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Mise en liberté provisoire dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 : les personnes qui posent un risque substantiel pour la sécurité du public ne peuvent pas être mises en liberté simplement en raison du risque accru de transmission du coronavirus en prison.

Résumé de décision : R. c. Kadoura, C.Q., 15 avril 2020
Mise en liberté provisoire dans le contexte de la pandémie de la COVID-19

L'accusé est détenu depuis le 7 avril 2020, jour de son arrestation. Au soutien de sa demande de mise en liberté provisoire, laquelle a été entendue par voie d'audioconférence, il invoque le risque accru de transmission du coronavirus en détention. Le ministère public s'oppose à la mise en liberté de l'accusé. Il soutient que la détention de ce dernier est nécessaire pour assurer la protection ou la sécurité du public (al. 515(10)b) C.cr.).

L'état d'urgence sanitaire en raison de la pandémie de la COVID-19 est inédit. Dans les derniers jours, des courants jurisprudentiels divergents se sont dessinés à travers le pays. S'il est clair que la pandémie est un facteur pertinent dans l'analyse de la question de la détention provisoire, les tribunaux ne s'entendent pas sur l'impact de ce facteur ni sur la preuve requise pour l'invoquer. Jusqu'à présent, les seules décisions recensées au Québec en matière de liberté provisoire traitant de la question de la pandémie sont les affaires Radjouh c. R. et Couture c. R., deux jugements de la Cour supérieure rejetant des requêtes en révision d'ordonnances de détention. La Cour est liée par ces deux jugements en raison du principe du stare decisis.

Dans l'affaire Radjouh, le juge Pennou a expliqué que la pandémie est un facteur qui pourrait être pertinent quant au troisième motif de détention (al. 515(10)c) C.cr.) et avoir une incidence sur l'octroi d'un cautionnement, mais surtout dans les cas limites, alors que sévirait une contagion connue et rapportée par les autorités carcérales à l'intérieur des murs d'un établissement ou encore que l'accusé serait un sujet à risque.

Dans l'affaire Couture, la juge Lavoie a d'abord réitéré que la pandémie constitue un facteur qui peut être pertinent quant à l'analyse du troisième motif de détention. Ensuite, dans une note infrapaginale, la juge a noté qu'une décision ontarienne avait conclu que les considérations relatives à la COVID-19 pourraient être pertinentes dans l'analyse du deuxième motif de détention (al. 515(10)b) C.cr.), particulièrement en ce qui concerne les prévenus non violents. Sans avaliser ce dernier principe, la juge ne l'a pas exclu d'emblée non plus. La juge a analysé la question en détail et a conclu que la pandémie ne justifiait pas, à elle seule, la libération du prévenu. La Cour partage cet avis. Il n'est pas suffisant de soulever comme seul motif la possibilité de contracter la COVID-19 afin de retrouver sa liberté. Les personnes qui posent un risque substantiel pour la sécurité du public ne peuvent pas être remises en liberté sur la base que la détention peut représenter un risque accru pour elles. Si la pandémie constitue un facteur pertinent dans l'analyse du deuxième motif de détention, sa portée est donc très limitée. Ainsi, si un tribunal juge qu'il y a une probabilité marquée que la mise en liberté du prévenu mette la sécurité du public en péril, cette dernière considération devra généralement prévaloir. Il est incontestable que les autorités carcérales doivent prendre des mesures appropriées afin de réduire les risques de propagation à un minimum dans les centres de détention. Foncièrement, les prévenus ont le droit de ne pas être exposés indument à des risques d'infection. Cependant, la façon d'atteindre cet objectif n'est pas en exposant la communauté à des individus dangereux ou violents.

En ce qui concerne la preuve requise pour considérer le facteur COVID-19 de façon éclairée, une preuve doit être faite de l'état de santé du détenu, de sa fragilité physique, le cas échéant, ainsi que des mesures prises par l'établissement de détention pour limiter les risques. Un tribunal peut quand même prendre connaissance judiciaire du risque général posé par le coronavirus, des moyens de transmission communs et du fait que le risque de contamination est supérieur dans une prison où des centaines de détenus sont confinés. Par ailleurs, cette connaissance judiciaire ne s'étend pas au-delà des concepts généraux. Si l'accusé entend invoquer un risque particulier, une preuve concrète doit être présentée relativement aux risques spécifiques dans un établissement donné ou aux mesures prises par les autorités carcérales. En l'espèce, l'accusé a déposé une lettre ouverte adressée aux gouvernements fédéraux et provinciaux, datée du 6 avril 2020 et cosignée par 123 professionnels de la santé, professeurs d'université et étudiants. Dans cette lettre, les signataires soutiennent que le risque de propagation du coronavirus dans les prisons est accru en raison de la nature même des établissements. La lettre implore les gouvernements à libérer le plus grand nombre de détenus possible dans les plus brefs délais. Au stade de l'enquête sur mise en liberté, une telle lettre est admissible. Toutefois, celle-ci n'est basée que sur des généralités qui s'appliquent de façon universelle à tous les détenus. Malgré le sérieux incontestable de la pandémie, il n'y a pas lieu d'abolir les prisons ou la détention provisoire ni de contrecarrer les dispositions législatives applicables.

Il convient maintenant de procéder à l'évaluation de la dangerosité de l'accusé. Les infractions reprochées à ce dernier sont très graves. Il est vrai que la preuve de la participation de l'accusé dans l'extorsion et dans le complot semble très ténue. Toutefois, en ce qui concerne les infractions relatives à la possession d'armes à feu, la preuve semble accablante. Quant aux défenses que l'accusé entend présenter, elles ne semblent pas, à première vue, très solides. En outre, les antécédents judiciaires de l'accusé révèlent que ce dernier est clairement un homme violent et dangereux. Sans compter ses bris de promesse et ses bris de probation. Ces manquements sont peu rassurants quant à la volonté ou à la capacité de l'accusé de respecter des conditions qui lui seraient imposées. Et le fait que l'accusé était sous le coup d'une ordonnance lui interdisant de posséder des armes à feu au moment de son arrestation est particulièrement alarmant. Manifestement, l'accusé n'a aucun respect pour les ordonnances des tribunaux. Plus inquiétant encore, l'accusé fréquente des individus criminalisés. Enfin, le danger que posent les armes à feu pour la communauté est bien connu. Et l'on doit considérer la recrudescence notoire des infractions impliquant une arme à feu dans le district judiciaire de Montréal depuis quelques mois. Avant l'accalmie provoquée par la pandémie à la mi-mars 2020, les incidents impliquant des coups de feu à Montréal étaient en forte prolifération. Les fusillades sont quasiment devenues un phénomène hebdomadaire. Et en plein milieu de cette recrudescence, des jeunes comme l'accusé se vantent sur Internet du fait qu'ils sont armés. Âgé de 18 ans, armé, entouré de gens armés et montrant un flagrant mépris pour les ordonnances des tribunaux, l'accusé présente un profil très dangereux.

Il y a plus. Avant son arrestation, l'accusé faisait fi des mesures imposées par les autorités et des directives claires répétées quotidiennement par les représentants de tous les paliers du gouvernement en cette période de crise sanitaire. Cela confirme son attitude d'indifférence et d'insouciance à l'égard des ordonnances provenant des autorités.

Reste à examiner les garanties offertes au nom de l'accusé. L'avocat de la défense décrit son plan de sortie comme étant rigoureux et rassurant. Le père de l'accusé a offert une garantie monétaire et prend la situation très au sérieux. La mère de l'accusé, elle, est disponible pour surveiller son fils en tout temps. De son côté, le ministère public soutient qu'outre le dépôt du montant de 1 000 $, le plan de sortie ne présente aucune différence avec le mode de vie qu'avait l'accusé avant son arrestation. En particulier, aucune des mesures proposées ne vient mitiger le risque que pose l'accusé. Le ministère public a raison. Avant son arrestation, l'accusé habitait déjà avec ses parents. Avant son arrestation, l'accusé avait déjà un suivi auprès d'un délégué jeunesse. Avant son arrestation, l'accusé était déjà sous le coup d'une ordonnance de probation qu'il ne respectait pas. Même si leur fils a toujours habité avec eux, les parents ne l'ont pas empêché d'accumuler de nombreuses condamnations en matière d'infractions de violence, de fréquenter des gens armés qui s'associent aux gangs de rue criminalisés et de publier sur Internet des vidéos de lui en train de brandir une arme à feu. Manifestement, les parents n'ont aucun ascendant sur leur fils et ils ne pourront ni le surveiller ni l'encourager à respecter ses conditions.

Somme toute, il y a lieu de conclure que si l'accusé est mis en liberté, il y a une probabilité marquée qu'il commette une infraction criminelle qui compromettrait la sécurité du public. Sa détention est donc nécessaire. La Cour prend acte de l'état d'urgence sanitaire et reconnaît que la détention provisoire de l'accusé augmente ses risques de contracter le coronavirus. Il est clair que les efforts de distanciation sociale seront plus difficiles en détention. Cependant, même en liberté, l'accusé ne respectait pas les précautions élémentaires. Il est donc quelque peu ironique qu'il invoque le risque accru de transmission en détention au soutien de sa demande de mise en liberté provisoire. Par ailleurs, compte tenu de la conclusion quant au niveau de dangerosité de l'accusé, le facteur de la pandémie a peu d'impact dans l'analyse.

La détention provisoire de l'accusé est donc ordonnée.

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