Alors que sa garde avait été confiée à son père, la sécurité et le développement de X ont été déclarés compromis en raison de mauvais traitements psychologiques et de risques sérieux d’abus physiques de la part de la conjointe de celui-ci. Un peu moins d’un an plus tard, sa soeur aînée, âgée de sept ans, a été retrouvée au domicile familial dans un état critique et est décédée dans les heures suivantes. Le père est présentement accusé de négligence criminelle ayant causé la mort et sa conjointe, de meurtre au deuxième degré. À la suite de cette tragédie qui a fait les manchettes et indigné toute la province, des mesures de protection immédiate ont été appliquées par la DPJ à l’égard de X qui a provisoirement été confié à une famille d’accueil. La preuve permet de conclure que cet enfant, âgé de cinq ans, a continué de subir des mauvais traitements psychologiques depuis la dernière ordonnance et qu’il a été victime d’abus physiques de la part de son père et de la conjointe de ce dernier. Il est le seul qui peut en attester, mais compte tenu de la situation, de son jeune âge et des événements dont il a été témoin, les parties ont d’un commun accord consenti à le dispenser de témoigner afin de le prémunir contre tout préjudice psychologique qu’un témoignage à la Cour pourrait lui causer, ce qui a pour conséquence de rendre admissible en preuve les déclarations qu’il a faites à des tierces personnes, dont un enregistrement vidéo réalisé par un enquêteur de la Sûreté du Québec et les confessions recueillies par la famille d’accueil. Celles-ci offrent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier en ce qu’elles sont spontanées et cohérentes. Les réactions de l’enfant sont également conséquentes avec ces déclarations. Celui-ci soutient, notamment, avoir subi des douches froides durant lesquelles le jet d’eau était maintenu au niveau de son visage, avoir été attaché sur son lit et s’être fait tirer les cheveux. Le témoignage de son père, qui se veut une dénégation générale, n’a aucune valeur probante et n’apporte aucun éclaircissement sur la situation et, surtout, aucun élément de preuve susceptible de remettre en question les faits relatés par l’enfant. Les sévices corporels subis par ce dernier sont graves et leur infliction, alors qu’il est en bas âge et si vulnérable, a non seulement compromis sa sécurité immédiate, mais aussi son développement. Il convient de prolonger l’ordonnance en protection.
La mère a eu la garde de X uniquement pendant quelques mois après sa naissance et n’a jamais assumé seule sa charge, ayant des capacités parentales limitées à cette époque, lesquelles se sont grandement améliorées depuis, de façon surprenante, à la suite de différentes interventions. Après que X ait été confié à son père, les droits d’accès supervisés de la mère ont été exécutés de façon inconstante dans l’année qui a précédé la première ordonnance en protection et ils ont complètement cessés dans l’année suivante. Si un lien d’attachement était présent auparavant, la décision de la mère de ne pas voir l'enfant pendant un si long laps de temps a anéanti celui-ci. X semble avoir développé un parentage psychologique avec la conjointe du père qu’il identifie comme sa mère. Il affirme d’ailleurs que son nom de famille est composé de celui de son père et de celui de sa conjointe. Sa mère est absente de son discours et de ses préoccupations.
X est aux prises avec les séquelles d’un milieu de vie toxique et d’une histoire de vie terrible à son jeune âge en lien avec ce qu’il a vécu et ce dont il a été témoin concernant les sévices subis par sa soeur. Il présente un retard de développement sur le plan moteur, un rendement intellectuel limité, des angoisses massives et un état de stress post-traumatique. Ses capacités adaptatives ont été sollicitées au maximum et doivent être préservées dans l’avenir immédiat. Son besoin le plus pressant est d’évoluer dans un milieu de vie sain, paisible, sécuritaire, chaleureux, encadrant, capable de décoder ses états internes, d’accueillir ses propos et d’intervenir avec sensibilité et cohésion auprès de lui. Ceci est possible auprès de la famille d’accueil expérimentée à qui il a été confié, laquelle fait preuve d’un dévouement exceptionnel à son égard. Il y a lieu d’ordonner son maintien auprès de cette famille pour une période de six mois.
Considérant le fait que la famille d’accueil actuelle ne peut lui offrir qu’un plan de vie temporaire, que le renouement avec sa mère lui sera bénéfique ainsi que les habiletés développées par celle-ci, une reprise des contacts doit être ordonnée dans le but d’espérer un jour qu’elle puisse reprendre la garde de X. Pour l’instant, la prudence est de mise dans le processus de réinstauration des contacts, lequel devra être amorcé avec délicatesse, de manière progressive et en syntonie avec les réactions, les besoins et les désirs de X. Les contacts devront également être temporairement supervisés, mais uniquement dans le but d’offrir à la mère et l’enfant un accompagnement professionnel et de maximiser les chances de succès de ce processus. Il y a tout lieu de croire qu’à l’expiration de l’ordonnance de six mois, il y aura eu levée de la supervision. Il reviendra alors à la DPJ d’entreprendre de nouvelles procédures afin de faire un nouveau bilan de la situation et de voir à plus long terme. Il en va de l’intérêt supérieur de X. Les principes de primauté de l’autorité parentale et de maintien de l’enfant au sein de sa famille, à plus forte raison à ce stade de la vie de X et compte tenu de son vécu, y sont subordonnés.
Il n’est pas ici question de la culpabilité du père relativement aux graves accusations portées contre lui à la suite du décès de Y, mais considérant les procédures criminelles en cours, la nature des crimes reprochés, le fait que X ait partiellement été témoin des sévices ayant conduit à la tragédie, les abus physiques dont il a lui-même été victime et que le père persiste à nier, les contacts qui pourraient être autorisés entre eux ne sauraient s’inscrire dans le cadre d’une démarche de réparation et d’apaisement de l’enfant. D’ailleurs, depuis son placement, celui-ci n’a jamais tenu de propos positifs au sujet du milieu de vie paternel et la seule émotion manifestée envers son père est un sentiment de colère. Une interdiction de contacts est de mise.
X et Z, le fils de la conjointe du père, sont unis par un lien d’attachement de type fraternel. Il convient de maintenir la relation entre les deux enfants tout en leur offrant un accompagnement professionnel pour une certaine période, alors que Z représente une figure de protection et de référence pour X.
Le père de X est le frère du conjoint de la mère. Ces derniers ont eu trois autres enfants qu’ils élèvent ensemble. La grand-mère paternelle est donc la grand-mère de tous ces enfants. Si elle s’est avérée très active et impliquée dans la situation de Y, il en est tout autrement de X. Elle ne l’a pas vu depuis plusieurs années et ils sont maintenant des étrangers l’un pour l’autre. Aucun contact n’est autorisé pendant l’ordonnance.
Les parents de la conjointe du père décrivent celle-ci comme étant une bonne mère. Ils la soutiennent dans le cadre du processus judiciaire criminel et la visitent régulièrement en détention. S’ils ont entretenu des liens étroits avec X et le considèrent comme leur véritable petit-fils, le maintien des contacts serait, dans les circonstances, pour le moins délicat et incongru. Il est préférable de prioriser la stabilité émotive de l’enfant et la reprise des contacts avec sa mère, vu le caractère exigeant sur le plan affectif d’un tel processus.
Pendant les six mois où l’intervenante de la DPJ a été chargée du dossier de X, elle agissait à temps partiel pour des raisons de santé et tout son temps était réservé aux rencontres d’équipe et au transfert personnalisé de ses dossiers à ses collègues. Elle n’a jamais rencontré X, n’a jamais visité son milieu de vie et n’a jamais tenté d’entrer en contact avec sa mère, alors que l’enfant avait des droits de contact avec celle-ci. Dans le contexte où la sécurité et le développement de X ont été déclarés compromis aux motifs de risque sérieux de subir des abus physiques et parce qu’il était victime de mauvais traitements psychologiques, ces carences d’intervention et le non-respect de la loi sont choquants et soulèvent l’indignation. X et plusieurs autres enfants et d’autres familles ont été laissés sans services par la DPJ qui n’a pris aucune mesure pour pallier les sérieuses restrictions de travail de l’intervenante. Au départ de celle-ci, l’intervenant qui a pris la relève n’a rencontré la famille qu’une seule fois, un mois avant le drame, et n’a jamais eu de tête-à-tête personnel et confidentiel avec X. À la suite d’une table de révision à laquelle la mère n’a pas été convoquée, il a été recommandé de fermer le dossier à l’échéance de l’ordonnance. Il est manifeste que X a subi une violation importante de ses droits. La responsabilité de la situation semble reposer également sur les épaules du CIUSSS et des autorités gouvernementales qui ont longtemps refusé d’octroyer à la DPJ les fonds requis pour exercer sa mission. Le présent jugement sera donc transmis à Mme Régine Laurent, Présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.
Au motif que la situation de Y a fait l’objet d’une intense couverture médiatique, que les faits se sont déroulés dans une petite ville où tous se connaissent et que l’identité des enfants est connue de leur environnement immédiat, la DPJ demande le prononcé d’une interdiction de publication et de diffusion relativement à la présente audience. Cette ordonnance ne vise aucunement la règle de confidentialité concernant l’identité des enfants et des parents en cause qui doit être appliquée par toute personne qui s’exprime au sujet de l’affaire, que ce soit via les réseaux sociaux ou autrement. Il y a, en fait, opposition entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté de presse. En application des critères de nécessité et de proportionnalité établis par la jurisprudence, force est de constater à quel point l’affaire est d’intérêt public et ne doit pas faire l'objet d'une restriction de diffusion. Les critiques nombreuses et sévères de la population contre la DPJ et les décisions antérieures prononcées par le tribunal ne peuvent fonder une ordonnance de non-publication sans que soit entachée gravement l’image de la justice quant à l’indépendance et l’impartialité des tribunaux. La publicité des débats ne peut qu’entraîner une pression positive afin que X bénéficie dorénavant de services optimaux. Il y a d’ailleurs tout lieu de croire que si cette pression avait existé au moment de la première ordonnance en protection, la DPJ aurait agi différemment. Ce bénéfice l’emporte sur les impacts négatifs appréhendés qu’il pourrait y avoir sur l’enfant en cas de publication de ses renseignements personnels. Une interdiction de publication est toutefois prononcée en ce qui a trait à certaines informations ciblées jugées plus sensibles et intimes qui ne sont d’aucun intérêt public.