Suivant le testament rédigé par son défunt conjoint de fait, la demanderesse recherche le maintien du versement, en sa faveur, d'une rente viagère. Le défendeur, le frère du défunt, qui est liquidateur de sa succession, s'y oppose. Cet aspect du litige peut être traité en deux volets, dont le premier demande de s'attarder à la notion de « vie commune », la rente étant conditionnelle à ce que madame ne fasse pas vie commune avec un autre homme que le défunt. Or, contrairement à ce qu'allègue le défendeur, la demanderesse n'a pas fait vie commune avec Réjean Leduc pour la période comprise entre janvier et juillet 2014. La relation amoureuse d'une durée de sept mois qui existe entre ces deux individus se termine en février 2012. À cette même époque, le défendeur choisit de ne pas intervenir puisque malgré leur relation, ceux-ci n'habitent pas sous le même toit. Il s'écoule presque deux ans avant que Leduc ne soit logé chez la demanderesse, et ce, après qu'un incendie ait ravagé la demeure de Leduc. Ainsi, dès que les conditions favorables furent réunies, soit à compter de juillet 2014, il prit logement. Depuis cette date, la demanderesse continue de le voir, à titre d'ami, lui fournit le souper et assure son lavage, moyennant une rétribution de 200 $ par mois, ce qui, dit-elle, lui permet de s'assurer une certaine aide financière. Plusieurs témoins qualifient la relation de la demanderesse avec Leduc comme étant de la nature d'une amitié. Un autre aspect milite également en faveur de la demanderesse dans l'interprétation de cette même clause résolutoire prévue au testament. Lors de son témoignage, le défendeur, qui était présent au moment où son frère rédige le testament et qui dès lors a l'opportunité d'en connaître les motifs, confie que son frère recherche d'abord et avant tout, par la constitution de cette rente, le bien-être financier de sa conjointe. Ainsi, dit-il, cette rente est destinée à la demanderesse, tant et aussi longtemps qu'un autre homme ne peut la « faire vivre ». Or, rien n'indique que Leduc a pu, à un moment ou l'autre, prendre en charge financièrement la demanderesse, dans la période comprise entre janvier et mai 2014. Au contraire, la preuve révèle que d'un strict point de vue financier, Leduc, retraité, est alors dépourvu financièrement. Dans le même sens, la preuve révèle que la demanderesse a déjà, à quelques reprises durant cette même période et depuis que le défendeur a cessé le versement de la rente, dû faire appel à l'aide financière de membres de sa famille afin de joindre les deux bouts. Dans ce contexte, le tribunal ne peut donc en conclure que la demanderesse a fait « vie commune » avec un autre homme durant cette période comprise entre les mois de janvier et juillet 2014. Sur cette unique base, c'est à tort que le défendeur a cessé le versement de la rente au bénéfice de la demanderesse en mai 2014.
Le deuxième volet du litige a trait à la validité de la clause résolutoire, en lien avec l'article 757 C.c.Q. et les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte). Or, premièrement, le deuxième alinéa de l'article 757 C.c.Q. voulant que soit réputée non écrite la disposition limitant les droits du conjoint survivant lorsqu'il se lie de nouveau par un mariage ou une union civile ne s'applique pas au conjoint de fait. Par analogie, l'on peut citer l'article 2906 C.c.Q. qui, selon la jurisprudence majoritaire, ne s'applique pas aux conjoints de fait. En fait, si le législateur avait voulu étendre la portée du deuxième alinéa de l'article 757 C.c.Q. aux personnes vivant en union de fait, il l'aurait prévu, comme c'est le cas notamment aux articles 15 et 1938 C.c.Q. Ainsi, au sens du deuxième alinéa de l'article 757 C.c.Q., il n'y a pas lieu de faire bénéficier les conjoints de fait des effets associés à l'union civile ou au mariage, principe d'ailleurs reconnu par la Cour suprême dans l'arrêt Procureur général du Québec c. A.
Quant au premier alinéa de l'article 757 C.c.Q., il édicte que la condition impossible ou contraire à l'ordre public est réputée non écrite. Or, c'est le cas de la condition de ne pas faire vie commune avec un autre homme, puisque le statut de conjoint de fait est en relation directe avec la notion d'état civil prévue à l'article 10 de la Charte et que cette condition brime manifestement la liberté de la demanderesse de choisir son statut. Cette condition est donc réputée non écrite en vertu de la disposition à l'étude contenue dans le Code civil. Elle pourrait également être déclarée nulle en vertu de l'article 13 de la Charte qui énonce qu'une clause comportant discrimination est sans effet.
Par ailleurs, la demande par la demanderesse du remplacement du véhicule automobile transmis à titre particulier est rejetée, la demanderesse ayant vendu le véhicule faisant l'objet du legs à un tiers pour s'en procurer un nouveau, ce qui démontre que le véhicule en question n'a pas « rendu l'âme », soit la condition qui, selon la preuve non contredite, justifiait le remplacement du véhicule.
Par ailleurs, le défendeur a toujours agi de bonne foi dans le cadre des décisions qu'il a eu à prendre, autant quant à la rente qu'au remplacement de l'automobile. À preuve, il s'est empressé de remettre à la demanderesse une somme de 5 000 $, prise à même ses économies et a même logé celle-ci pendant six mois sans aucuns frais dans sa résidence, avant que les sommes provenant de la succession ne soient disponibles. Quant au préjudice économique, s'il en est, il sera compensé par l'octroi, aux conclusions du présent jugement, des intérêts et de l'indemnité additionnelle prévue au Code civil. Ainsi, la demande de 10 000 $ réclamée par la demanderesse au défendeur, personnellement, à titre de dommages moraux et pour son préjudice économique, est rejetée.
Madame n'a pas davantage droit à des dommages exemplaires. Non seulement il n'y a pas de preuve d'une atteinte illicite et intentionnelle, mais même si l'on devait conclure à une telle atteinte, celle-ci ne peut être que l'oeuvre du défunt. Or, cette demande vise ici le défendeur personnellement, plutôt qu'à titre de liquidateur ou de successible.
La demande reconventionnelle du défendeur, dans laquelle il réclame 20 000 $ pour du stress et des inconvénients, est rejetée. Pareilles procédures entraînent un investissement et du temps pour le défendeur. Il en est toutefois de même pour la demanderesse. Or, à la lumière des conclusions auxquelles en arrive le tribunal, il semble que les procédures entreprises ne sont pas inutiles ni futiles. Par contre, en raison du contexte entourant celles-ci, le présent jugement sera rendu sans frais de justice.
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