Skip to content

Regarder l’heure sur son cellulaire lorsque l’on est immobilisé à un feu rouge est illégal

Résumé de décision : Montréal (Ville de) c. Njanda, EYB 2015-250034 (C.M., 24 février 2015)
Regarder l’heure sur son cellulaire lorsque l’on est immobilisé à un feu rouge est illégal

La défenderesse est accusée d'avoir conduit un véhicule routier en faisant usage d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique. Un policier l'a en effet observée au volant de son véhicule immobilisé à un feu rouge. Elle tenait un téléphone cellulaire dans sa main droite « au niveau du volant ». Selon le policier, elle semblait parler. La défenderesse dit, elle, qu'elle ne faisait que regarder l'heure sur son téléphone cellulaire. Le policier n'ayant pas observé la défenderesse très longtemps, il est possible qu'il se soit trompé au sujet du mouvement des lèvres qu'il prétend avoir vu. Sur les faits, donc, la défenderesse a soulevé un doute raisonnable et sa version est retenue. Il reste à trancher les questions de droit. Est-ce que l'infraction prévue à l'article 439.1 du Code de la sécurité routière (C.s.r.) peut être commise lorsque le véhicule du défendeur est immobilisé à un feu de circulation ? Est-ce que le simple fait de regarder l'heure sur son téléphone cellulaire est prohibé par l'article 439.1 C.s.r. ?

L'utilisation du téléphone cellulaire lorsque le véhicule est immobilisé à un feu de circulation fait l'objet de nombreux jugements par des tribunaux de première instance au Québec. La presque totalité de ces jugements déclare que cette activité est défendue par l'article 439.1 C.s.r. Dans l'un de ces jugements, le juge St-Pierre écrit que l'expression « pendant qu'il conduit un véhicule routier » vise aussi bien les situations où le véhicule est en mouvement que celles où le véhicule est immobilisé à un feu de circulation, à un signal d'arrêt ou en raison de la circulation. Dans un autre jugement, le juge Mandeville affirme, lui, que l'immobilisation d'un véhicule à un feu rouge ne fait pas perdre à la personne qui immobilise le véhicule sa qualité de conducteur; celle-ci assume toujours la direction et le contrôle physique du véhicule et est toujours engagée dans la circulation. Le juge Mandeville rappelle ensuite que le but recherché par l'adoption de l'article 439.1 C.s.r. est de contrer les distractions lors de la conduite d'un véhicule. Il mentionne, enfin, l'importance pour le conducteur immobilisé à un feu rouge de demeurer vigilant et de ne pas être distrait, précisément par l'usage d'un téléphone cellulaire.

À ce raisonnement fort convaincant, on peut ajouter deux autres arguments. Premièrement, le conducteur doit être attentif à tout ce qui l'entoure lorsqu'il est immobilisé à un feu rouge pour éviter d'être la cause d'un accident avec un véhicule en mouvement derrière lui et dont le conducteur croit, en raison du feu de signalisation devenu vert, que le véhicule devant lui est en train d'avancer. Deuxièmement, à l'article 439.1 C.s.r., le législateur interdit à la personne qui « conduit » un véhicule routier de faire usage d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique. À l'article 396 C.s.r., le législateur impose à toute personne dans un véhicule routier « en mouvement » l'obligation de porter la ceinture de sécurité. Si le législateur avait voulu limiter l'interdiction d'utiliser un téléphone cellulaire aux cas où le véhicule est en mouvement, il aurait très bien pu rédiger l'article 439.1 C.s.r. de la même manière que l'article 396 C.s.r.

La Cour supérieure ne semble pas avoir rendu une décision écrite directement sur cette question. Elle s'est néanmoins prononcée sur la question dans une décision rendue oralement. Cette décision est on ne peut plus claire quant au fait que l'immobilisation à un feu rouge constitue un acte de conduite d'un véhicule. Même si elle n'a été rendue qu'oralement, elle lie les tribunaux inférieurs du Québec par la règle du stare decisis. Par conséquent, il y a lieu de conclure que l'infraction prévue à l'article 439.1 C.s.r. peut être commise lorsque le véhicule du défendeur est immobilisé à un feu de circulation.

Depuis l'arrivée des téléphones intelligents, bien des gens ne portent plus de montre et se fient à leur téléphone pour connaître l'heure. On pourrait argumenter que regarder l'heure sur son téléphone n'est pas plus dangereux que de regarder l'heure sur sa montre. Il y a une différence, cependant. Pour voir l'heure sur sa montre lorsqu'on conduit, on n'a qu'à tourner légèrement le poignet. Il n'est même pas nécessaire d'enlever sa main du volant. Pour voir l'heure sur son téléphone, il faut enlever une main du volant, prendre le téléphone dans sa main, le porter à la hauteur des yeux et appuyer sur un bouton. Par la suite, il faut retourner le téléphone dans un endroit quelconque. Il y a donc un laps de temps important pendant lequel une main n'est plus sur le volant et où l'attention est détournée de la route. Certes, le risque d'accident est moins grand que lorsqu'un conducteur parle au téléphone ou lit un message texte. Il y a néanmoins une distraction et l'attention est détournée de la route.

En rédigeant l'article 439.1 C.s.r., le législateur a choisi de ne pas se limiter à interdire la conversation téléphonique et l'échange de messages texte. Il a interdit au conducteur de « faire usage » d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique. Un de nos collègues, le juge Alarie, a décidé que regarder l'heure sur un appareil muni d'une fonction téléphonique constitue un usage de cet appareil. La Cour supérieure a conclu, elle, que le simple fait de regarder l'afficheur sur son téléphone cellulaire, sans même presser un bouton, pour voir qui appelle constitue un usage de ce téléphone. Cette décision de la Cour supérieure lie les tribunaux inférieurs du Québec par la règle du stare decisis. Par conséquent, il y a lieu de conclure que le simple fait de regarder l'heure sur son téléphone cellulaire est interdit par l'article 439.1 C.s.r.

Pour ces motifs, la défenderesse est déclarée coupable de l'infraction reprochée.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

Ouvrir une session | Demander un essai gratuit

Également d’intérêt
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.