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La hausse du seuil monétaire de la Division des petites créances de la Cour du Québec s’applique uniquement aux demandes déposées (par opposition à signifiées) après le 1er janvier 2015

Résumé de décision : Mayco Financial Corporation c. Rosenberg, EYB 2015-254838 (C.A., 23 juillet 2015)
La hausse du seuil monétaire de la Division des petites créances de la Cour du Québec s’applique uniquement aux demandes déposées (par opposition à signifiées) après le 1er janvier 2015

L'appel pose une question d'interprétation législative. Il s'agit de déterminer à quel moment s'applique la hausse de la compétence d'attribution (de 7 000 $ à 15 000 $) de la Division des petites créances de la Cour du Québec, comme prévu par l'article 2 de la Loi modifiant le Code de procédure civile et d'autres dispositions (LMCPC). Cela exige de définir le mot « saisie » utilisé à l'article 13 de cette loi, lequel article se lit ainsi : « [l]es affaires qui, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi [le 1er janvier 2015], deviennent de la compétence de la Division des petites créances de la Cour du Québec se poursuivent devant la chambre de la Cour du Québec qui en est déjà saisie ». Le juge de première instance a accordé la demande de transfert du dossier à la Division des petites créances présentée par les intimés; il a conclu que la Cour du Québec n'était pas déjà saisie de l'affaire en date du 1er janvier 2015, puisque, bien que la demande ait été produite et timbrée au greffe de ce tribunal le 23 décembre 2014, ce n'est que le 6 janvier suivant qu'elle a été signifiée aux intimés. On demande à la Cour d'appel de déterminer à quel moment la Cour du Québec est « saisie » d'une demande au sens de l'article 13 LMCPC : est-ce au moment où la procédure est déposée au greffe de la cour ou est-ce plutôt au moment où elle est signifiée à la partie défenderesse ?

La consultation des dictionnaires constitue le point de départ de tout exercice d'interprétation, mais, en l'espèce, l'exercice n'éclaire pas vraiment la discussion sur la question de savoir si c'est le dépôt de la procédure qui confère la saisine ou si celle-ci dépend de la signification de la procédure. En effet, dans les définitions trouvées, on se limite à dire que le tribunal est saisi d'une affaire, ou qu'il en a la saisine, lorsqu'un plaideur s'adresse à lui pour qu'il se prononce sur une demande. La recherche de l'objectif de la loi, ou de l'intention du législateur, nous éclaire davantage.

Il faut d'abord expliquer que l'objectif du projet de loi no 14 — qui est devenu la LMCPC — est la mise en oeuvre accélérée de certaines dispositions du nouveau C.p.c. pour devancer le moment où les justiciables pourront profiter de la procédure allégée propre aux petites créances. Cela ne signifie pas que le législateur souhaitait provoquer la migration vers la Division des petites créances de tous les dossiers dont la réclamation est inférieure au nouveau seuil de compétence de cette division. Au contraire, le libellé de l'article 13 LMCPC et celui de l'article 833 du nouveau C.p.c. (qui énonce que le nouveau Code est, dès son entrée en vigueur, d'application immédiate) vont à l'opposé, en indiquant expressément que, toutefois, les affaires « se poursuivent » devant la Cour qui en est déjà saisie. La ministre de la Justice expliquait d'ailleurs, à propos de l'article 13 LMCPC, que les dossiers en cours sont maintenus à la Cour du Québec et qu'ils ne sont pas transférés à sa Division des petites créances. La ministre expliquait aussi, lors des débats portant sur l'article 833 du nouveau C.p.c., que, lorsque le tribunal est « saisi » d'une affaire, celle-ci n'est pas transférée à un autre tribunal dont la compétence a été modifiée. Le législateur aurait pu prévoir le transfert des dossiers d'une cour à l'autre, comme il l'avait fait de manière expresse en 1984, lors de l'augmentation du seuil de compétence de la Cour provinciale. L'on constate toutefois qu'il a ici opté pour une approche différente. Son objectif est double : 1) permettre aux justiciables de se prévaloir de l'augmentation du seuil des petites créances le plus rapidement possible avant l'adoption du nouveau C.p.c.; et 2) éviter que l'entrée en vigueur de ce seuil entraîne le transfert des dossiers devant un autre tribunal. Cette voie a été choisie, comme le souligne la ministre de la Justice, pour respecter la règle d'interprétation prévoyant « l'effet immédiat de la loi nouvelle », sous réserve des exceptions indiquées. Selon cette règle, une loi procédurale est d'application immédiate tandis qu'une loi touchant des droits substantiels n'a pas d'effet rétroactif. En règle générale, les dispositions qui régissent la compétence d'un tribunal ne sont pas des dispositions de pure procédure susceptibles de produire leur effet immédiatement. C'est que ces dispositions ont des conséquences sur la substance du droit; elles peuvent compromettre l'exercice d'un droit. En l'espèce, le transfert des demandes déposées au greffe de la Cour du Québec en 2014 et signifiées après le 31 décembre 2014 à sa Division des petites créances priverait les parties du droit de faire appel — sur permission — de la décision rendue, un droit qui, selon les enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Puskas, est un « droit substantiel ». C'est justement pour éviter de toucher aux droits acquis des justiciables que le législateur a énoncé une exception à l'application immédiate de la loi. Pour donner effet à l'article 13 LMCPC, la date de saisine est celle du dépôt de la demande, et non celle de sa signification. De cette manière, on évite de porter atteinte aux droits acquis des parties (en leur faisant perdre leur droit de faire appel de la décision de la Cour du Québec).

Plusieurs éléments textuels apportent un argument supplémentaire appuyant l'idée qu'un tribunal est « saisi » de l'affaire lors de l'introduction de la demande déposée au greffe de ce tribunal, plutôt qu'au moment de la signification de cette demande. Citons, par exemple, les articles 788 et 111.1 du Code de procédure civile actuel, dans lesquels le législateur exprime l'idée que le tribunal est « saisi » de la procédure par le simple geste du demandeur de la déposer. Citons aussi les articles 10, 35 et 99 du nouveau C.p.c. Bien sûr, une partie doit avoir été dûment appelée pour que le tribunal « saisi » puisse ultimement se prononcer sur une demande en justice, comme le prévoient l'article 5 du Code de procédure civile actuel et les articles 17 et 107 du nouveau C.p.c. Mais la signification de la demande, bien que requise, n'est pas nécessaire pour que le dépôt en justice d'un acte de procédure produise des effets dès ce moment. D'ailleurs, le Code de procédure civile actuel foisonne d'exemples qui illustrent le fait qu'un tribunal est investi du pouvoir de prendre des décisions en lien avec un litige dont il est « saisi » avant que la formalité de la signification soit accomplie. L'arrêt Tomaz-Young c. Miller, qui date de 1992, conforte également le soussigné dans sa conclusion. Dans cet arrêt, la Cour d'appel a décidé que c'est la délivrance du bref d'assignation qui marque le début de la « demande en justice » dont parle à plusieurs reprises le C.p.c., et non la signification de la demande.

L'appel est en conséquence accueilli. La requête des intimés visant à obtenir le transfert du dossier à la Division des petites créances est rejetée.


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