Le Curateur public du Québec a fait la preuve que le défendeur (R), le fils de C. B., une dame née en 1929, a exploité celle-ci au sens de l’art. 48 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte) en acceptant de sa part une donation de 70 000 $.
Il est vrai que, au moment du don en janvier 2017, les capacités cognitives de C. B. n'avaient encore fait l’objet d’aucune évaluation médicale, ces évaluations ayant eu lieu à compter de juillet 2018. Cependant, le médecin de famille de C. B. est clair : les troubles mnésiques sévères et la démence à début tardif diagnostiqués en juillet 2018 étaient présents depuis bien avant. Ainsi, la preuve établit que les capacités cognitives de C. B. étaient déjà en déclin important lorsqu’elle a signé le chèque. Ce facteur ajoute à l’état de vulnérabilité dans lequel elle se trouvait déjà à cette époque. On parle ici d’une dame qui avait alors 87 ans, qui était veuve depuis près de deux ans, qui était faiblement scolarisée et qui habitait seule. Mère de quatre enfants, elle n’avait toutefois de contacts qu’avec ses fils M et R et leur famille respective. Le défendeur R et la conjointe de celui-ci agissaient comme ses aidants naturels depuis les années 2000. Ne conduisant pas, elle comptait sur ses fils et sa bru pour aller faire ses courses. Elle n'a jamais eu de carte de crédit et a toujours éprouvé des difficultés avec les calculs mentaux. La vulnérabilité de la victime, premier élément constitutif de l’exploitation dont parle l’art. 48 de la Charte, est donc établie.
Il ne fait aucun doute non plus que, en janvier 2017, R et sa conjointe se trouvaient dans une position de force par rapport à C. B. Cette position de force ne semble pas avoir découlé de manoeuvres douteuses ou oppressives de la part de R ou de sa conjointe ; elle découle plutôt de la situation de dépendance dans laquelle C. B. s’est retrouvée à cause de ses caractéristiques personnelles et des aléas de la vie. Il reste que le deuxième élément constitutif de l’exploitation — une position de force — est aussi établi.
La mise à profit, troisième et dernier élément constitutif de l’exploitation, est également établie. Personne ne conteste que R a obtenu la somme de 70 000 $ de sa mère dans les circonstances démontrées par la preuve : son frère M lui a apporté un chèque en blanc signé par leur mère en lui disant que celle-ci voulait faire don de 70 000 $ à chacun de ses fils. R a témoigné que sa mère n’écrivait jamais de chèque, puisqu’elle n’était pas certaine comment faire. Ceci explique pourquoi sa conjointe a ensuite complété le chèque en y ajoutant notamment le nom de son mari comme bénéficiaire ainsi que le montant de 70 000 $. À l’audience, R a reconnu que ces deux dons l’avaient surpris. Il a d’ailleurs pris la peine de vérifier à deux reprises auprès de sa mère si elle souhaitait véritablement lui faire un don de 70 000 $. Elle lui aurait répondu affirmativement, expliquant avoir aussi fait don d’un même montant à son frère M pour lui permettre d’éponger ces dettes. R a donc accepté le don. En agissant de la sorte, il n’a toutefois pas agi comme une personne prudente et diligente l’aurait fait dans les mêmes circonstances. En effet, une telle personne, placée devant les mêmes faits, aurait à tout le moins fait les vérifications nécessaires quant aux finances de C. B. Cette personne aurait alors raisonnablement conclu que, dans les conditions dans lesquelles C. B. se trouvait, il n’était pas légitime d’accepter de sa part un cadeau de 70 000 $. Ajouté au don de 70 000 $ fait à son autre fils au même moment, cela avait pour effet de la dépouiller d’une partie trop importante de son patrimoine. Le fait que le frère de R ait reçu le même montant d’argent et qu’en toute probabilité, il ait été l’instigateur de la démarche ne change en rien cette obligation qui s’imposait à R. Étant en position de force par rapport à sa mère, une personne âgée vulnérable et dépendante, il devait se soucier des répercussions du don offert sur le patrimoine de celle-ci avant de l’accepter. Ne pas l’avoir fait constitue une forme d’exploitation.
Le montant du préjudice matériel subi par C. B. en raison de l’exploitation financière dont elle a été l’objet de la part de son fils R est établi. Il s’agit de la valeur de la donation, soit 70 000 $. R est condamné à payer cette somme au Curateur, qui agit ici à titre de tuteur à la personne et aux biens de C. B. La réclamation du Curateur pour le préjudice moral subi par C. B. est cependant rejetée. Comme C. B. n’a pas témoigné, le Tribunal n’a pu bénéficier d’aucune preuve lui permettant d’apprécier le préjudice moral qu’elle aurait pu subir. La situation ne donne pas non plus ouverture à l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Bien qu’il y ait eu une atteinte aux droits de C. B. protégés par la Charte de la part de R, cette atteinte n’était pas intentionnelle. R a certes manqué de prudence et de diligence lorsqu’il a accepté la donation de sa mère, mais la preuve administrée ne permet toutefois pas de conclure qu’il souhaitait ainsi exploiter sa vulnérabilité.