérant au stade de l’autorisation n’est pas de prouver ses allégations selon la prépondérance de la preuve, mais de mettre de l’avant des faits palpables qui démontrent l’existence d’une « cause défendable »5. Cependant, si une étude prima facie révèle que le syllogisme juridique du requérant est sans fondement, le tribunal doit en tenir compte dans son exercice de filtrage.
IV. L’arrêt de la Cour d’appel (les honorables Chamberland, Gagnon et Marcotte)
Dans un arrêt laconique, la Cour d’appel donne raison au juge de première instance.
La Cour reconnaît que l’article 2908 C.c.Q. ne peut s’appliquer en l’espèce. Comme la requérante n’était pas incluse dans une description de groupe antérieure, elle ne saurait bénéficier d’une quelconque suspension.
Quant à la prescription, la Cour déclare qu’« [u]ne jurisprudence constante [...] reconnaît au juge d’autorisation le pouvoir de conclure au rejet d’une requête en autorisation pour cause de prescription, lorsque l’action est prescrite à sa face même »6.
V. Commentaire de l’auteur
Dans cette affaire, la Cour d’appel confirme qu’un constat de prescription peut être invoqué afin de rejeter une requête en autorisation, pourvu que ce constat ressorte clairement de la procédure et/ou des éléments de preuve déposés par les parties. Ainsi, la Cour réaffirme le principe voulant que l’analyse d’une requête en autorisation doive se faire à partir du représentant de groupe proposé. Outre sa capacité d’agir adéquatement pour le compte des membres (par. 1003 d) C.p.c.), le représentant proposé doit aussi présenter, en sa propre personne, un syllogisme juridique qui est logique, complet et viable (par. 1003 b) C.p.c.). Or, n’est pas viable une réclamation qui n’existe plus.
1 2014 QCCS 3442; C.A.Q. 500-09-024678-146, le 16 septembre 2015, Chamberland, Gagnon et Marcotte, J.C.A.
2 Par. 2.
3 Ibid.
4 Par. 3.
5 Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600 au par. 65.
6 Par. 6.