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La légataire ayant acheté la résidence de la testatrice du vivant de cette dernière a néanmoins droit à la valeur de cette résidence, qui lui a été léguée par testament

Résumé de décision : Grenier c. Grenier, EYB 2015-253135 (C.Q., 8 mai 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

Daniel Grenier, le mandataire (il est également l'un des liquidateurs) de feu sa mère en vertu d'un mandat donné en prévision de l'inaptitude, a vendu la résidence de sa mère à sa soeur Lise Grenier, laquelle jouit du legs particulier qu'est cette résidence. Le mandat en prévision d'inaptitude confie la simple administration au mandataire, à moins qu'il ne lui confère la pleine administration. Tout d'abord, il faut considérer que Daniel a la simple administration en dépit du fait que le mandat lui confère la pleine administration puisque la vente a lieu avant l'homologation du mandat. La situation peut être appréciée soit en fonction de l'article 2167.1 C.c.Q., soit selon les règles de la gestion d'affaires. Dans les deux cas, l'autorisation du tribunal est nécessaire. En tant que gérant, Daniel aurait dû agir dans les limites de la simple administration, c'est-à-dire qu'il aurait dû faire des actes pour conserver les biens de la défunte ou pour maintenir l'usage auquel ils étaient normalement destinés. La vente de la maison n'était pas un acte de conservation ou de maintien d'usage, mais plutôt un acte d'aliénation qui aurait nécessité l'autorisation du tribunal. Il est donc possible de conclure que Daniel a outrepassé ses pouvoirs de gérant.

Puisque Daniel, en tant qu'administrateur, a contracté avec un tiers, en l'occurrence Lise, et qu'il a outrepassé ses pouvoirs en aliénant la maison alors qu'il était chargé de la simple administration, il est en principe responsable personnellement envers ce tiers en vertu de l'article 1320 C.c.Q. Néanmoins, Lise avait une connaissance suffisante du fait que Daniel outrepassait ses pouvoirs. Celle-ci n'a donc pas de recours contre ce dernier.

Quelle est la conséquence du fait que Daniel s'est débarrassé des biens meubles se trouvant dans la maison, que la vente de la maison ne visait pas les meubles et que le legs à titre particulier comportait la maison et les meubles s'y trouvant? Dans l'affaire Gravel c. Rouleau, le testament contient un legs particulier de la maison et des meubles la garnissant. Or, la testatrice a vendu la maison avant son décès et les liquidateurs allèguent que cette aliénation emporte révocation du legs en vertu de l'article 769 C.c.Q. Le tribunal est d'avis que « le contrat de vente de la résidence, tel que libellé, ne saurait être interprété comme emportant révocation du legs à titre particulier consenti à l'égard des meubles meublants et objets d'ornement qui garnissaient toujours cette résidence au moment du décès » puisque l'acte de vente ne vise que la résidence et rien ne permet de conclure que la vente englobe aussi les meubles. En effet, « selon l'article 769 du C.c.Q., l'aliénation emporte révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné, mais non pour ce qui ne l'a pas été ». Toujours dans l'affaire Gravel c. Rouleau, les meubles avaient fait l'objet d'une distribution. Bien que les légataires à titre particulier « seraient sans doute fondés à revendiquer la propriété même des meubles », ils se limitent à réclamer leur valeur marchande, ce que le tribunal leur accorde dans cette cause. En l'espèce, Daniel a fait donation des meubles alors qu'il agissait à titre de gérant. Il ne pouvait faire don des biens qu'en conformité avec l'article 1315 C.c.Q. S'il n'était pas autorisé à donner les meubles, leur donation serait nulle et, conformément à l'affaire Gravel c. Rouleau, Lise aurait droit aux meubles ou à des dommages-intérêts. Quant à l'expression « sauf disposition contraire » retrouvée à l'article 769 C.c.Q., l'affaire Edisbury c. Desjardins nous enseigne que cette réserve ne signifie pas nécessairement une « disposition testamentaire », mais simplement une démonstration de l'intention du testateur de ne pas révoquer le legs prévu dans son testament. Autrement dit, « le légataire doit pouvoir établir chez le testateur une intention claire de lui léguer soit le bien lui-même, soit le produit de sa vente ».

En l'espèce, Lise demande que le produit de la vente de la résidence lui soit remis, puisque le désir de sa mère était de la lui léguer. Elle a repoussé la présomption de révocation de l'article 769 C.c.Q. en démontrant que l'intention de la testatrice n'était pas de vendre la maison. Au contraire, elle souhaitait la lui léguer.

Lise a-t-elle renoncé au legs de la maison, considérant qu'elle savait qu'elle en serait la légataire lorsqu'elle l'a achetée? Lise n'est pas une successible ni une héritière. Elle est une légataire à titre particulier au sens de l'article 734 C.c.Q. L'article 741 C.c.Q. lui permet d'exercer l'option comme si elle était une successible, c'est-à-dire de décider d'accepter ou de renoncer au legs. Lise a acheté la maison avant le décès de sa mère. Ainsi, au moment de l'achat, la succession n'était pas ouverte. Par conséquent, celle-ci n'a pas renoncé au legs de la maison au sens de l'article 741 C.c.Q., puisqu'il n'est pas possible de renoncer au legs sur une succession non ouverte. Les circonstances démontrent l'intention de Lise que la maison reste dans le patrimoine de sa mère et, en raison de son échec à convaincre son frère et le notaire de ne pas vendre la maison, elle a dû l'acheter. Lise n'a pas renoncé implicitement au legs de la maison. Elle a donc droit à la somme de 40 000 $ représentant la valeur de la maison.

Le testament prévoyait que tous les meubles meublants situés dans la maison au moment du décès seraient légués à Lise. Tous ces meubles devront lui être remis. À défaut, une somme d'argent arbitrée à 5 000 $ devra lui être payée.

Le tribunal rejette la réclamation de 5 000 $ faite à titre de dommages-intérêts, puisque Lise n'a pas fait la preuve de tels dommages.

Céline Grenier a confié un mandat à une avocate en raison d'un litige entre les autres liquidateurs. En effet, celle-ci est en désaccord avec leur position en ce qui a trait à la disposition des biens et à l'exécution du testament. C'est en raison de cette divergence d'opinions qu'elle a fait appel aux services d'une avocate pour la représenter dans l'instance. De plus, elle est d'avis que les décisions prises par les autres liquidateurs vont à l'encontre des dernières volontés de sa mère et elle soutient agir en justice dans l'intérêt de la succession, dans le but que ses volontés soient respectées. Céline n'a pas engagé de procédures mal fondées, elle n'est pas de mauvaise foi et elle a agi dans l'accomplissement de sa charge de liquidatrice. Elle a donc droit au remboursement des frais engagés. Ces frais seront à la charge de la succession en vertu de l'article 789 C.c.Q.

Enfin, les propos rapportés par les témoins selon lesquels la défunte voulait léguer sa maison à sa fille Lise sont admissibles en preuve, puisqu'ils ne contredisent pas le testament et qu'ils présentent suffisamment de garanties sérieuses de fiabilité. Ils permettent aussi au tribunal de mettre en contexte l'intention de la défunte et de comprendre pourquoi elle a favorisé sa fille Lise.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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