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Un règlement de zonage qui brime la liberté de religion des membres d’un centre islamique est déclaré inopposable à ce dernier

Résumé de décision : Montréal (Ville de) c. Centre islamique Badr, EYB 2017-274846 (C.S., 12 janvier 2017)
Un règlement de zonage qui brime la liberté de religion des membres d’un centre islamique est déclaré inopposable à ce dernier

La Ville de Montréal (la Ville) demande au tribunal d'ordonner au Centre Islamique BADR (le CIB) de cesser d'utiliser sa propriété de manière incompatible au règlement de zonage no 1886. Le CIB oeuvre auprès de la communauté musulmane. Il s'agit essentiellement d'un centre communautaire. Les voisins se plaignent de l'achalandage généré par les rassemblements pour la prière quotidienne ainsi que par les cérémonies religieuses.

Lorsque le CIB a présenté sa demande de certificat d'autorisation d'usage, en septembre 2004, le règlement de zonage permettait l'usage suivant : « un service administration (sic) et de gestion d'affaires et d'organisme, notamment les services afférents à un local d'un organisme religieux ». Or, la prière consiste en une activité naturellement incorporée à l'objet d'un organisme religieux. En décembre 2004, la Ville a modifié le libellé de la disposition réglementaire pour en exclure les « cérémonies religieuses ». Il faut en conclure que cette restriction n'existait pas auparavant. Le CIB n'est pas un lieu de culte comme le prétend la Ville. Il s'agit avant tout d'un centre communautaire. Puisque les activités religieuses du CIB représentent environ 30 à 40 % du temps d'usage, elles sont complémentaires et subordonnées à l'usage principal permis (organisme religieux). Le CIB détient ainsi le droit acquis de tenir des cérémonies religieuses et de faire la prière dans son local, depuis septembre 2004 et même avant. En effet, 15 % des lieux étaient utilisés pour des cérémonies religieuses dans le salon funéraire qui se trouvait antérieurement à cet endroit.

Le règlement no 1886-235 (adopté en 2004) ajoutait l'exclusion « sans assemblée ni cérémonie religieuse » alors que le règlement no 1886-278 ajoutait des zones où l'usage « lieux de culte » était permis. La Ville n'a pas manqué à son obligation d'équité procédurale lors de l'adoption de ces règlements. Le CIB a eu plusieurs opportunités de faire des représentations, dans la mesure où les règlements ont été adoptés conformément aux dispositions de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme.

Le règlement de zonage no 1886 (résultant de la modification de décembre 2004) brime la liberté de religion des membres du CIB et doit être déclaré inopposable à ce dernier. D'entrée de jeu, il n'y a aucun doute que les membres du CIB partagent des croyances religieuses sincères. Le local choisi en 2004 était le seul qui permettait la tenue d'activités communautaires et de cérémonies religieuses. Les emplacements où était autorisé l'usage « lieux de culte » étaient déjà occupés. Cette situation a perduré au moins jusqu'en 2008. Même si des zones autorisant l'usage « lieux de culte » ont été ajoutées entre 2008 et 2010, celles-ci sont surtout situées en zone industrielle. En plus de favoriser un phénomène de ghettoïsation, un tel emplacement est susceptible d'occasionner un problème d'accès. En outre, il y a un élément discriminatoire à considérer : les églises catholiques montréalaises se trouvent généralement en milieu résidentiel. Tout bien considéré, la réglementation de zonage nuit et porte atteinte d'une manière plus que négligeable ou significative à la capacité des membres du CIB de se conformer à leurs croyances religieuses.

Vu ce qui précède, la demande de la Ville doit être rejetée.

Ce n'est pas tout. Des circonstances exceptionnelles et rarissimes militent ici en faveur de l'application du principe de préclusion. La Ville a eu un comportement répréhensible. Ses préposés ont agi de mauvaise foi en modifiant la demande du CIB pour y ajouter la mention « sans cérémonie ». Il a fallu plus de trois ans et demi avant que la Ville réponde à la demande. Cela dénote une négligence grossière. Le CIB n'aurait pas acheté l'immeuble, n'eût été cette négligence. La Ville aurait pu aviser le CIB de son intention d'interdire les lieux de culte dans le secteur, dès novembre 2004. La Ville savait que le CIB tenait des activités religieuses. Après l'avis de motion d'octobre 2004, il aurait été urgent de traiter la demande de certificat d'usage du CIB. Or, la Ville n'a pas soulevé de problème avant 2007. Elle a toléré les activités religieuses qui se tiennent à cet endroit depuis 1991. Pour sa part, le CIB a toujours agi avec bonne foi et diligence. Il n'a jamais cherché à cacher ses activités religieuses. Il a effectué des démarches en vue de déménager. Enfin, le maintien de la situation dérogatoire est moins préjudiciable pour la Ville que ne le serait la cessation des activités religieuses pour le CIB. En somme, il y aurait lieu pour le tribunal d'exercer sa discrétion judiciaire et d'ainsi rejeter le recours de la Ville.

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