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Retour sur la notion d’acheteur prudent et diligent

Par Florence Lane Bossé, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
Retour sur la notion d’acheteur prudent et diligent

La garantie légale de qualité prévue à l’article 1726 du Code civil du Québec impose au vendeur de garantir à l’acheteur que le bien vendu est exempt de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel il est destiné. Or, ce dernier n’est pas tenu de garantir le vice connu de l’acheteur ni le vice apparent.

Un vice apparent est celui qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

La décision de la Cour supérieure de 1999 Lavoie c. Comtois (REJB 1999-16081 – Texte intégral | Fiche quantum) est venue définir la notion d’acheteur prudent et diligent. Même si cette décision date de 1999, elle est toujours d’actualité et est encore régulièrement citée pour définir la notion d’acheteur prudent et diligent. Il s’agit d’une décision de principe en la matière.

Dans cette décision, la défenderesse (vendeuse) était propriétaire d’une maison centenaire. En 1988, après avoir constaté des infiltrations d’eau, cette dernière a procédé à la réfection de la toiture et à l’application d’un scellant pour tenter de corriger le problème.

En 1998, lorsque les demandeurs (acheteurs) ont souhaité acheter la maison, ils ont été informés de problèmes d’infiltrations d’eau et des travaux qui avaient été effectués. Un inspecteur préachat les avait également informés de ces problèmes d’infiltrations d’eau. Ce n’est que trois (3) mois après l’achat de la maison que les demandeurs/acheteurs ont intenté une action en annulation de la vente pour vices cachés et fausses représentations.

L’action en annulation de la vente a été rejetée. La Cour mentionne clairement qu’il y a eu non seulement une absence de fausses représentations, mais également que les acheteurs/demandeurs n’ont pas agi en acheteurs prudents et diligents.

Dans cette décision, l’honorable André Rochon, j.c.s., à ce moment à la Cour supérieure, définit la norme de l’acheteur prudent et diligent et nous rappelle que même si l’exigence de recourir aux services d’un expert a été spécifiquement exclue par le législateur en 1994 avec l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, le fait de ne pas retenir un expert, dans certaines situations, pourra être assimilé à un manque de prudence et de diligence :

17 L'acheteur prudent et diligent d'un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l'affût d'indice[s] pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit, il doit pousser plus loin sa recherche. D'une part, on ne peut exiger d'un acheteur prudent et diligent une connaissance particulière dans le domaine immobilier. D'autre part, on ne peut conclure au vice caché si le résultat d'un examen attentif aurait amené une personne prudente et diligente à s'interroger ou à soupçonner un problème. À partir de ce point, l'acheteur prudent et diligent doit prendre des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour connaître l'état réel du bâtiment. Il ne saurait se replier sur son manque de connaissance si son examen lui permet de soupçonner une anomalie quelconque.
18 Il faut donc examiner, suivant chaque cas d'espèce, la conduite d'un acheteur prudent et diligent. Antérieurement à 1994 on exigeait également de l'acheteur qu'il soit prudent et diligent. Sans revenir à l'ancienne règle jurisprudentielle au sujet des experts, il sera possible dans certains cas que le fait de ne pas recourir à un expert soit perçu, en soi, comme un manque de prudence et de diligence. Le tribunal ne veut pas réintroduire dans notre droit une exigence spécifiquement exclue par le législateur en 1994. Par ailleurs, cette exclusion ne saurait être interprétée comme autorisant l'acheteur à agir de façon insouciante ou négligente. Cet acheteur ne fera pas preuve de prudence et de diligence alors qu'il existe des indices perceptibles pour un profane, s'il ne prend pas les moyens (y compris le recours à des experts le cas échéant) de s'assurer que l'immeuble est exempt de vice.

«L'acheteur prudent et diligent d'un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l'affût d'indice[s] pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit, il doit pousser plus loin sa recherche.»

Le juge Rochon souligne que les demandeurs ne pouvaient ignorer le vice. Ils ont été mis au courant de la problématique d’infiltrations d’eau non seulement par les vendeurs, mais par le rapport d’inspection préachat. Ils n’ont pas « pris les mesures nécessaires pour connaître l’ampleur du problème […] ». En ce sens, ils n’ont pas agi en acheteurs prudents et diligents.

Il n’est pas nécessaire de recourir à un expert pour invoquer la garantie légale de qualité prévue à l’article 1726 C.c.Q. L’acheteur qui décide de retenir les services d’un inspecteur préachat avant la vente ne se verra pas imposer une norme plus sévère pour ainsi voir sa prudence être tournée à son désavantage. Peu importe si l’acheteur retient ou non les services d’un inspecteur préachat, la norme demeure la même : soit celle de l’acheteur prudent et diligent. Comme mentionné dans un précédent billet, la question [est] de savoir si le défaut était caché pour un acheteur prudent et diligent et non pas de savoir si un expert l’aurait vu.

Dans l’arrêt de 2014 de la Cour d’appel Paulin c. Gauthier (EYB 2014-243286 – Texte intégral | Fiche quantum), la Cour d’appel résume les obligations de l’acheteur prudent et diligent et nous rappelle que l’acheteur devra notamment être plus vigilant lorsqu’il fait l’acquisition d’un immeuble commercial ou industriel :

[4] En plusieurs occasions, la jurisprudence de notre Cour a traité des obligations de l’acheteur en matière de vices cachés. Ces obligations se résument ainsi :
  • L’acheteur prudent et diligent doit procéder à un examen visuel attentif et complet de l’immeuble et doit demeurer à l’affût de tout indice pouvant laisser soupçonner un vice;
  • Si l’acheteur soupçonne un problème, il doit prendre les mesures raisonnables pour connaître l’état réel du bâtiment, dont le recours aux services d’un expert;
  • Il doit vérifier ou faire vérifier ce qui est suspect, sans quoi le vice peut être qualifié d’apparent, selon les circonstances de l’affaire;
  • L’acheteur devra être plus vigilant selon la vocation de l’immeuble; un immeuble à vocation commerciale ou industrielle devra le conduire à un examen plus minutieux qu’un immeuble à vocation résidentielle;
  • L’acheteur prudent et avisé doit examiner très soigneusement un vieil immeuble; ne pas examiner les effets de l’âge sur les composantes peut constituer une imprudence.

«L'acheteur prudent et diligent d'un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l'affût d'indice[s] pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit, il doit pousser plus loin sa recherche.»

L’intensité de la norme de l’acheteur prudent et diligent peut varier et exiger dans certaines circonstances que l’acheteur soit plus vigilant et minutieux, notamment en présence d’un vieil immeuble, d’un immeuble commercial ou industriel, s’il soupçonne un problème ou si l’inspecteur préachat recommande une analyse plus poussée. En ce sens, une problématique touchant un immeuble ne sera pas nécessairement considérée comme un vice caché si un acheteur prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances et ayant la même expérience et compétence que l’acheteur en cause, aurait pu découvrir le vice.

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