Entre 2009 et 2013, dans la foulée de l'opération policière connue sous le nom de « SharQc », les requérants ont été accusés de meurtre, de complot pour meurtre, de gangstérisme et de trafic de stupéfiants. Un arrêt des procédures a toutefois été prononcé le 31 mai 2011 à l'égard des accusations de gangstérisme et de trafic de stupéfiants. Par la suite, dans le cadre de négociations avec le ministère public, les requérants se sont reconnus coupables des accusations de complot pour meurtre et se sont vu imposer, à la suite de suggestions communes, des peines d'emprisonnement variant entre 12 et 25 ans, sans possibilité de libération conditionnelle avant d'en avoir purgé la moitié. Les autres accusations ont en conséquence été retirées. Le 9 octobre 2015, alors que certains des coaccusés des requérants qui n'avaient pas plaidé coupables subissaient leur procès, le juge James L. Brunton a conclu que le ministère public avait manqué à son obligation de communication de la preuve et que ce manquement était tel qu'il constituait un abus mettant gravement en péril, de façon irrémédiable, l'équité du procès et l'intégrité du système de justice. En conséquence, le juge Brunton a imposé la seule réparation qui, à son avis, remédiait à ce manquement, à savoir l'arrêt des procédures. En novembre 2015, après avoir été informés du jugement du juge Brunton, les requérants ont présenté à la Cour des requêtes pour prorogation du délai d'appel et pour permission d'appeler des condamnations résultant des plaidoyers de culpabilité. Ces requêtes allèguent essentiellement que les plaidoyers de culpabilité n'ont pas été faits en toute connaissance de cause, qu'ils sont viciés et qu'ils ne peuvent être considérés comme libres et éclairés, l'État ayant sciemment caché des informations cruciales au processus de négociation et à l'exercice du droit à une défense pleine et entière. Par leurs requêtes, les requérants réclament l'autorisation de retirer leurs plaidoyers respectifs et exigent l'arrêt des procédures, l'abus commis par l'État n'étant pas moins grave dans leur cas. Subsidiairement, à supposer que la Cour estime que ce remède ne s'impose pas au vu du droit applicable, les requérants la prient de leur permettre tout de même de retirer leurs plaidoyers et d'ordonner un nouveau procès, selon certains paramètres précis. Enfin, par une récente demande de modification de leurs requêtes, les requérants arguent que la Cour ne peut faire moins, pour sanctionner convenablement le comportement du ministère public, que de réduire les peines issues des suggestions communes.
D'entrée de jeu, il importe de souligner que le ministère public reconnaît l'abus. Cela dit, s'il restaure l'honneur du ministère public et de l'État, cet acte de contrition ne résout pas la question du remède auquel les requérants peuvent maintenant prétendre. L'abus de procédure commis par l'État dans le cadre d'une instance criminelle enfreint la Charte canadienne des droits et libertés, qu'il porte atteinte à l'équité du procès (catégorie dite « principale ») ou qu'il entache l'intégrité du système de justice (catégorie dite « résiduelle »). Il exige réparation. Dans la plupart des cas, cette réparation prendra assise sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. Le tribunal possède, en vertu de cette disposition, un large pouvoir de réparation qui lui permet de tailler le remède à l'exacte mesure de l'atteinte. L'arrêt des procédures est souvent évoqué comme remède à l'abus de procédure. Il demeure pourtant un remède exceptionnel, réservé aux cas les plus manifestes, lorsqu'aucune autre mesure n'est de nature à empêcher la perpétuation de l'atteinte à l'équité du procès ou à l'intégrité du système de justice. La tenue d'un nouveau procès peut également remédier à l'abus, particulièrement dans le cas où celui-ci relève de la catégorie principale. Lorsque l'abus découle d'un manquement à l'obligation de communication de la preuve, le retrait du plaidoyer de culpabilité peut aussi être autorisé. Ce retrait de plaidoyer peut être suivi ou non d'un arrêt des procédures, selon les circonstances. S'il ne l'est pas, un nouveau procès peut être ordonné. Toute autre mesure propre à sanctionner l'inconduite de l'État et à assurer la réparation du préjudice peut en outre être ordonnée. Selon le cas, cette solution (retrait du plaidoyer) peut être transposable à la situation où l'accusé enregistre un plaidoyer de culpabilité dans le cadre de négociations avec le ministère public menant parallèlement à une suggestion commune des parties au chapitre de la peine.
La réduction de la peine imposée à celui qui a été déclaré coupable à la suite ou non d'un plaidoyer de culpabilité est également un remède envisageable, en certaines circonstances. La réduction de la peine, comme remède à la violation des droits constitutionnels d'un accusé (ce qui inclut l'abus de procédure), peut reposer sur deux sources qui dépendent de la nature de la transgression. Lorsque cette dernière se rapporte à la perpétration même du crime ou à la situation du délinquant, déjà soumis à une sanction ou à un traitement punitif, il n'est pas nécessaire de s'en remettre au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. Le tribunal peut, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les articles 718 et suivants du Code criminel, atténuer la peine en conséquence de l'atteinte aux droits constitutionnels. Par contre, si la transgression est d'un autre ordre, elle doit alors être prise en considération dans un autre cadre, qui, bien sûr, ne peut être que celui du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne, lequel n'exclut pas une réduction éventuelle de la peine. Autrement dit, les articles 718 et suivants du Code criminel permettent au tribunal de tenir compte de certains types de violation des droits constitutionnels d'un délinquant, à titre de facteurs atténuants, et de réduire la peine qu'il aurait autrement imposée. La porte n'est cependant pas fermée à une réduction de la peine en d'autres circonstances, remède qui doit alors pouvoir se justifier en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne.
Dans la présente affaire, l'abus reproché à l'État est grave. De plus, le préjudice que cet abus cause aux requérants est réel et substantiel : persuadés par la force apparente d'une preuve dont ils ne connaissaient pas encore les faiblesses, qui leur avaient été cachées, les requérants ont accepté de s'entendre avec le ministère public, de plaider coupables des accusations de complot pour meurtre et de suggérer, de concert avec le ministère public, les peines que l'on sait. Les requêtes dont la Cour est saisie proposent diverses mesures réparatrices, lesquelles sont de deux ordres : les premières se rapportent à la culpabilité alors que la dernière, ajoutée par modification, porte sur la peine. Dans leur exposé écrit et à l'audience, les requérants se limitent maintenant à la peine. Les parties, au terme d'une séance de facilitation pénale, ont effectivement conclu d'un commun accord que le remède juste serait de réduire la peine imposée à chacun des requérants. Elles proposent des réductions de six à huit ans qui tiennent compte à la fois de l'ampleur de la peine antérieurement imposée et des particularités de chaque dossier. La Cour souscrit à cette proposition. Cette mesure est appropriée aux circonstances et elle constitue un remède adéquat à l'abus reproché au ministère public, car elle obvie au préjudice qu'ont subi les requérants et assure l'intégrité du système de justice.
La mesure est en effet conforme à l'ordre public et à l'intérêt de la justice. D'une part, les peines des requérants sont réduites, mais leurs plaidoyers et la reconnaissance de culpabilité qu'ils impliquent restent et ne sont pas effacés des registres. D'autre part, la réduction de la peine reflète les circonstances particulières du dossier ainsi que la situation du délinquant. Cette réduction ne transforme pas les peines imposées en des peines déraisonnables ou contre-indiquées. Le remède de la réduction de la peine est par ailleurs logiquement rattaché aux circonstances de la conclusion des plaidoyers de culpabilité (alors que les requérants n'avaient pas toute l'information requise) et, parallèlement, à celles de la négociation des suggestions communes qui furent retenues. Cette négociation et son résultat tenaient compte des forces et des faiblesses de la position de chacune des parties au regard de la preuve. Dans la mesure où le rapport entre forces et faiblesses se trouve modifié par la communication d'éléments de preuve importants et jusque-là inconnus, les discussions des parties sur les suggestions communes auraient eu une autre tournure. De plus, la mesure proposée permet aussi d'exprimer de manière concrète la réprobation nécessaire à l'endroit du comportement abusif du ministère public, comportement dont le système de justice ne saurait ici accepter qu'il n'emporte aucune sanction. Qui plus est, le contexte est propice à une telle mesure. Le remède proposé mettrait fin à une affaire qui, depuis sept ans, est devant les tribunaux. Il éviterait aussi l'aspect artificiel d'une ordonnance de nouveau procès qui serait vraisemblablement de nature à donner lieu à de nouvelles négociations en première instance, compte tenu du temps purgé à ce jour par les requérants et de l'information que ces derniers ont désormais en leur possession. Or, cela pourrait engendrer des délais qui seraient à l'avantage ni des parties ni du système de justice. En définitive, le remède proposé constitue une solution d'équilibre, d'autant que les requérants renoncent à contester leur culpabilité et à demander le retrait de leurs plaidoyers de culpabilité.
Reste à examiner le quantum de la réduction de peine proposée. Les peines initiales étaient, on le sait, issues de suggestions communes fondées à la fois sur la nature de la preuve à charge contre chaque délinquant et sur la situation personnelle de chacun. Reflétant ces facteurs, les suggestions ont mené à l'imposition de peines d'emprisonnement de 12 à 19 ans dans la majorité des cas, de 20 à 23 ans dans un certain nombre d'autres cas et de 25 ans dans quelques cas. La réduction de peine suggérée en appel est proportionnelle à la sévérité de la peine initiale et justifiée par les circonstances. Compte tenu de la situation de chaque requérant, les réductions de peines sont conformes au droit, congruentes aux circonstances et bien fondées aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. Ces réductions de peines sont donc retenues, et les peines sont modifiées en conséquence.
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