Skip to content

Les peines minimales obligatoires prévues aux paragraphes 99(3) et 100(3) du Code criminel sont incompatibles avec l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés

Résumé de décision : Ayotte c. R., EYB 2019-313862 (C.A., 12 juillet 2019)
Les peines minimales obligatoires prévues aux paragraphes 99(3) et 100(3) du Code criminel sont incompatibles avec l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés

APPEL de la peine. ACCUEILLI, en partie.

L'accusé se pourvoit contre le jugement qui a rejeté sa contestation constitutionnelle des peines minimales obligatoires prévues aux par. 99(3) et 100(3) C.cr. et l'a condamné à trois peines concurrentes d'emprisonnement de 12 mois pour avoir cédé deux pistolets à impulsion électrique et en avoir possédé un troisième dans l'intention de le céder.

L'accusé ne démontre pas que l'exercice d'appréciation effectué par le juge est entaché d'une erreur déterminante ou que la conclusion selon laquelle la gravité des infractions et la culpabilité morale de l'accusé justifient des peines équivalentes aux peines minimales obligatoires n'est pas indiquée. Bien qu'il soit un délinquant primaire qui présente un faible risque de récidive, l'accusé était, au moment de la perpétration des infractions, un consultant en sécurité habitué de collaborer avec les forces policières qui, sans s'informer davantage, vend à un individu qu'il connaît peu des armes prohibées sachant qu'elles sont destinées à un tiers qu'il ne connaît aucunement. De plus, le juge n'a pas erré en accordant aux plaidoyers de culpabilité, enregistrés par l'accusé 53 mois après avoir été inculpé, un effet limité. Le juge a en outre tout à fait raison de souligner ne pas être en présence d'un événement criminel isolé puisque l'accusé a, à deux occasions différentes, cédé en échange d'une contrepartie monétaire des armes prohibées. Et l'accusé possédait une troisième arme et entretenait la même intention de la céder à un tiers. Par ailleurs, c'est à tort que l'accusé reproche au juge de n'avoir pas suffisamment pris en compte le fait que les armes en cause sont essentiellement défensives et ne présentent aucun risque pour l'intégrité physique d'une personne. Le pistolet à impulsion électrique est conçu afin d'immobiliser une personne ou de vaincre sa résistance. Cette arme peut tout aussi bien être utilisée pour agresser que pour se défendre. Cela dit, il ne s'agit pas d'une arme létale et la dangerosité du pistolet à impulsion électrique est considérablement moindre que celle d'une arme à feu prohibée. Quant au bénéfice que tente de tirer l'accusé de l'absence d'un préjudice causé à un individu ou à la collectivité, il doit être examiné avec circonspection et ne saurait avoir un impact significatif sur le sort de l'appel, l'accusé ne s'étant aucunement soucié des conséquences susceptibles de découler des ventes de ces armes à des inconnus. Qui plus est, la peine infligée est le fruit d'un processus individualisé qui met adéquatement en balance les divers objectifs de détermination de la peine et qui prend en compte la situation particulière de l'accusé ainsi que la gravité et le nombre d'infractions. Enfin, lorsque la peine proportionnée correspond, comme en l'espèce, à la peine minimale obligatoire, il va de soi que l'application de la seconde ne peut être qualifiée de « totalement disproportionnée ».

Qu'en est-il maintenant de ces autres délinquants à qui ces peines minimales obligatoires pourraient éventuellement être imposées? Il est raisonnable d'envisager, à l'extrémité inférieure du continuum d'application du par. 99(3) C.cr., la simple offre de céder, sans contrepartie, un pistolet à impulsion électrique entre membres d'une même famille qui, selon toute probabilité, n'implique pas l'emprisonnement du délinquant et, à l'extrémité supérieure de ce même continuum, la situation de celui qui vend une grande quantité de ces armes prohibées à des organisations criminelles aux fins d'en tirer un avantage financier qui vaudrait à son auteur une lourde peine d'emprisonnement dans un pénitencier. Est également raisonnablement prévisible l'application de la peine minimale prévue au par. 99(3) C.cr. à un délinquant qui, devenu héritier de l'universalité des biens de son conjoint, constate dans le patrimoine la présence d'un pistolet à impulsion électrique qu'il offre de donner à un des enfants du défunt sachant qu'il s'agit d'une arme prohibée qu'il n'est pas autorisé à la céder. Une peine proportionnée et adaptée à la situation de l'héritier ne nécessiterait pas de lui imposer un emprisonnement et l'application de la peine minimale obligatoire constituerait à l'égard de ce délinquant une peine totalement disproportionnée. La conduite délictuelle de cette personne implique en effet un faible degré de culpabilité morale et une dangerosité marginale pour la sécurité du public. Bref, compte tenu du large éventail de comportements ciblés par les par. 99(3) et 100(3) C.cr., force est de constater que ces dispositions s'appliquent avec la même rigueur aux infractions comportant une culpabilité morale minime et n'exposant le public à aucun danger qu'aux trafiquants d'armes qui approvisionnent des organisations criminelles. C'est là que le bât blesse. Force est donc de conclure que l'application des par. 99(3) et 100(3) C.cr. à des situations raisonnablement prévisibles est susceptible de constituer un traitement cruel et inusité à l'égard de certains délinquants.

Les peines minimales obligatoires prévues aux par. 99(3) et 100(3) C.cr. ont été adoptées en vue de restreindre, voire d'empêcher la circulation clandestine des armes prohibées ou à autorisation restreinte, des armes à feu sans restriction et des munitions prohibées. Le législateur vise à décourager ceux qui seraient tentés de céder de telles armes sans être légalement autorisés. Bien que le lien entre la dissuasion et les dispositions établissant des peines minimales obligatoires soit faible, un lien rationnel existe néanmoins. Cela dit, la cession et l'offre de céder une arme englobent un vaste éventail de comportements et d'armes qui n'impliquent pas tous la même culpabilité morale et la même dangerosité pour la collectivité. Or, les dispositions qui sont ici en cause ne font aucune distinction entre ceux-ci et appliquent uniformément à chacun la peine minimale obligatoire. L'État n'a pas démontré l'inexistence de moyens moins préjudiciables d'atteindre les objectifs législatifs de dissuasion, de dénonciation et de châtiment. Enfin, les dispositions législatives ont certes des effets bénéfiques liés à l'objectif ayant donné lieu à leur adoption : limiter la circulation des armes dont se servent les délinquants pour commettre des crimes violents, notamment ceux qui le font au bénéfice d'organisations criminelles, et punir ceux qui font le trafic de ces armes. Ces dispositions présentent cependant l'inconvénient d'écarter, pour certaines catégories de délinquants, le principe fondamental de détermination de la peine (principe de proportionnalité) et d'infliger à ces délinquants des peines totalement disproportionnées. Il s'agit là d'un préjudice important qui ne peut être ignoré et qui surpasse les bénéfices découlant de l'application des par. 99(3) et 100(3) C.cr.

Il y a lieu de confirmer les peines concurrentes d'emprisonnement de 12 mois infligées à l'accusé et de déclarer que les peines minimales obligatoires prévues aux par. 99(3) et 100(3) C.cr. sont incompatibles avec l'art. 12 de la Charte canadienne. Les dispositions sont, à cet égard, inopérantes.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

Ouvrir une session | Demander un essai gratuit

Également d’intérêt
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.