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Un recours pour vices cachés est déclaré abusif par le tribunal : des acheteurs sont condamnés à verser à leurs vendeurs qu’ils ont poursuivis une somme de plus de 100 000 $ pour les honoraires extrajudiciaires

Par Mélanie Archambault, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
Un recours pour vices cachés est déclaré abusif par le tribunal : des acheteurs sont condamnés à verser à leurs vendeurs qu’ils ont poursuivis une somme de plus de 100 000 $ pour les honoraires extraj

Depuis quelques années, et surtout depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, on constate que les tribunaux hésitent de moins en moins à sanctionner l’abus de procédure en condamnant l’auteur de l’abus à payer les honoraires extrajudiciaires qu’il a engagés à l’autre partie. La décision Tremblay c. Internoscia (EYB 2017-279459 – Texte intégral | Fiche quantum), rendue par la Cour supérieure en 2017, est un exemple éloquent de cette tendance. Dans cette affaire, l’honorable Donald Bisson, j.c.s., bien qu’accueillant partiellement la demande des acheteurs, sanctionne très sévèrement ces derniers pour leur recours qu’il juge comme étant abusif : ces derniers ont été condamnés au remboursement complet des honoraires extrajudiciaires payés par les défendeurs, ce qui représente une somme totale de 108 648,90 $, en plus de devoir verser des dommages compensatoires additionnels.

Dans cette affaire, les demandeurs ont acquis le 10 juin 2011 la propriété des vendeurs située à Lavaltrie pour un prix de vente de 390 000 $. Dès la prise de possession, les demandeurs constatent une série de problématiques qu’ils qualifient de vices cachés au sens de la garantie légale de qualité, en plus de prétendre que certains vices allégués sont liés à de fausses représentations faites par les vendeurs.

Plus particulièrement, les acheteurs allèguent la présence de divers vices cachés dans la propriété, notamment la présence d’humidité excessive au sous-sol, une dalle de béton anormalement humide, des planchers pourris et la présence de moisissures au rez-de-chaussée.

Les acheteurs allèguent également plusieurs autres problématiques, dont la défectuosité d’une garde-robe encastrée, en plus de prétendre que certaines réparations qui devaient être effectuées par le défendeur n’ont pas été faites et/ou ont été mal exécutées.

Conséquemment, les acheteurs réclament donc de leurs vendeurs la somme totale de 528 549,15 $ (alors qu’ils ont acquis la propriété pour un prix de vente de 390 000 $, il importe de le rappeler) notamment pour les travaux correctifs, des frais de mise en pension de quatre chevaux et des dommages compensatoires et punitifs (plus de 100 000 $).

En réponse à cette réclamation, les vendeurs déposent une demande reconventionnelle dans laquelle ils invoquent que le recours dirigé contre eux est abusif et par laquelle ils réclament de leurs acheteurs des dommages, dont le remboursement des frais d’avocats qu’ils ont eu à engager dans le cadre des procédures. Selon les vendeurs, les problématiques frappant la propriété en cause n’étaient pas cachées : en effet, ces problématiques avaient été préalablement dénoncées/soulevées dans le rapport d’inspection de l’inspecteur préachat, alors que d’autres problématiques ont été dénoncées tardivement et que les travaux pour lesquels les vendeurs s’étaient engagés à effectuer l’ont été, alors que d’autres ne l’ont pas été en raison du fait qu’ils en ont été empêchés par les acheteurs.

Examinant le critère de l’acheteur prudent et diligent qui a l’obligation d’investiguer davantage lorsqu’il est en présence d’indices annonciateurs d’une problématique comme en l’espèce, la conclusion du juge Bisson est éloquente :

[36] À cet égard, la conclusion du Tribunal est la suivante. De l’avis du Tribunal, pour les éléments qui constituent des vices, les demandeurs avaient des indices suffisants pour en suspecter la présence, de sorte que le Tribunal conclut que ces vices étaient apparents plutôt que cachés, malgré les déclarations des vendeurs. En effet, devant les constats de l’inspecteur, M. Beaudry quant à ces vices, le Tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas fait preuve de prudence et de diligence en ne poussant pas leurs investigations. Par ailleurs, plusieurs réclamations des demandeurs ne sont pas des vices.

Analysant chacun des nombreux vices et problématiques invoqués par les acheteurs, le juge Bisson en vient à la conclusion que certaines problématiques étaient visibles avant la vente puisqu’elles avaient été relatées dans le rapport d’inspection préachat, alors que d’autres n’étaient pas graves au sens de la garantie légale de qualité (et n’entraînaient pas de déficit d’usage), ou encore qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’une preuve, ou avait été dénoncées tardivement.

Ainsi, après une longue étude des différents montants réclamés en lien avec les diverses problématiques et vices en cause (le jugement fait 257 paragraphes), le tribunal accorde aux acheteurs la somme de 684,78 $, dont 3,39 $ pour un thermomètre de piscine, 200 $ pour la réparation d’une pompe septique, un montant de 20 $ pour l’installation de moulures et 461,39 $ pour la coupe du gazon.

Se prononçant sur la demande reconventionnelle des vendeurs, le juge conclut que le recours des demandeurs était mal fondé et abusif, ce qui justifiait en l’instance l’octroi de dommages, notamment le remboursement des honoraires extrajudiciaires engagés par les défendeurs pour se défendre à l’égard de ce recours considéré comme abusif.

Concluant d’emblée que le recours des demandeurs était abusif, le tribunal écrit :

[226] La requête introductive d’instance ré-réamendée des demandeurs, rejetée presqu’en totalité, constitue-t-elle un abus?
[227] Le Tribunal est d’avis qu’il y a abus ici. En effet, la requête introductive d’instance ré-réamendée des demandeurs est presqu’en totalité manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire, et les demandeurs ont utilisé la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui.
[...]
[230] Aux termes de l’article 52 C.p.c., les défendeurs ont donc établi sommairement que la requête introductive d’instance ré-réamendée des demandeurs constitue un abus et ces derniers n’ont aucunement réussi à démontrer que leur procédure était justifiée en droit et qu’ils n’ont pas utilisé la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui.
[231] Le Tribunal va donc constater l’abus.

Plus particulièrement, l’abus peut résulter d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent, et ce, sans égard à l’intention. L’abus de droit peut également résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable, comme le tribunal en est venu à cette conclusion dans cette affaire.

«Ainsi, après une longue étude des différents montants réclamés en lien avec les diverses problématiques et vices en cause (le jugement fait 257 paragraphes), le tribunal accorde aux acheteurs la somme de 684,78 $, dont 3,39 $ pour un thermomètre de piscine, 200 $ pour la réparation d’une pompe septique, un montant de 20 $ pour l’installation de moulures et 461,39 $ pour la coupe du gazon.»

«Se prononçant sur la demande reconventionnelle des vendeurs, le juge conclut que le recours des demandeurs était mal fondé et abusif, ce qui justifiait en l’instance l’octroi de dommages, notamment le remboursement des honoraires extrajudiciaires engagés par les défendeurs pour se défendre à l’égard de ce recours considéré comme abusif.»

En effet, dans cette décision, la quasi-totalité des réclamations des demandeurs faites sur la base de la garantie légale de qualité n’étaient pas fondées, vu notamment la connaissance par ces derniers de l’existence de ces vices qui avaient été préalablement dénoncés dans le rapport d’inspection préachat.

Au surplus, plusieurs des vices et problématiques allégués n’ont pas été considérés comme étant graves : la valeur pécuniaire de nombreux vices et problématique était très limitée, sans compter le fait que plusieurs des vices et problématiques invoqués par les acheteurs n’avaient pas été précédés d’une dénonciation, ou encore avaient été dénoncés tardivement, sans compter que certains éléments de la réclamation des acheteurs n’ont fait l’objet d’aucune preuve au procès.

Les demandeurs ont réclamé entre autres une série de réclamations insignifiantes ou de peu d’importance pour lesquelles les défendeurs ont eu à répondre, ce qui a nécessité que le tribunal prenne du temps de cour pour régler « des peccadilles ».

Les demandeurs ont également soumis des réclamations importantes en dommages, réclamations qui n’avaient aucune base factuelle dans la preuve soumise par ceux-ci, alors que d’autres réclamations étaient clairement interdites aux termes des ententes contractuelles intervenues entre les parties.

Plus particulièrement :

[228] En effet :
- Toutes les réclamations des demandeurs basées sur les vices cachés constituent la presque totalité de leurs réclamations pécuniaires et ne sont pas fondées vu la connaissance des demandeurs des vices à cause du rapport d'inspection préachat. Aussi les demandeurs n'allèguent ce rapport nulle part dans leurs procédures, faisant comme s'il n'existait pas;
- Plusieurs vices allégués ne sont pas «graves» car leur valeur pécuniaire est très limitée, ou n'ont pas été précédés d'une dénonciation, ou la dénonciation a été tardive;
- Les demandeurs ont soumis une liste d'épicerie de petites réclamations qui sont, sommes toutes, insignifiantes. Par exemple, le siphon du lavabo, diverses vitres cassées, moulures non installées, frais de tonte de gazon, un robinet mal placé, un nid de guêpes, porte manquante à la pharmacie de la salle de bain du sous-sol, la mise en marche de la fontaine du lac. Ce faisant, ils ont obligé les défendeurs à y répondre, et ils ont pris du temps du Tribunal pour régler des peccadilles;
- La réclamation totale des demandeurs est au montant de 503,549.15 $, alors que la condamnation finale est de 684.78 $, soit 0,14%;
- Les demandeurs ont soumis des réclamations importantes en dommages pour des éléments qui n'ont aucune base factuelle dans la preuve et qu'ils n'ont pas tenté de mettre en preuve, à savoir :
- Réparation de la toiture et réfection de la cheminée (23,489.35 $);
- Enlever l'unité de ventilation de l'entre-toi et refaire un système de chauffage et de climatisation avec la thermopompe (14,536.83 $);
- Retirer le revêtement des murs extérieurs et le refaire (44,482.60 $;);
- Frais de paysagement de la terrasse du lac (22,650.07 $);
- Les demandeurs ont soumis des réclamations clairement interdites aux termes des ententes contractuelles, comme par exemple la question du foyer aux granules, vendu spécifiquement «sans garantie»;
- La réclamation des demandeurs pour les chevaux est intenable à la lumière de la lettre du 19 mai 2011, dans laquelle ils mentionnent vouloir acheter la maison, même s'ils ne peuvent pas y amener leurs chevaux;

Finalement, le tribunal ajoute que « les demandeurs ont fait des modifications successives pour changer la nature de leur recours (pour passer d'une demande d'annulation de vente à une action purement en dommages) et augmenter le quantum de leurs réclamations et, ce faisant, ont retardé la tenue du procès ».

Le juge ajoute :

[228] […]
La longueur du présent jugement et le nombre astronomique de détails à traiter illustrent l’abus.

L’abus étant ainsi constaté, le tribunal conclut que les acheteurs ont droit à l’octroi de dommages en vertu de l’article 54 C.p.c., ce qui inclut des dommages compensatoires pour troubles et inconvénients et également spécifiquement les honoraires extrajudiciaires.

Le tribunal est donc d’avis que la réclamation des défendeurs au montant de 108 648,90$ pour leurs honoraires extrajudiciaires :

[242] […] constitue un dommage prouvé par ces derniers et sont la cause de l’abus de droit des demandeurs.

Ainsi, ce qu’il faut retenir de cette décision, c’est que les tribunaux n’hésitent plus à sanctionner sévèrement des procédures abusives et à sanctionner l’auteur de l’abus par le remboursement des honoraires extrajudiciaires que ses procédures abusives ont fait engager à l’autre partie.

«L’abus étant ainsi constaté, le tribunal conclut que les acheteurs ont droit à l’octroi de dommages en vertu de l’article 54 C.p.c., ce qui inclut des dommages compensatoires pour troubles et inconvénients et également spécifiquement les honoraires extrajudiciaires.»

Malheureusement, on voit encore (trop souvent, de l’avis de la soussignée) des recours où des acheteurs poursuivent leurs vendeurs pour des vices apparents et souvent identifiés dans le rapport d’inspection préachat, ou encore pour des vices n’entraînant aucun déficit d’usage, sans compter les nombreux cas où les acheteurs réclameront la quasi-remise à neuf d’un immeuble âgé sans appliquer de dépréciation quelconque, forçant les vendeurs à se défendre à grands frais à l’égard de recours souvent mal fondés en droit et voués à l’échec, ou encore à l’égard de recours où les montants réclamés sont disproportionnés par rapport à la valeur économique réelle que l’acheteur réclame. Une réclamation pour vices cachés ne doit pas devenir un instrument de renégociation a posteriori d’une transaction alors que les vices étaient apparents, ou sont sans gravité ou encore insignifiants.

«les tribunaux n’hésitent plus à sanctionner sévèrement des procédures abusives et à sanctionner l’auteur de l’abus par le remboursement des honoraires extrajudiciaires que ses procédures abusives ont fait engager à l’autre partie.»

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À propos de l'auteur

Me Mélanie Archambault pratique au sein de la firme Lane, avocats et conseillers d’affaires inc. depuis maintenant plus de deux ans. Membre du Barreau du Québec depuis 2007, sa pratique est orientée en litige civil et commercial, en droit immobilier, en droit bancaire ainsi qu’en droit disciplinaire. Elle dispose d’une grande expérience à titre d’avocate plaideuse, celle-ci ayant plaidé devant plusieurs instances dont la Cour supérieure, la Cour du Québec, plusieurs instances disciplinaires, la Cour d’appel ainsi que devant la Cour fédérale. Me Archambault a développé, au cours des dernières années, une expertise particulière en matière de recours pour vices cachés.