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Qualification, désignation et maintien des compétences du technicien qualifié en éthylomètre (TQE) : faute d'avoir maintenu ses compétences à jour, le policier qui a procédé à l'analyse des échantillons d'haleine de l'accusé n'était plus un TQE.

Résumé de décision : R. c. Pichette, EYB 2025-561033, C.Q., 13 janvier 2025
Qualification, désignation et maintien des compétences du technicien qualifié en éthylomètre (TQE) : faute d'avoir maintenu ses compétences à jour, le policier qui a procédé à l'analyse des échantillons d'haleine de l'accusé n'était plus un TQE.

Le coeur du débat dans la présente affaire repose sur la qualification, la désignation et le maintien des compétences de l'agent de la paix qui agissait à titre de technicien qualifié en éthylomètre (TQE) au moment des événements (1er janvier 2023). Il sera question de la Politique à l'égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre (la Politique), mais seulement dans sa version modifiée en février 2020 à la suite des amendements majeurs apportés par le projet de loi C-46. Cette mise en garde est importante, car le contenu de la Politique a été modifié le 7 mars 2024.

La première question en litige consiste à déterminer si le ministère public doit démontrer que l'éthylomètre approuvé a été manipulé par un TQE. Dans tous les cas, le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l'agent de la paix qui a manipulé l'éthylomètre approuvé au moment des faits était bien un TQE. Cela est nécessaire puisqu'il s'agit de l'une des conditions d'application de la présomption d'exactitude prévue au par. 320.31(1) C.cr. Et même si le ministère public ne bénéficie pas de cette présomption, une telle démonstration demeure nécessaire afin de garantir la fiabilité du résultat des analyses de l'éthylomètre approuvé. Le rôle du TQE dans le cadre du nouveau régime demeure crucial. C'est effectivement le TQE qui utilise son jugement professionnel et qui décide de la qualité des échantillons. C'est lui, aussi, qui, avant le prélèvement de chaque échantillon, doit faire un test à blanc ainsi qu'un test d'étalonnage. Le législateur le désigne même comme étant le seul pouvant opérer un éthylomètre approuvé aux termes de l'art. 320.11 C.cr. et de l'al. 320.4a) C.cr. En outre, la Cour suprême du Canada reconnaît que l'éthylomètre approuvé doit être manipulé par un TQE. Enfin, la jurisprudence de la Cour du Québec semble claire : le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l'éthylomètre approuvé était bien manipulé par un TQE au moment des faits.

Se pose maintenant la question de savoir comment la Politique doit être qualifiée. Bien que la Politique soit un document gouvernemental qui ne correspond pas à la définition traditionnelle de loi ou de règlement, elle répond néanmoins à la définition de « règlement » prévue à la Loi d'interprétation.

Subsidiairement, la Politique correspond à une politique gouvernementale qui s'apparente, tant sur la forme que sur le fond, à une loi, à un règlement ou à d'autres mesures législatives subordonnées. Une politique de cette nature peut avoir un effet juridique semblable à celui d'un règlement municipal s'il s'agit d'une règle obligatoire adoptée en vertu d'un pouvoir légal conféré à une entité gouvernementale. À l'inverse, il peut cependant arriver qu'une politique revête un caractère informel ou purement interne et qu'elle ne constitue essentiellement qu'une ligne directrice ou un guide d'interprétation, et non une règle juridique. Mais la Politique en cause dans la présente affaire est de nature législative, et non pas de nature administrative. La Politique a été mise en place sur la base de l'autorité du Code criminel, mais elle est aussi fondée sur la Loi sur la police, la Loi sur ministère de la Sécurité publique et la Loi d'interprétation. Elle est donc autorisée par la loi. Elle établit en outre des normes générales se voulant obligatoires. Le caractère obligatoire de ces normes est clairement révélé par une simple lecture de la Politique. Enfin, la Politique est suffisamment accessible (non remis en cause ici) et précise. Sur ce dernier point, la Politique permet aux personnes et entités qui y sont assujetties de se gouverner en conséquence. La Politique offre également des repères à celui qui l'applique. Conséquemment, la Politique est réputée constituer une « règle de droit ».

Puisque la Politique correspond à la définition de « règlement » prévue à la Loi d'interprétation ou, alternativement, est une politique gouvernementale de nature législative, elle doit être interprétée à la suite d'un exercice qui consiste à lire les termes des dispositions en cause dans leur contexte global en suivant leur sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la Politique, son objet et l'intention du législateur. En plus de l'analyse du texte, il faut aussi examiner le contexte, l'objectif législatif et tout autre principe d'interprétation législative pertinent. Finalement, il faut éviter toute interprétation qui serait susceptible de créer un conflit avec une autre disposition de la Politique ou qui irait à l'encontre de l'objet du régime législatif.

Une analyse de l'ensemble de la Politique démontre que la désignation du TQE est différente de sa qualification. La première résulte de la seconde et toutes deux sont révocables en cours de route. Par ailleurs, une lecture combinée des art. 18, 21 et 24 de la Politique démontre que le TQE qui ne satisfait pas aux trois critères de maintien des compétences ne peut plus manipuler un éthylomètre approuvé et perd sa qualification. Le directeur du corps de police doit alors retourner à l'École nationale de police du Québec (l'ENPQ) la carte de qualification et l'ENPQ doit aviser le ministre de la Sécurité publique (le ministre) pour que les actes de désignation soient modifiés en conséquence. Dans un tel scénario, celui qui était initialement qualifié et désigné à titre de TQE ne le serait plus. Cela entraîne de lourdes conséquences non seulement pour le TQE, mais aussi pour son organisation, qui ne peut vraisemblablement plus recourir à ses services.

Ce qui précède se bute à l'art. 25 de la Politique qui précise que le TQE qui satisfait à nouveau aux trois critères de maintien des compétences « peut manipuler un éthylomètre approuvé pour toute analyse d'échantillon d'haleine ». Conclure simplement que le TQE peut à nouveau manipuler un éthylomètre approuvé dans toute circonstance et sans autre formalité dès qu'il satisfait à nouveau aux trois critères de maintien des compétences équivaut à interpréter isolément l'art. 25 de la Politique. Il est nécessaire d'interpréter cette dernière disposition de façon cohérente avec les autres dispositions pertinentes (art. 18, 21 et 24, en l'occurrence). Il faut interpréter toutes ces dispositions afin de leur donner un sens. L'article 25 n'indique pas que le TQE retrouve aussitôt sa qualification perdue, ni qu'il récupère sa carte de qualification, ni qu'il est à nouveau dûment désigné par le ministre. Par conséquent, même s'il satisfait à nouveau aux trois critères de maintien des compétences, si le TQE veut manipuler un éthylomètre approuvé dans le cadre d'un dossier opérationnel faisant suite à un ordre donné par un agent de la paix en vertu du par. 320.28(1) C.cr., il faudra qu'il ait retrouvé sa qualification et que sa désignation à titre de TQE soit à nouveau effective. Il s'agit là de l'interprétation appropriée des articles pertinents de la Politique. Cette interprétation est également conforme avec l'objet de la Politique. De plus, elle cadre avec la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et la Loi sur la police, dont l'un des objectifs est d'implanter, d'améliorer et de mettre en œuvre les méthodes de détection et de répression de la criminalité. Qui plus est, une analyse cohérente de l'ensemble de la Politique démontre que le directeur du corps de police, l'ENPQ et le ministre conservent un rôle de supervision important auprès des TQE. Ceux-ci doivent donc être mis au courant lorsque l'une ou l'autre des exigences de la Politique n'est pas respectée. Une façon simple de s'en assurer est d'interpréter les délais prévus aux trois critères de maintien des compétences comme étant récurrents. Autrement, il devient difficile de voir comment les autorités supérieures seraient véritablement en mesure de s'acquitter de leurs responsabilités.

Qu'en est-il dans la présente affaire? Un doute raisonnable subsiste quant au fait que l'agent de la paix qui agissait à titre de TQE était bien un TQE. D'abord, l'acte de désignation dûment signé par le ministre et permettant à l'agent de la paix d'agir à titre de TQE n'a pas été produit. L'agent de la paix affirme même n'avoir jamais vu ce document. Or, selon l'art. 16 de la Politique, il s'agit du seul document qui permet à un agent de la paix d'agir à titre de TQE. Ensuite, l'agent de la paix n'a jamais pris connaissance de la Politique. Cela cadre évidemment mal avec ce que la carte de qualification prévoit. Mais cela est tout à fait cohérent avec la compréhension erronée de l'agent de la paix selon laquelle aucune conséquence ne découle du fait de ne pas se conformer à la Politique. Il y a plus. À deux reprises et pour des périodes significatives dans l'année précédant le présent dossier, l'agent de la paix a contrevenu à l'art. 21a) de la Politique. En vertu de cette disposition, le TQE doit avoir effectué dans les 90 derniers jours une manipulation de l'éthylomètre approuvé. Cette exigence a pour but de s'assurer que le TQE ne perd pas la main et est prêt à agir à ce titre. Certes, l'agent de la paix a bel et bien effectué des exercices qui collent à la partie supérieure de son registre d'actions, mais celle-ci n'est pas entièrement conforme au contenu de la Politique et la preuve ne démontre pas que les exercices effectués correspondent à la définition d'exercice qui figure à l'art. 21a)(ii). Par ailleurs, pour pouvoir valablement agir à titre de TQE, il ne suffisait pas que l'agent de la paix satisfasse à nouveau aux trois critères de maintien des compétences. La preuve devait démontrer qu'il était à nouveau qualifié et désigné. Somme toute, la preuve démontre que l'agent de la paix a contrevenu à la Politique. La preuve démontre également que l'agent de la paix a été laissé à lui-même afin d'interpréter ses obligations à titre de TQE et qu'il n'a pas fait l'objet de la supervision requise à cet égard. En effet, malgré l'effet combiné des art. 18, 24 et 26 de la Politique, le directeur du corps de police, l'ENPQ et le ministre n'ont pas été informés ou sont demeurés passifs face à la situation entourant la qualification, la désignation et le maintien des compétences de l'agent de la paix, et ce, malgré leurs responsabilités à cet égard. L'ensemble de la preuve tend à démontrer une forme de laxisme de la part des intervenants désignés par la Politique.

L'impact de la contravention à la Politique est significatif. L'agent de la paix a procédé à l'analyse des échantillons d'haleine de l'accusé à l'aide d'un éthylomètre approuvé alors qu'il n'était plus un TQE. Un doute raisonnable subsiste alors au sujet de la fiabilité des résultats.

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