En novembre 2014, Wadley Faublas (Faublas), un Québécois d’origine haïtienne, et deux collègues à la peau blanche avec lesquels il travaillait comme agent correctionnel à l’époque se sont présentés au bar (le Bar) exploité par la société défenderesse (Entreprises). Le portier, qui a lui-même la peau noire, a alors informé le groupe que les deux hommes à la peau blanche pouvaient entrer, mais pas Faublas, les personnes noires n’étant pas admises dans l’établissement. Devant l’insistance de Faublas — qui a d’abord cru à une blague, mais qui a vite compris qu’il n’en était rien —, le portier a ajouté qu’il comprenait la frustration du groupe, mais que l’interdiction venait d’Annik Hébert (Hébert), la « propriétaire », en réaction au fait que, la semaine précédente, un gang de rue composé d’hommes noirs avait saccagé le Bar. Malgré ces explications, Faublas a insisté pour entrer dans le Bar, jusqu’à ce qu’un autre portier avec une attitude plus agressive et à la mine patibulaire arrive pour lui signifier qu’il devait quitter les lieux. Comprenant que les choses pourraient mal se terminer, les trois amis ont quitté les lieux, chacun d’eux ébranlé par ce qu’il venait de vivre.
Agissant en faveur de Faublas, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse réclame à Entreprises et à Hébert des dommages-intérêts totalisant 9 000 $. La cause procède par défaut.
Selon une preuve non contredite, Faublas s’est vu refuser l’accès au Bar — un établissement commercial, donc un lieu public — par le personnel de celui-ci, qui agissait sous l’autorité de sa « propriétaire » Hébert, en exécution des consignes qu’elle avait données, à savoir refuser l’accès aux personnes à la peau noire. Or, cette exclusion est spécifiquement interdite par les art. 10 et 15 de la Charte québécoise. Par ailleurs, refuser à quelqu’un l’accès à un lieu autrement ouvert à tous en raison de la couleur de sa peau porte incontestablement atteinte à sa dignité. En amont du sentiment ressenti par la personne discriminée, le traitement qui exclut une personne en lui transmettant le message que sa valeur en tant qu’être humain est moindre parce qu’elle a la peau noire porte objectivement atteinte à sa dignité.
Il est donc manifeste que les défenderesses ont porté atteinte au droit de Faublas à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, d’avoir accès à un lieu public ainsi qu’à son droit à la sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur la race ou la couleur, et ce, en contravention des art. 4, 10, et 15 de la Charte.
Faublas a témoigné simplement et sincèrement quant au fait que l’exclusion qu’il a subie (qui plus est devant ses amis) du seul fait de la couleur de sa peau l’a fait se sentir « moins que rien » et que ce sentiment l’habite encore. Il est arrivé au Québec en 2002 et il n’avait jamais été humilié en raison de la couleur de sa peau avant le 21 novembre 2014. L’exclusion et l’humiliation qu’il a subies à cette date au seul motif de la couleur de sa peau lui ont fait perdre confiance en lui depuis, démontrant l’ampleur du préjudice moral qu’il subit toujours en raison du comportement discriminatoire des défenderesses. Cela a fait naître en lui la crainte de se voir refuser autre chose juste parce qu’il est Noir. Les défenderesses sont condamnées solidairement à payer le montant de 6 000 $ réclamé à titre de dommages-intérêts moraux.
La Commission réclame aussi 1 500 $ à chacune des défenderesses à titre de dommages-intérêts punitifs. Ces réclamations sont aussi accueillies. L’intention des défenderesses était sans équivoque d’interdire aux personnes à la peau noire l’accès au Bar, et ce, sur la base du préjugé que les personnes à la peau noire sont plus portées à causer du grabuge. Nonobstant le fait que ce préjugé est sans fondement, les défenderesses ont agi avec insouciance quant aux conséquences de leur conduite sur les personnes visées. Il faut réprimander les auteurs de tels actes et les dissuader de récidiver.
Il est aussi nécessaire, pour éliminer la discrimination et protéger l’intérêt public, d’ordonner aux défenderesses de mettre fin à leur directive de refuser l’accès au Bar aux personnes à la peau noire.