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La Loi de 2013 sur la succession au trône, qui reconnaît le droit d’une fille aînée d’accéder au trône britannique, et ce, même en présence d’un héritier mâle plus jeune, est constitutionnelle

Résumé de décision : Motard c. Canada (Procureure générale), EYB 2016-262224 (C.S., 16 février 2016)
La <i>Loi de 2013 sur la succession au trône</i>, qui reconnaît le droit d’une fille aînée d’accéder au trône britannique, et ce, même en présence d’un héritier mâle plus jeune, est constitutionnelle

Les demandeurs requièrent de la Cour une déclaration d'inconstitutionnalité de la Loi de 2013 sur la succession au trône (Loi de 2013) pour le principal motif qu'elle aurait été adoptée selon une procédure non conforme à l'article 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Loi de 1982), en plus de contrevenir aux principes structurels de la Constitution, à savoir les principes de la primauté du droit, du fédéralisme et de l'honneur de la Couronne. Subsidiairement, ils demandent que la Loi de 2013 soit déclarée inconstitutionnelle, au motif qu'elle n'est pas conforme aux articles 2 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), ni à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Loi de 1867) et à l'article 18 de la Loi de 1982.

En 2011, les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth se sont rencontrés en Australie. Au terme de cette rencontre, ils ont déclaré qu'ils souhaitaient mettre fin au système privilégiant les enfants de sexe masculin dans l'établissement de la ligne de succession. Dans cette foulée, un projet de loi britannique sur la succession royale, le Succession to the Crown Act, a été déposé devant le parlement du Royaume-Uni en 2012. De son côté, le Parlement canadien a adopté la Loi de 2013. Essentiellement, cette loi vise à donner l'assentiment du Parlement canadien au projet de loi britannique de succession royale. La procédure prévue à l'article 41a) de la Loi de 1982 n'a pas été suivie pour l'adoption de cette loi. Selon la Procureure générale du Canada (PGC), le Parlement du Canada pouvait donner son assentiment à la loi britannique, sans passer par la procédure prévue à la Loi de 1982, aux termes de sa compétence en matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement, prévue à l'article 91 de la Loi de 1867.

Tout d'abord, afin de déterminer si la Loi de 2013 a été validement adoptée, il faut déterminer si les règles de succession au trône font partie du droit constitutionnel canadien et, si tel est le cas, si celles-ci ne peuvent être modifiées qu'en vertu de la procédure prévue à l'article 41a) de la Loi de 1982. Ensuite, il faudra déterminer si la Loi de 2013 enfreint la Charte au chapitre de la discrimination religieuse et l'article 133 de la Loi de 1867 relatif au bilinguisme fédéral.

Le Canada est une monarchie constitutionnelle, dont le chef d'État est un Roi ou une Reine désigné conformément aux règles applicables à la succession du trône. On retrouve ces règles dans certaines lois adoptées par le Parlement impérial, et ce, préalablement à la Confédération canadienne de 1867. Il s'agit du Bill of Rights et de l'Act of Settlement. Bien que ces lois aient une incidence au Canada, elles n'ont pas été intégrées ex proprio vigore ou par implication nécessaire dans la Constitution canadienne. Bien que les articles de ces lois ne fassent pas partie de la Constitution en tant que tels, les principes sous-jacents à ces lois - comme celui de la reconnaissance que quiconque est Roi ou Reine du Royaume-Uni est également Roi ou Reine du Canada, ainsi que celui d'une succession héréditaire déterminée par le Royaume-Uni - font partie de la Constitution.

En 1931, le Statut de Westminster, officiellement la Loi de 1931 visant à donner effet à des résolutions adoptées lors des conférences impériales de 1926 et 1930, a été adopté. L'article 4 du Statut de Westminster prévoit que dorénavant, les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni ne pourront s'appliquer dans les Dominions, sauf à leur demande et avec leur consentement. À partir de ce moment, une Couronne canadienne séparée de la Couronne britannique apparaît donc, à savoir un chef d'État distinct, bien que les deux États désignent la même personne physique à ce titre.

À l'appui de leurs propos, toutes les parties invoquent le cas de l'abdication du Roi Edward VIII en 1936. À cette époque, un arrêté en conseil a été adopté au Canada pour que les règles de succession du trône soient modifiées. De plus, la Loi sur la modification de la Loi concernant la succession au trône a également été adoptée afin d'intégrer les modifications législatives au droit canadien. Les demandeurs soutiennent que seul le recours à l'article 4 du Statut de Westminster pouvait permettre la modification aux règles de successions pour la Couronne canadienne et ainsi assurer la coordination avec le Royaume-Uni. Or, à la lecture de la jurisprudence pertinente et de la doctrine écrite sur le sujet, il ne faut pas voir nécessairement dans le recours à l'article 4 du Statut de Westminster l'équivalent d'une procédure d'amendement à la Constitution du Canada. En fait, il n'était pas nécessaire que le Canada suive cette procédure pour donner son assentiment à la modification législative au Royaume-Uni, étant donné que l'identité de la Couronne était déterminée par la Loi de 1867. Il s'agit du principe de la symétrie. À ce titre, la règle de la reconnaissance automatique fait en sorte que la Reine ou le Roi du Royaume-Uni l'est aussi pour le Canada, sans qu'il ne soit nécessaire de modifier les lois canadiennes pour qu'il en soi ainsi.

L'adoption de la Loi de 1982 n'a pas apporté de changement quant à l'inclusion ou non dans la Constitution canadienne des lois britanniques comme le Bill of Rights et l'Act of Settlement. Il font donc en conclure que, même après cette date, ces lois ne font pas partie de la Constitution canadienne.

Selon la PGC, puisque ces lois ne font pas partie de la Constitution canadienne, il n'était pas nécessaire de suivre la procédure prévue à l'article 41a) de la Loi de 1982 pour adopter la Loi de 2013. Elle ajoute que la procédure d'assentiment aux changements proposés par le projet de loi britannique, aux termes de la convention établie au deuxième considérant du préambule du Statut de Westminster, est applicable, et que le Parlement du Canada s'est conformé à cette convention en donnant un tel assentiment par l'adoption de la Loi de 2013. Comme expliqué précédemment, on ne peut considérer les règles de succession au trône, adoptée par le Royaume-Uni, comme étant incorporées dans la Constitution canadienne. Ce ne sont pas ces règles en tant que telles qui font partie de la toile de fond de la Constitution canadienne, mais plutôt le principe d'une succession héréditaire déterminée par le Royaume-Uni. Ce principe n'est pas modifié par le projet de loi britannique, ni par la Loi de 2013, en vertu de laquelle le Canada y a donné son assentiment. Un amendement à la Constitution n'étant donc pas nécessaire pour faire part au Royaume-Uni de l'assentiment du Canada à la modification législative.

Par ailleurs, la protection constitutionnelle accordée à la « charge de Reine », par l'application de la procédure d'amendement prévue à l'article 41a) de la Loi de 1982, vise d'abord à s'assurer que les pouvoirs, le statut et le rôle conférés à la Couronne, en tant qu'institution, ne peuvent être modifiés sans l'accord des intervenants qui y sont énumérés, et ce, indépendamment de la personne désignée pour occuper la fonction de Reine ou Roi au Royaume-Uni. Cela étant, les règles de succession au trône adoptées au Royaume-Uni n'ayant pas d'effet sur la « charge de Reine » et ne faisant pas partie intégrante de la Constitution canadienne, elles ne sont donc pas assujetties à la procédure d'amendement de la Loi de 1982.

Puisque les règles de succession au trône ne font pas partie de la Constitution écrite du Canada, mais font plutôt partie de la Constitution non écrite, elles ne sont pas assujetties à la Charte. Sur cette base, la Charte ne peut invalider un principe constitutionnel structurel de la sorte, la première ne pouvant prétendre à une supériorité hiérarchique sur le second.

La Loi de 2013 a été adoptée simultanément en anglais et en français, et ce, conformément aux exigences constitutionnelles de l'article 133 de la Loi de 1867 et au paragraphe 18(1) de la Loi de 1982. De plus, elle n'a pas donné force de loi au projet de loi britannique ni étendu son application au Canada, que ce soit directement ou par incorporation par renvoi. Il n'y a donc pas contravention au bilinguisme législatif.

Pour tous ces motifs, la requête en jugement déclaratoire est rejetée.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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Photo : edwin.11 | https://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/

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