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Une personne transsexuelle obtient la garde partagée de son enfant

Résumé de décision : P. (K.) c. S. (C.), sub nom. Droit de la famille – 151902, EYB 2015-255210 (C.S., 23 juin 2015)
Une personne transsexuelle obtient la garde partagée de son enfant

Un père, soit la demanderesse, qui procède à une transition d'identité sexuelle et une mère, soit la défenderesse, qui démontre peu d'ouverture vis-à-vis cette transition; entre les deux, X, une enfant de neuf ans dont ils se disputent la garde. Voilà la situation dont est saisi le tribunal.

Le rapprochement physique de la demanderesse près de la résidence de la défenderesse, la disponibilité de la demanderesse et le comportement de la défenderesse sont des changements significatifs qui touchent l'enfant et qui n'étaient pas raisonnablement prévisibles lorsque la dernière ordonnance fut établie, en décembre 2012. En février 2013, le médecin traitant de la demanderesse pose le diagnostic qu'il ne peut être question d'un retour à temps plein en médecine, même à long terme. Ainsi, la demanderesse n'a plus aucune raison de tenter de compléter sa résidence en médecine ni de conserver sa résidence près de l’hôpital situé en région éloignée où elle comptait la compléter. Au même moment, la demanderesse apprend que la défenderesse déménagera sur la rive sud de Ville A à l'été 2013 avec un nouveau conjoint et que l'enfant changera d'école. La demanderesse n’est pas consultée sur le choix de l'école. À l'automne 2013, la demanderesse s'installe dans la même ville que la défenderesse. La défenderesse affirme à tort que le déménagement de la demanderesse est un changement dans la situation de cette dernière et non de celle de l’enfant. En effet, la Loi sur le divorce prévoit que, dans l’établissement d’une ordonnance, les tribunaux doivent favoriser le plus de contact possible avec chaque parent, lorsque compatible avec l’intérêt de l’enfant, le rapprochement d’un parent qui permet d’envisager des contacts plus fréquents avec celui-ci apparaît comme un élément à considérer à titre de changement important. Il sera traité plus loin du comportement de la défenderesse.

Il y a lieu d’établir une garde partagée. Quoique la défenderesse ait attaqué la capacité parentale de la demanderesse au procès, aucun fait nouveau n’est survenu depuis la reconnaissance de cette capacité par la défenderesse dans les ententes intervenues en 2012.

Les deux parties sont toutes deux en mesure de répondre aux besoins matériels et affectifs de X. La garde partagée permettra de doubler les accès de fin de semaine chez la défenderesse sans rien enlever à la relation de la demanderesse avec l’enfant.

Là où la situation mérite attention, c’est au sujet de l’environnement chez la demanderesse. Dans des rapports, la psychologue de X note le malaise de celle-ci à aborder le sujet de la transition de genre de la demanderesse avec son cercle scolaire et social. La demanderesse elle-même croit que l’enfant éprouve certains malaises en certaines circonstances en public. Il y a lieu de conclure que l'enfant éprouve une gêne à l'égard de la transition de genre subie par celle qui est son père biologique. Elle n'est pas prête à assumer la situation. L’un des facteurs empêchant X de poursuivre son adaptation est le manque de soutien et compréhension de la situation par la défenderesse et son conjoint. Or, X est à l'aube de l'adolescence. Il faut qu’elle puisse consolider sa relation avec la demanderesse avant d'entrer dans cette période où elle cherchera son indépendance. Notons par ailleurs que la défenderesse est plus exigeante que la demanderesse sur le plan de la formation scolaire et qu’elle a tendance à demander à X de refaire les devoirs supervisés par la demanderesse, une situation qui ne se reproduirait plus en cas de garde partagée, les devoirs devant être remis à l’enseignant à la fin de la semaine.

Par ailleurs, la défenderesse refuse systématiquement d’apparaître publiquement en compagnie de la demanderesse et elle refuse même que la demanderesse vienne reconduire l’enfant chez elle après les accès. Elle offre certaines explications pour son attitude, en général reliées au fait que l’enfant est inconfortable par la situation. Ainsi, plutôt que de donner l’exemple, faire preuve d’ouverture et aller vers l’autre, la défenderesse refuse les contacts. L’enfant n’est pas dupe. Si sa mère ne le fait pas, elle ne se sent pas autorisée à le faire. La défenderesse a tendance à ignorer la demanderesse dans certaines des décisions qui relèvent de l'autorité parentale. Il n’y a aucune consultation pour le changement d’école de l’enfant, aucune discussion avant la prise de rendez-vous chez le médecin ou le dentiste et aucune consultation avant d'inscrire l'enfant à certaines activités. Les comptes-rendus n’arrivent que sur demande. Ceci laisse présager que, si la situation actuelle est maintenue, le rôle de la demanderesse sera de plus en plus réduit. Récemment, l'enfant a fait un dessin de sa famille à la faveur d'une nouvelle rencontre avec l'expert. Dans ce dessin, il n'y a pas de place pour la demanderesse. Lors de son entretien avec le tribunal, l'enfant décrit pourtant une grande famille élargie qui comprend les cousines, les grands-parents et la demanderesse. Le comportement de la défenderesse laisse croire qu’en dépit de son engagement à cet égard, elle n’a aucunement l’intention de préserver ou de renforcer les liens entre l’enfant et la demanderesse.

La demanderesse se montre ouverte par rapport au rôle de mère de la défenderesse. Elle reconnaît son importance et ne cherche pas à usurper son rôle. Par contre, le couple formé par la défenderesse et son conjoint n’accepte pas la nouvelle identité de genre de la demanderesse. Notamment, pendant son témoignage, madame fait souvent référence à la demanderesse par les termes « il », « lui » ou « son père » . Si cette attitude se perpétue en toutes circonstances, l’enfant ne peut que conclure que la famille de la défenderesse désapprouve la transition de la demanderesse.

Par ailleurs, puisqu’il existe d’autres solutions pour pallier aux difficultés de communications entre les parties, cela ne doit pas faire obstacle à la garde partagée. Quant au désir de X, cette dernière semble être préoccupée par la fréquence des échanges entre les domiciles et le peu de fins de semaine avec la défenderesse. Elle n’exprime toutefois aucune réserve sur le fait d’aller chez la demanderesse. Il résulte de son témoignage que X éprouve une certaine anxiété avant les échanges, mais rien qui fasse obstacle à la garde partagée. En fait, le tribunal conclut des réponses données à ses questions par X que celle-ci n’est pas encore assez mature pour former une opinion motivée. Elle est habituée à ce que l’on réponde à ses désirs. Il est périlleux d’accorder trop de poids aux désirs exprimés à ce stade, ceux-ci pouvant être influencés par les perceptions de l’enfant plutôt que son intérêt supérieur.

La modification de la garde pourrait être positive pour X, l’impression de « yo-yo » communiquée par l'enfant, tant à l'expert en 2015, qu’au tribunal, sera amoindrie avec des changements de résidence moins fréquents. Puis, les horaires seront plus prévisibles, les exceptions rendues nécessaires pour tenir compte de tel ou tel congé seront moins nombreuses. Enfin, il y aura davantage de fins de semaine passées chez la défenderesse.

Enfin, le critère de la proximité des résidences est rempli. En somme, la garde partagée permettra de renforcer le lien entre la demanderesse et l'enfant sans pour autant affecter l'attachement de l'enfant à la défenderesse. Toutefois, en raison des nouvelles modalités de garde, il faudra s’assurer que X puisse entrer en contact avec l'autre parent par voie téléphonique ou caméra web lorsqu’elle en exprime le désir. Pendant l'année scolaire, le transfert de responsabilité de l'enfant se fera à l'école. Le parent qui termine sa garde devra l'y amener (ou la reconduire à l’autobus) et le parent qui commence sa garde devra l'y prendre en charge (à l'autobus ou à l'école). Pour les autres circonstances, le transport de l'enfant pose problème. La défenderesse refuse que la demanderesse vienne conduire l'enfant chez elle à la fin de ses accès. L'enfant a grandi et est maintenant en mesure de se rendre seule de la voiture à la résidence de l'un ou l'autre de ses parents. Le fait de raccompagner l'enfant chez l'autre parent permet de rassurer l'enfant sur le sentiment du parent qui termine sa garde en confirmant par son geste de raccompagnement qu'il est d'accord pour qu'elle voie l'autre parent. Le raccompagnement élimine l'anxiété d’attendre que l'autre parent arrive. La responsabilité du raccompagnement sera donc partagée entre les parents.

Par ailleurs, la demanderesse souhaite obtenir un deuxième avis avant de soumettre l'enfant à un traitement qui pourrait, croit-elle, affecter son estime d'elle-même. Les traitements d'orthodontie sont aujourd'hui la norme plutôt que l'exception. X ne semble pas perturbée par la possibilité d'avoir un tel traitement bien qu’elle se soit dit en désaccord. Ses motifs étaient toutefois enfantins ce qui est probablement normal à cet âge. Certaines de ses amies subissent un tel traitement. Le traitement proposé et ce qui le motive ont été déposés en preuve. Le refus de la demanderesse a déjà retardé le traitement d'une année et l'obtention d'une autre opinion risque de desservir les parties et l'enfant si elle crée une nouvelle dissension. Il convient d’autoriser le traitement parce qu’il est dans l’intérêt supérieur de l'enfant de procéder rapidement, le tout aux frais des parties en proportion de leurs revenus.

Dans un autre ordre d’idées, l'expert recommande de maintenir les consultations avec la psychologue afin que l'enfant puisse avoir un espace où communiquer hors la présence de l'un et l'autre de ses parents. Il convient donc d’autoriser la reprise des consultations et de laisser à la psychologue le soin de déterminer ce qu'elle peut communiquer aux parents afin de protéger sa patiente. Étant sensible au voyagement pendant l'année scolaire, ces consultations avec une psychologue située à Ville A ne pourront avoir lieu que pendant la période estivale et les congés pédagogiques, aux frais des parties, suivant leurs revenus. Il leur est fortement recommandé de chercher un autre psychologue situé plus près de leurs résidences afin de favoriser la consultation.

La demanderesse voyage fréquemment aux États-Unis et elle doit demander l'autorisation de la défenderesse pour y amener l'enfant. Cette autorisation est rarement donnée dans les délais prévus aux ordonnances antérieures. Il n'y a aucune crainte d'enlèvement soulevée par les parties. La défenderesse souhaite n’avoir à accorder l’autorisation que sur demande, du moins pour les voyages autres que ceux au chalet de la demanderesse qui est également situé aux États-Unis. Cette situation lui donne un certain contrôle, mais elle crée également des occasions de conflit inutiles. Il y a lieu de permettre à chaque partie de voyager avec l'enfant aux États-Unis sans la permission de l'autre parent pour une période d'au plus huit jours. Pour faciliter l'application de cette ordonnance, il est plus pratique d'ordonner aux parties de se fournir mutuellement telle autorisation. Ceci évitera d'avoir à montrer le jugement à la douane. Les parties devront s'abstenir de référer à leur statut biologique en émettant cette autorisation.

Tout ce qui concerne les éléments de l'autorité parentale devra être communiqué à l'autre parent. Le tribunal a l'impression que, par l'obtention de la garde, la défenderesse a cru avoir plus de liberté sur le plan de l'autorité parentale. Tel n'est pas le cas. Aucun rendez-vous médical, sauf en cas d'urgence, ne devra être pris, aucune activité qui impacte sur le temps de garde de l’autre parent convenue, aucun changement du programme scolaire, ni aucune autre décision relevant de l'autorité parentale ne devra être prise, sans avoir d'abord été communiquée à l'autre parent, lequel aura 72 heures pour signifier son accord ou son opposition. Dans le cas d’un changement d’école ou un déménagement, le préavis sera plus long. Sans accord, le parent qui fait la demande devra s'abstenir et s'adressera soit à un médiateur, si les parties en conviennent, ou aux tribunaux, pour obtenir une décision. Il demeurera loisible aux parties de se partager la responsabilité des rendez-vous médicaux ou autres d’une année à l’autre, bien qu’il soit préférable qu’elles y assistent ensemble.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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