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Pour avoir tenté de rejoindre le groupe terroriste État islamique en Syrie, Ismaël Habib est condamné à neuf ans de prison

Résumé de décision : R. c. Habib, EYB 2017-285529 (C.Q., 29 septembre 2017)
Pour avoir tenté de rejoindre le groupe terroriste État islamique en Syrie, Ismaël Habib est condamné à neuf ans de prison

L’accusé a été déclaré coupable d'avoir tenté de quitter le Canada, ou tenté de monter dans un moyen de transport dans l'intention de quitter le Canada, dans le but de participer à une activité d'un groupe terroriste, ou d'y contribuer, directement ou non, dans le but d'en accroître la capacité. Il a aussi été déclaré coupable d’avoir fait une déclaration fausse ou trompeuse afin d’obtenir un passeport. Le temps est venu de déterminer la peine qui doit lui être imposée. Le ministère public recommande une peine globale de neuf ans d’emprisonnement. L’avocat de la défense suggère, lui, un emprisonnement de six ans et demi.

D’entrée de jeu, précisons que l’accusé est le premier adulte au Canada à être déclaré coupable de l’infraction prévue à l’article 83.181 C.cr., lequel est entré en vigueur en 2013. En ajoutant cette infraction spécifique au Code criminel et en doublant la peine prévue pour ce comportement (emprisonnement maximal de dix ans), le législateur a donné une indication de la gravité objective qu’il accorde à cette infraction.

Le contexte de cette affaire est amplement décrit dans le jugement sur la culpabilité. Il se résume de la façon suivante. En Syrie depuis trois mois à faire le jihad afin d’instaurer la charia et à combattre avec différents groupes pour établir un gouvernement islamique, l’accusé quitte le pays en novembre 2013 pour aller chercher sa femme et ses enfants en Turquie dans le but de retourner en Syrie faire le jihad. Parce que son passeport canadien est révoqué, les autorités turques l’arrêtent et le renvoient au Canada. Depuis son retour au Canada à la fin de 2013, l’accusé cherchait activement une façon de pouvoir quitter le pays pour retourner en Syrie et intégrer le groupe terroriste « État islamique » (EI). Sans passeport canadien, il multiplie les démarches pour obtenir de faux passeports. Les recherches Internet qu’il a effectuées et la déclaration qu’il a donnée dans le cadre d’une opération de type « Monsieur Big » démontrent qu’il a parfaitement connaissance des objectifs de l’EI et des méthodes de ce groupe terroriste pour atteindre ses objectifs. Son adhésion à l’idéologie de l’EI est totale. Extrêmement motivé, voire obsédé, l’accusé est prêt à tout pour quitter le Canada afin de se rendre en Syrie pour intégrer l’EI. La preuve démontre également que l’accusé est prêt à tout pour aider l’EI à atteindre ses objectifs.

L’infraction perpétrée par l’accusé est une infraction de terrorisme. Il s’agit d’une circonstance aggravante formellement reconnue par le législateur. En outre, il n’est pas question ici du projet utopique et irréfléchi d’un adolescent manipulé ou mené sous le coup d’une impulsion. On parle plutôt d’un adulte grandement motivé qui a une parfaite connaissance des objectifs de l’EI et des méthodes utilisées par ce groupe terroriste et qui multiplie les démarches pour rejoindre la Syrie. L’accusé n’hésite d’ailleurs pas à s’investir dans une organisation criminelle, une organisation fictive de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Il presse même le patron de cette organisation fictive de lui faire quitter rapidement le Canada. Et l’accusé ne comptait pas se rendre en Syrie pour jouer un rôle passif. Il était prêt à tout pour l’EI, même à mourir. Ces éléments augmentent l’importance qu’il faut accorder à la gravité objective de l’infraction et à la culpabilité morale de l’accusé.

Sur le plan des circonstances atténuantes, seule l’absence d’antécédents judiciaires peut être prise en compte. L’avocat de la défense plaide que l’accusé est sans nouvelles de sa femme et de ses enfants depuis 15 mois, qu’il doit supporter les conséquences, car c’est lui qui les a envoyés en Syrie, et qu’il se remet en question. Peu de poids peut être accordé à ces éléments puisque le projet de se rendre en Syrie et d’intégrer l’EI était commun. La preuve démontre effectivement que la femme de l’accusé partage les mêmes convictions et adhère à la même idéologie. La preuve démontre aussi que la femme de l’accusé a pressé son mari de se rendre en Syrie et, dans l’intervalle, de faire le jihad au Canada. C’est donc par choix que celle-ci se trouvait en Syrie avec ses enfants. Quant à la possibilité de réhabilitation de l’accusé, aucune preuve n’est fournie. L’absence d’éléments de preuve sur la réinsertion sociale éventuelle de l’accusé est un élément important de la détermination de la peine. L’absence de données sur le risque de récidive est pertinente, particulièrement en ce qui concerne la nécessité d’isoler l’accusé du reste de la société. L’absence d’éléments de preuve sur le risque que l’accusé poursuive ou réactive son plan nous prive de l’assurance que celui-ci n’est plus acquis à la cause du jihad armé et du terrorisme. Dans l’arrêt Khawaja, la Cour suprême conclut que l’absence de données sur la récidive éventuelle, au vu d’une preuve convaincante de dangerosité, suffit pour justifier une peine plus sévère.

Vu la gravité des infractions de terrorisme, la Cour suprême a établi que la dénonciation et la dissuasion constituent des objectifs importants lorsqu’il s’agit d’arrêter la peine des auteurs de ces infractions. Le plus haut tribunal a toutefois bien pris soin de préciser que les infractions de terrorisme n’appartiennent pas à une catégorie d’infractions à part et que les principes généraux de détermination de la peine s’appliquent à ces infractions. Ainsi, la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Cela dit, plusieurs juges de différentes cours ont relevé certaines caractéristiques qui rendent le terrorisme particulièrement condamnable.

Dans la présente affaire, n’eût été l’enquête et l’intervention de la GRC, l’accusé aurait intégré l'un des groupes terroristes les plus fanatiques de la planète. Le fait que les autorités canadiennes aient déjoué les plans de l’accusé ne diminue en rien la gravité de l’infraction ni le degré de culpabilité morale de l’accusé. Pour ce qui est de la fausse déclaration relative à un passeport, l’accusé s’est donné beaucoup de mal pour tenter de berner l’agente de Passeport Canada. Le degré de préméditation et la nature de la fausse déclaration militent en faveur d’une peine d’emprisonnement d’un an. Quant à l’infraction de terrorisme, l’accusé cherchait désespérément à se rendre en Syrie pour intégrer l’EI, un groupe terroriste responsable de la mort de plusieurs civils innocents en Syrie et ailleurs dans le monde. L’accusé s’affairait depuis plusieurs mois à trouver une façon de se rendre en Syrie, il avait un plan pour liquider ses biens et il avait des contacts en Syrie. Une peine de huit ans d’emprisonnement est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé. Les peines imposées pour chacune des infractions sont consécutives, pour un total de neuf ans. Un crédit doit cependant être accordé à l’accusé pour le temps qu’il a passé en détention. C’est donc une peine d’emprisonnement d’un peu plus de six ans et demi que l’accusé devra purger. Par ailleurs, vu le paragraphe 743.6(1.2) C.cr., l’accusé devra purger la moitié de sa peine avant d’être admissible à la libération conditionnelle. En effet, la réprobation de la société à l’égard des infractions de terrorisme et le besoin de lancer un message dissuasif fort selon lequel ces crimes seront sévèrement punis font en sorte que la période d’admissibilité habituelle à la libération conditionnelle ne peut être appliquée en l’espèce. Une ordonnance de prélèvement d’échantillons de substances corporelles pour analyse génétique et une ordonnance d’interdiction de possession d’armes, de munitions ou d’explosifs sont également prononcées.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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