Skip to content

Voies de fait commises lors d'une partie de hockey de la Ligue de hockey senior AAA du Québec : la Cour conclut qu’il est temps de dénoncer les bagarres au hockey et invite les ligues de hockey à agir en ce sens.

Résumé de décision : R. c. Petiquay, C.Q., 24 septembre 2021
Voies de fait commises lors d'une partie de hockey de la Ligue de hockey senior AAA du Québec : la Cour conclut qu’il est temps de dénoncer les bagarres au hockey et invite les ligues de hockey à agir

L'accusé s'est reconnu coupable de voies de fait causant des lésions corporelles et de bris de probation. Les voies de fait ont été commises lors d'une partie de hockey de la Ligue de hockey senior AAA du Québec (Ligue de hockey). À ce même moment, l'accusé était soumis à une ordonnance de probation, d'où le bris de probation. Après avoir consenti à modifier le mode de poursuite pour permettre qu'une telle peine puisse être imposée, le ministère public suggère un emprisonnement avec sursis de 15 mois. Cette suggestion aurait notamment pour effet de reconnaître le traumatisme intergénérationnel subi par l'accusé, un Autochtone. De son côté, l'avocat de la défense propose un sursis de peine, l'exécution de 150 heures de service communautaire et une interdiction de jouer au hockey dans une ligue professionnelle ou semi-professionnelle. Il s'agit de déterminer quelle est la peine juste et appropriée.

Le geste posé par l'accusé à l'endroit de la victime (un homme qui exerce le métier d'émondeur et qui jouait au hockey pour le plaisir du sport) est très grave. Il s'agit d'un geste gratuit et d'une violence inouïe. Pendant une mêlée générale, l'accusé a foncé sur la victime et lui a assené un violent coup de poing au visage. Cette dernière, qui ne désirait pas se battre, n'a pas eu le temps de voir venir l'accusé et n'a pas été en mesure de se protéger. Elle a perdu son casque et s'est affaissée lourdement sur la patinoire, après quoi l'accusé s'est jeté sur elle. Cette attaque sournoise que la victime a subie a entraîné des conséquences importantes, voire irréversibles. La victime, qui a été en arrêt de travail pendant près d'un an et qui ne pourra plus jamais jouer au hockey, vit encore aujourd'hui avec d'importantes séquelles (perte d'audition partielle, étourdissements, maux de tête, baisse du niveau d'énergie). De plus, l'accusé n'en est pas à ses premiers démêlés avec la justice criminelle. Il a une dizaine de condamnations à son actif, dont quatre en matière de violence contre la personne. L'une de ces condamnations concerne même un autre coup que l'accusé a assené lors d'une partie de hockey (coup de bâton à la tête) et qui a mis un terme à la carrière d'un autre joueur. Qui plus est, le risque de récidive est toujours présent.

L'avocat de la défense soutient que la responsabilité de l'accusé n'est pas entière. Selon lui, la Ligue de hockey, ses équipes et leur personnel devraient porter une part de responsabilité, car ils tolèrent et même encouragent les bagarres. L'avocat de la défense n'a pas tout faux. L'accusé a déjà été suspendu par la Ligue de hockey pour un geste similaire (coup de bâton à la tête pour lequel il a été condamné au criminel), mais cette suspension a été levée après que les dirigeants de son équipe eurent allégué ses bonnes intentions et eurent offert une somme de 1 250 $ aux autorités de la Ligue de hockey. En outre, il le reconnaît d'ailleurs lui-même, l'accusé ne s'est pas vu offrir un contrat pour son maniement de rondelle ni pour son coup de patin, mais pour se battre. Son rôle était de « protéger » les joueurs de son équipe qui étaient plus talentueux que lui. L'embauche de pugilistes déguisés en joueurs de hockey est à proscrire. La société évolue. Il est temps de dénoncer les bagarres au hockey. Le risque que posent ces bagarres pour les joueurs est trop grand. Et il est faux de prétendre que ces bagarres font partie du sport. Les ligues de hockey devraient bannir les bagarres et les contrevenants devraient être punis plus sévèrement. Le droit criminel s'applique à toute la société — les patinoires n'y font pas exception — et tant aux individus qu'aux organisations. Le Code criminel prévoit également des dispositions pour les participants aux infractions. Et à ceux et celles qui seraient tentés d'invoquer la notion de consentement, la Cour suprême du Canada a depuis longtemps précisé que deux adultes ne peuvent consentir à « s'infliger mutuellement des blessures graves ou de sérieuses lésions corporelles au cours d'une rixe ou d'une bagarre à coups de poing. » La victime dans la présente affaire a eu le courage de saisir les tribunaux. Ces derniers ont le devoir de faire un pas de plus pour que de tels gestes ne se reproduisent plus. Somme toute, la responsabilité morale de l'accusé n'est pas entière; elle est partagée. Mais l'accusé doit assumer sa part de responsabilité.

Les peines imposées dans un contexte de violence au hockey n'impliquent généralement pas d'emprisonnement. Il faut dire que les délinquants en sont souvent à leur premier passage devant les tribunaux et n'ont donc pas d'antécédents judiciaires. La situation est cependant différente en l'espèce. La dénonciation et la dissuasion, tant spécifique que générale, doivent être priorisées. L'accusé doit comprendre que son geste ne peut être toléré. La peine qui lui a été imposée dans le passé pour un geste similaire (coup de bâton à la tête) n'a pas eu l'effet dissuasif escompté. Si l'on ajoute ses quatre condamnations antérieures en matière de violence contre la personne, force est de constater que, cette fois, le message doit être sans équivoque. Ce message s'adresse aussi à tous les joueurs de hockey qui seraient tentés de se livrer à de tels actes de violence ainsi qu'aux différentes organisations sportives qui devraient interdire les bagarres et protéger davantage les joueurs. Cela dit, il ne faut pas mettre de côté l'objectif de réinsertion sociale. L'accusé a une stabilité relationnelle et occupationnelle puis un degré de conscientisation adéquat. Il exprime en outre des remords et des regrets sincères. De plus, il a fait plusieurs efforts ces dernières années pour s'affranchir de son assuétude aux drogues et à l'alcool et il propose de s'impliquer dans des programmes thérapeutiques autochtones. Il lui reste à faire des efforts pour être capable de gérer sa colère, son impulsivité et son agressivité.

Une peine de six mois d'emprisonnement aurait pu être justifiée dans les circonstances de la présente affaire. Il faut toutefois examiner si d'autres peines moins contraignantes peuvent être imposées et, particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, si d'autres sanctions substitutives seraient raisonnables. L'accusé a pu bénéficier par le passé de sursis de peine, d'amendes et de mesures probatoires. Malgré cela, il a récidivé alors même qu'il était en probation. En pareilles circonstances, même en considérant les facteurs historiques et systémiques, l'on ne peut imposer à nouveau une peine non privative de liberté. Cela aurait pour conséquence d'envoyer un mauvais message à l'accusé et à la collectivité. Ce qu'il faut, ici, c'est une peine d'emprisonnement. Au chapitre des sanctions substitutives raisonnables, l'emprisonnement avec sursis apparaît alors comme étant la meilleure avenue. Cette peine permettra d'encadrer et de guider l'accusé afin d'empêcher qu'il commette d'autres actes de violence. Mais elle permettra aussi à l'accusé de conserver son emploi et de voir aux besoins de sa famille. Cette peine tient compte, également, de la surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral.

Ainsi que le mentionne le plus haut tribunal du pays, il n'est pas nécessaire qu'il y ait équivalence entre la durée de la peine d'emprisonnement avec sursis et la durée de la peine d'emprisonnement ferme qui aurait autrement été infligée. Par conséquent, à la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de condamner l'accusé à une peine d'emprisonnement avec sursis de neuf mois pour les voies de fait causant des lésions corporelles et à une peine d'emprisonnement avec sursis de trois mois pour le bris de probation, les peines étant concurrentes entre elles. Une ordonnance de probation d'une durée de deux ans avec un suivi probatoire d'une durée de 18 mois est également prononcée. Jusqu'à l'expiration de cette ordonnance de probation, il sera interdit à l'accusé de jouer au hockey dans une ligue professionnelle ou semi-professionnelle.

Également d’intérêt
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.