L'accusé s'est reconnu coupable de vol qualifié, de séquestration et de complot. Il a, en effet, comploté avec deux complices en vue de commettre un vol. Au moment du vol en question, les complices entrent dans un magasin « La Source » et l'un d'eux pointe un pistolet (une fausse arme) vers la victime (employé du magasin). Quant à l'accusé, il prend place dans le véhicule de fuite à l'extérieur. Les complices ordonnent à la victime de se coucher par terre et ils la ligotent avant de s'emparer d'environ 40 000 $ de marchandise. Le ministère public suggère une peine de deux ans moins un jour d'emprisonnement, moins la détention provisoire. L'avocate de la défense suggère, quant à elle, une peine de 12 à 15 mois d'emprisonnement, moins la détention provisoire.
Les infractions dont l'accusé s'est reconnu coupable sont objectivement graves. Entre autres, le vol qualifié est passible de l'emprisonnement à perpétuité. En outre, la preuve révèle clairement un élément de préméditation de la part de l'accusé et de ses complices. Et même s'il est admis que l'accusé n'avait aucun motif de penser qu'une arme allait être utilisée par ses complices, il était prévisible qu'une « certaine » forme de violence allait être exercée contre la victime, et ce fut le cas. Or, cette violence ne peut être qualifiée de mineure. En matière de vols avec violence, il est important de mettre l'accent sur la dissuasion et l'exemplarité. Enfin, le rôle que l'accusé a joué dans la commission du vol et ses récents antécédents judiciaires, dont l'un de même nature, sont également pris en compte.
Par ailleurs, le jeune âge de l'accusé (il avait 18 ans au moment des infractions) et son plaidoyer de culpabilité pèsent aussi dans la balance. Au sujet du plaidoyer, on est conscient de l'importance relative à donner au fait que l'accusé plaide coupable, surtout lorsque, comme dans le cas présent, le plaidoyer survient tard dans le processus judiciaire. Cela dit, il faut tenir compte du fait que le plaidoyer de l'accusé permettra d'éviter la tenue d'un procès d'une durée d'une semaine, surtout en pleine pandémie, dans un dossier dans lequel la preuve ne peut certainement pas être qualifiée d'accablante. Il faut avoir siégé en chambre criminelle au palais de justice de Montréal au cours des deux derniers mois pour imaginer les défis qu'un tel exercice aurait représentés. Finalement, bien que l'accusé ait fait preuve de précocité dans son parcours criminel, son témoignage et son jeune âge peuvent permettre d'espérer qu'il revienne dans le droit chemin. Le plan de sortie qu'il a envisagé et le fait qu'il reçoive le support de sa mère et de sa copine sont également des éléments qui militent en sa faveur.
Dans les circonstances, une peine de 20 mois d'emprisonnement sur chacun des chefs d'accusation est juste. Ces peines seront purgées de façon concurrente. De la peine d'emprisonnement imposée à l'accusé, les parties s'entendent pour déduire le crédit accordé dans l'arrêt Summers (crédit Summers), soit un crédit d'un jour et demi par journée de détention provisoire, soit dix mois et demi. L'application de ce crédit fait en sorte qu'il resterait à l'accusé à purger neuf mois et demi d'emprisonnement. Les parties s'entendent aussi sur le fait que le tribunal devrait tenir compte de la présente situation pandémique créée par la COVID-19 (crédit COVID) dans l'évaluation de la peine, vu les conditions spécialement difficiles de détention. Elles ne s'entendent cependant pas sur la façon de le faire ni sur le résultat. Pour le ministère public, il s'agit d'un facteur parmi d'autres, qui ne doit pas « dominer » les autres et amener le tribunal à imposer une peine non appropriée. Quant à l'avocate de la défense, l'addition du crédit Summers et du crédit COVID devrait amener le tribunal à imposer à l'accusé une peine d'une journée d'emprisonnement. Bref, imposer à l'accusé une peine équivalant au temps fait.
D'entrée de jeu, le tribunal a une connaissance judiciaire du phénomène mondial que constitue la présente pandémie causée par la COVID-19, et du fait que le contrôle du virus passe notamment par la distanciation sociale. Vu la nature même des institutions carcérales, cela représente un défi difficile à relever pour les autorités et entraîne en conséquence pour les prévenus un risque plus élevé d'infection. Ce risque plus élevé d'infection en prison se traduit inévitablement par un risque plus élevé pour la population en général.
En temps normal, les conditions de détention sont particulièrement difficiles dans les centres de détention préventive, lesquels sont souvent surpeuplés, dangereux et dépourvus de programmes de réinsertion sociale. Or, la preuve révèle que depuis l'apparition de la COVID-19, les conditions de détention à l'Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux) sont encore plus difficiles. En particulier, il y a restriction des heures de sortie de cellules pour les prévenus et aussi une perte de privilèges. En avril, tout le secteur où est détenu l'accusé a également été placé en confinement pendant une période de 19 jours après qu'une personne du secteur eut été déclarée positive à la COVID-19. Les prévenus devaient donc demeurer en cellule 24 h/24. Pendant cette période de 19 jours, l'accusé n'a pas eu accès aux douches, à la cantine ou à la cour extérieure. Tout le monde comprend, incluant l'accusé, que ce type de confinement est à titre préventif, qu'il est décrété par les autorités pour de bonnes raisons (limiter les risques de propagation du virus, protéger la santé et la vie des prévenus, du personnel et, conséquemment, de la communauté en général). Cela dit, malgré les bonnes intentions des autorités (on ne doute aucunement de la nécessité des mesures adoptées), l'effet net du confinement est de rendre les conditions de détention, lesquelles sont déjà particulièrement difficiles, encore plus difficiles. L'idée n'est pas de « plaindre » les prévenus ni de faire en sorte qu'ils obtiennent une libération plus rapidement. Ils sont accusés et un juge a décidé qu'ils devaient demeurer en détention. Ils sont donc détenus. Il est normal que leur liberté soit restreinte. Cela dit, on ne peut pas ne pas tenir compte, dans l'évaluation de la peine, de la réalité de la pandémie causée par la COVID-19, du danger plus grand pour le prévenu d'être infecté par le virus en prison et de voir ses conditions de détention devenir encore plus difficiles en raison de décisions tout à fait légitimes prises par les autorités. Il faut donc en tenir compte dans l'évaluation de la peine à imposer, non pas seulement en raison de la pandémie ou de la situation particulière de l'accusé, mais en raison des conditions de détention.
Reste à savoir de quelle façon réduire la peine. À l'instar de la juge Pringle de la Cour de justice de l’Ontario dans l'affaire R. c. O.K., il y a lieu d'accorder à l'accusé un crédit d'une journée et demie (30 jours) pour chacun des 19 jours de confinement et d'une demi-journée (45 jours) pour chacun des 89 jours de détention pendant la pandémie (entre le 13 mars 2020 et le 10 juin 2020). Avant les calculs reliés à la COVID-19, il restait à l'accusé neuf mois et demi d'emprisonnement à purger. Une fois déduit ce qui est spécifiquement relié à la COVID-19, soit 75 jours, l'accusé devra en conséquence purger une peine de sept mois d'emprisonnement sur chacun des chefs d'accusation, de manière concurrente. Une ordonnance de probation d'une durée de deux ans, une ordonnance interdisant la possession d'armes, de munitions ou d'explosif et une ordonnance de prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique sont également prononcées.