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Cas rare et singulier : un homme qui a mis une couverture sur le visage de son père mourant pendant une durée indéterminée, ce qui était de nature à nuire à sa respiration et, partant, à mettre sa vie en danger, est condamné à un emprisonnement discontinu de 90 jours

Résumé de décision : R. c. Abel, EYB 2019-307316, C.Q., 8 février 2019
Cas rare et singulier : un homme qui a mis une couverture sur le visage de son père mourant pendant une durée indéterminée, ce qui était de nature à nuire à sa respiration

DÉTERMINATION de la peine relative à une infraction de voies de fait graves.

L'accusé s'est reconnu coupable de voies de fait graves contre son père, un homme de 80 ans aux prises avec des problèmes de santé importants qui était hospitalisé et qui recevait des soins palliatifs. L'accusé a mis une couverture pliée en rectangle sur le visage de son père pendant une durée indéterminée, ce qui était de nature à nuire à sa respiration et, partant, à mettre sa vie en danger. La victime était inconsciente au moment des faits, et son décès est survenu trois jours plus tard. Le geste reproché à l'accusé n'a joué aucun rôle dans la mort de son père. Le ministère public réclame une peine d'emprisonnement de 18 mois assortie d'une probation d'une année. L'avocat de l'accusé propose, de son côté, de surseoir au prononcé de la peine.

La détermination de la peine est un exercice délicat et difficile, particulièrement dans un cas rare et singulier comme celui en l'espèce. L'infraction commise est grave et les tribunaux privilégient souvent les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale lorsqu'ils imposent une peine pour une telle infraction. Il existe cependant des dangers inhérents à infliger une peine disproportionnée dans l'exercice de pondération lorsqu'une trop grande importance est accordée à ces objectifs. À moins que le législateur le prévoie, aucun objectif en matière de détermination de la peine n'a préséance sur les autres. Il revient au juge d'exercer sa discrétion, d'évaluer le tout, et d'infliger la peine qu'il estime juste et proportionnelle.

Dans la présente affaire, l'agression a été commise à l'égard d'un homme âgé de 80 ans qui était vulnérable en raison de sa condition médicale. L'accusé était en outre dans une position de confiance vis-à-vis de la victime, car il était investi de l'autorité légale auprès d'elle. Il y a eu, aussi, une certaine préparation avant la commission de l'infraction. Et immédiatement après celle-ci, l'accusé a tenté d'occulter son geste auprès de l'infirmière qui est venue dans la chambre. Il s'agit là de circonstances aggravantes. Mentionnons toutefois qu'au moment des événements, l'accusé vivait une situation particulière. Quelques jours auparavant, il avait été secoué par le décès de sa mère et de celui de son beau-père, une personne proche de lui et avec qui il avait une relation significative. Ce contexte difficile atténue la culpabilité morale de l'accusé.

Au chapitre des facteurs atténuants, l'on retient le plaidoyer de culpabilité, le faible risque de récidive, les remords, l'absence d'antécédents judiciaires, le mode de vie prosocial, le fait d'être un actif pour la société et l'absence d'une délinquance structurée.

Le ministère public souligne qu'il ne faut pas banaliser l'infraction et les circonstances l'entourant. Il a raison. Il indique aussi que le tribunal doit tenir compte de la responsabilité morale entière de l'accusé et envoyer une réponse forte à ce comportement antisocial, sérieux et grave. Sur ce dernier point, l'on ne partage pas sa position. Bien que l'infraction commise soit grave, la preuve ne démontre pas que le geste de l'accusé a contribué au décès de son père. Certes, l'accusé pose un acte répréhensible important. Il n'en demeure pas moins qu'il était mal préparé à la souffrance de son père et se sentait responsable de sa dégradation physique, vu la décision d'abstention de traitement qu'il avait prise. Son geste ne relève pas d'une grande réflexion et n'a que très peu de chance de se reproduire. Ajoutons à cela l'effet du processus judiciaire. Les facteurs atténuants doivent ici l'emporter sur les facteurs aggravants. Avant la présente accusation, l'accusé a démontré une évolution sociale sans problème. Il a posé un geste isolé qui démontre une délinquance purement accidentelle. Et depuis plus de trois ans et demi, il a respecté toutes ses conditions de mise en liberté.

Une dernière remarque s'impose. Le ministère public souligne que l'on doit dissuader et dénoncer toute personne qui veut abréger les souffrances d'un proche en fin de vie. L'on ajoute que toute société démocratique civilisée ne peut tolérer un tel écart de conduite qui remet manifestement en question les choix du législateur. Une personne ne peut, de sa propre initiative, au nom de la dignité humaine, contribuer à mettre fin à la vie d'une autre personne. Cela dit, contrairement à ce que souhaiterait le ministère public, il n'y a pas lieu ici de prioriser la dénonciation et la dissuasion générale. Bien que l'objectif du ministère public soit louable, c'est le seul élément qui commande une peine sévère. L'imposition d'une peine sévère ne peut servir à infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi. L'on reconnaît la préoccupation d'un grand nombre de personnes de la société québécoise et canadienne à l'égard de l'euthanasie. Toutefois, il n'existe pas actuellement au Canada une épidémie de cas judiciarisés qui s'apparentent à celui de l'accusé. Ainsi, les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas à ce point pressants qu'ils commandent une peine d'emprisonnement ferme continue. D'autres moyens peuvent être envisagés et les objectifs de dénonciation et de dissuasion peuvent être atteints autrement. Les principes d'individualisation et de modération doivent prévaloir. Le comportement de l'accusé est davantage le résultat d'une décision émotive, malavisée et le reflet d'une erreur de jugement.

Dans les circonstances, un emprisonnement discontinu de 90 jours constitue une peine appropriée, juste et proportionnelle. Une ordonnance de probation de deux ans comportant un suivi probatoire d'un an, 200 heures de services communautaires et un don de 3 000 $ est également prononcée. Des ordonnances accessoires en vertu des art. 109 et 487.051 C.cr. sont aussi rendues.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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