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Commentaire sur le Projet de loi 96 intitulé Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile et la Loi sur le curateur public en matière de protection des personnes

Pour offrir une meilleure protection aux aînés et mieux protéger le patrimoine des mineurs, 1re partie*

Me Michel Beauchamp, Beauchamp & Gilbert notaires Inc. avec la collaboration de Me Karine Vézina
Commentaire sur le Projet de loi 96 intitulé <em>Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile et la Loi sur le curateur public en matière de protection des personnes</em>

Introduction

La Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile et la Loi sur le curateur public en matière de protection des personnes, appelée également le Projet de loi 96 présenté à l’Assemblée nationale le 7 juin dernier, reprend essentiellement les modifications proposées par le gouvernement en 2012 lors du dépôt du Projet de loi 451 – notamment en matière de tutelle au mineur – mort au feuilleton suivant l’élection tenue en septembre 2012.

L’objectif premier de ce projet de loi est de simplifier les procédures judiciaires applicables en matière de droit des personnes en vue d’assurer une meilleure protection des personnes inaptes. Souhaitant répondre davantage à la réalité du Québec d’aujourd’hui, le projet de loi présenté actualise le rôle du Curateur public du Québec et propose des modifications concernant :

  • la tutelle au mineur
  • les régimes de protection du majeur
  • la constitution des conseils de tutelle
  • les règles relatives au mandat de protection

I– LA TUTELLE AU MINEUR

A. Rémunération dès l’ouverture de la tutelle

La charge de la tutelle est habituellement une charge exercée gratuitement. Il arrive toutefois que le tuteur datif se voie accorder une rémunération par le tribunal, sur l’avis du conseil de tutelle2. L’article 2 du projet de loi modifie l’article 184 du Code civil du Québec en proposant l’insertion d’un nouvel alinéa selon lequel : « Le tribunal peut, dès l’ouverture de la tutelle, fixer une telle rémunération ainsi que les modalités de sa reconduction par le conseil de tutelle, le cas échéant. »

L’ajout de cet alinéa remanie la pratique actuelle voulant que le tuteur doive attendre d’être nommé avant de pouvoir faire telle demande. En effet, présentement, ces procédures doivent se faire en deux temps, donc au moyen de deux procédures devant la Cour, à savoir l’une pour nommer le tuteur datif et l’autre pour que tel tuteur puisse obtenir une rémunération, le tout sur avis du conseil de tutelle. Il faut donc que le conseil de tutelle se réunisse d’abord afin de donner son avis sur le choix de la personne qui sera nommée comme tuteur et, par la suite, une seconde fois pour donner son avis sur la rémunération du tuteur. De fait, à la suite de l’entrée en vigueur du projet de loi, le tuteur qui désirerait être rémunéré pour l’exercice de sa charge n’aura plus à faire une seconde demande au tribunal – suivant sa nomination – et, par conséquent, le conseil de tutelle n’aura plus à être convoqué deux fois à cet effet.

B. Dispense de constitution d’un conseil de tutelle

Actuellement, au Québec, la constitution d’un conseil de tutelle est obligatoire pour toutes les tutelles datives, que telle tutelle soit déférée par les père et mère dans un testament, dans un mandat de protection ou encore dans une déclaration en ce sens transmise au Curateur public3, et ce, peu importe la valeur du patrimoine que doit administrer le tuteur datif.

L’article 5 du projet de loi prévoit l’insertion d’un nouvel article au Code civil du Québec qui aura pour effet de permettre au tribunal, sur avis de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, de dispenser le tuteur datif de constituer un conseil de tutelle ou de le dispenser de rendre un compte de gestion annuel, lorsque la valeur des biens qu’il a à administrer est inférieure à vingt-cinq mille dollars.

Cet article fait en sorte qu’un tuteur datif – nommé aux termes d’un testament, d’un mandat de protection ou encore au moyen de la déclaration déposée auprès du Curateur public du Québec – n’aura pas à requérir la constitution du conseil de tutelle si le patrimoine qu’il doit gérer est de moins de vingt-cinq mille dollars.

En outre, l’article 4 du projet de loi propose la modification de l’article 205 alinéa 2 du Code civil du Québec afin que la tutelle déférée par le tribunal puisse l’être sur avis de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis dans le cas où la constitution du conseil de tutelle n’est pas requise. De fait, dans les cas où le patrimoine d’un mineur était inférieur à vingt-cinq mille dollars et que la charge de tuteur était vacante, il ne serait plus nécessaire de constituer le conseil de tutelle afin qu’il donne son avis sur le choix de la personne à nommer comme tuteur datif : l’avis des membres de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis serait alors suffisant.

C. Délai pour aviser le Curateur public du transfert de biens ou du versement d’une somme à un mineur

L’article 6 du projet de loi vise à remplacer l’article 217 du Code civil du Québec actuel afin de faire en sorte que dorénavant, le liquidateur d’une succession dans laquelle un mineur a des droits à faire valoir, le donateur d’un bien ou toute autre personne qui doit verser une indemnité au bénéfice d’un mineur – pensons notamment à une compagnie d’assurance – doive en aviser le Curateur public au moins 20 jours avant la transmission de ces biens ou le paiement de telle indemnité, si leur valeur est de plus de 25 000 $, sauf si les biens sont soustraits à l’administration tutélaire4.

La modification à cet article vise essentiellement à s’assurer que le tuteur provoquera la constitution du conseil de tutelle aussitôt qu’il recevra les sommes ou les biens. En effet, suivant le droit actuel, ces mêmes personnes ont l’obligation de déclarer au Curateur public le fait d’avoir transféré des biens à un mineur, mais aucun délai n’est prévu pour ce faire5. Ainsi, puisque le Curateur public devra être avisé de la remise des biens ou des sommes, et ce, plus de deux semaines avant telle remise au tuteur de l’enfant mineur, il sera en mesure d’entreprendre toutes démarches nécessaires dans l’éventualité où le tuteur négligerait ses obligations.

D . Quorum de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis

Le projet de loi propose également une modification au Code civil du Québec concernant le quorum requis pour la tenue de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis. Suivant le projet de loi, le troisième alinéa de l’article 226 du Code devrait dorénavant se lire comme suit : « Au moins cinq personnes, représentant autant que possible les lignes maternelle et paternelle, doivent être convoquées à cette assemblée. Celle-ci est tenue avec les personnes qui y participent, quel que soit leur nombre. »

Ainsi, le quorum n’est plus un quorum de présence à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, mais bien un quorum de convocation. En effet, la loi oblige actuellement à convoquer à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis certaines personnes (père, mère, ascendants, frère(s) et soeurs(s) majeurs). Si ces personnes se trouvent à être en nombre insuffisant, un demandeur doit convoquer les membres des deux lignées de la famille du mineur6. Ceci dit, si la présence de chacune des lignées à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis n’est pas essentielle à sa validité, il n’en demeure pas moins que cinq personnes doivent obligatoirement être présentes à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis – physiquement ou par le biais d’un moyen technologique – afin que cette assemblée soit valable.

Suivant la modification proposée, tant et aussi longtemps que cinq personnes auront été convoquées à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, l’assemblée pourra valablement être tenue, et ce, même si moins de cinq personnes y participent.

Cette modification se veut un reflet plus fidèle des familles actuelles qui sont, il faut le reconnaître, beaucoup moins nombreuses que par le passé et dont les membres se retrouvent parfois un peu partout dans le monde.

II– LES RÉGIMES DE PROTECTION POUR LES MAJEURS

A. Réduction du nombre de personnes à convoquer à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis

L’article 13 du projet de loi 96 introduirait au Code civil du Québec l’article 266.1 qui permettrait au tribunal de réduire le nombre de personne à convoquer à une assemblée de parents, d’alliés ou d’amis dans les cas où il est impossible de convoquer cinq personnes, et ce, en matière d’ouverture ou de révision d’un régime de protection.

Suivant les dispositions législatives actuelles, lorsque les personnes qui doivent obligatoirement être convoquées à une assemblée de parents, d’alliés ou d’amis ne peuvent être en nombre suffisant pour former le quorum requis de cinq personnes, il est possible de convoquer les autres parents du majeur, ou encore des alliés ou des amis. Ceci dit, la pratique démontre qu’il est parfois ardu d’obtenir du demandeur les noms de cinq personnes à convoquer, notamment lorsque la personne concernée par la procédure est un aîné ayant un réseau social plus restreint, soit en raison de l’âge ou de la maladie. Or, actuellement, le tribunal peut dispenser le demandeur de la tenue de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, mais pour ce faire, il doit d’abord démontrer qu’il a fait tous les efforts nécessaires pour réunir l’assemblée, mais que ces efforts ont été vains. De fait, la modification proposée par le projet de loi tend à simplifier les procédures applicables en cette matière dans le but avoué de favoriser l’engagement des proches d’un majeur inapte auprès de cette personne.

Ainsi, en pratique, sur la preuve que la famille d’un majeur inapte n’est composée que de deux ou trois personnes et qu’il est, en conséquence, impossible de convoquer cinq personnes à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, le tribunal pourra autoriser la tenue de telle assemblée avec ce nombre de personnes. Toutefois, le seul éloignement des membres de la famille ne constituerait pas, selon nous, un motif suffisant pour requérir que le tribunal réduise le nombre de personnes à convoquer, d’autant plus qu’il est maintenant possible de réunir telle assemblée à l’aide de différents moyens technologiques, telles la conférence téléphonique ou la vidéoconférence7.

B. Clarification sur le rapport

L’article 14 du projet de loi modifie le libellé de l’alinéa 2 de l’article 270 du Code civil du Québec en venant préciser que le rapport transmis par le directeur général d’un établissement au curateur public lorsqu’un majeur a besoin d’être assisté ou représenté dans l’exercice de ses droits civils est constitué, entre autres, des évaluations médicale et psychosociale de ceux qui ont examiné le majeur. Rappelons en effet que cet alinéa se lit actuellement comme suit : « Le rapport est constitué, entre autres, de l’évaluation médicale et psychosociale de celui qui a examiné le majeur [...] », ce qui pouvait laisser penser qu’il ne s’agissait que d’une seule évaluation comprenant deux éléments. Aux termes de la modification proposée, il n’y aura plus de doute possible : deux expertises sont bel et bien requises, soit une évaluation médicale ainsi qu’une évaluation psychosociale.

C. Modification du délai de révision

L’article 278 du Code actuellement en vigueur oblige la réévaluation de tout régime de protection « à moins que le tribunal ne fixe un délai plus court, tous les trois ans s’il s’agit d’un cas de tutelle ou s’il y a eu nomination d’un conseiller, ou tous les cinq ans en cas de curatelle. Le curateur, le tuteur ou le conseiller du majeur est tenu de veiller à ce que le majeur soit soumis à une évaluation médicale et psychosociale en temps voulu ».

En pratique, il n’est pas rare de se retrouver face à la problématique de l’obligation de procéder à la révision d’un régime de protection ouvert au bénéfice d’un majeur qui souffre du même handicap depuis sa naissance. Pensons notamment aux personnes atteintes d’autisme sévère ou encore d’un autre type de déficience intellectuelle. Or, il est fréquent d’avoir à attendre plusieurs mois pour obtenir les expertises médicale et psychosociale ; une expertise médicale et une expertise psychosociale peuvent s’avérer être une démarche lourde et complexe.

Le nouvel article 278 prévoira qu’on peut réviser périodiquement un régime de protection et c’est lors de l’ouverture du régime que les modalités de la révision seront déterminées tant et aussi longtemps que le délai de révision n’excède pas dix ans.

Ainsi, dans les cas mentionnés précédemment, comme le cas d’un majeur souffrant d’une maladie neurodégénérative, il serait possible de demander au tribunal de déterminer le délai applicable aux premières réévaluations, lequel statuera sur la base des recommandations effectuées dans les évaluations médicale et psychosociale versées au dossier de la Cour.

D. Désignation d’un représentant légal substitut

Les articles 19 et suivants du projet de loi 96 modifient les articles 281 et suivants du Code civil du Québec en permettant la désignation, dès l’ouverture du régime de protection, d’un curateur ou d’un tuteur substitut par suite d’une vacance à la charge.

Cette modification tend à assurer la représentation d’un majeur inapte à tout moment et veut éviter qu’un majeur ayant besoin de représentation ne bénéficie pas de celle-ci en raison, par exemple, du décès ou de l’absence de son représentant. En outre, déterminer à l’avance des modalités de remplacement d’un représentant légal permettra d’éviter, en cas de vacance à la charge, d’avoir à convoquer, à nouveau, l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis pour prendre son avis quant à la personne à désigner. En effet, en regard des dispositions applicables actuelles, il faut que l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis se réunisse afin de donner son avis sur le choix de la personne qui sera nommée comme tuteur ou curateur à un majeur inapte8. Cela implique donc d’entreprendre une toute nouvelle procédure judiciaire, comprenant la convocation à l’assemblée et les délais qui y sont afférents. Or, lorsque la vacance à la charge de tuteur ou de curateur résulte par exemple du décès de tel représentant, nous nous retrouvons dans une situation où un majeur vulnérable, n’ayant plus sa capacité juridique, ne bénéficie d’aucune représentation adéquate.

Les mécanismes de remplacement d’un représentant légal sont établis aux articles 24 et suivants du projet de loi.

Texte publié dans le service de recherche en ligne La référence en septembre 2016. Il est ici publié en deux parties. La suite sera publiée le mois prochain.


1 Ce projet de loi avait été présenté à l’Assemblée nationale par la ministre Yolande James, le 29 février 2012.
2 Art. 184 C.c.Q.
3 Art. 200 et 223 C.c.Q.
4 Si, par exemple, l’enfant mineur est bénéficiaire d’une fiducie.
5 Art. 217 C.c.Q.
6 Isabelle c. Fauteux, [1985] C.S. 31, EYB 1984-143519.
7 Art. 405, al. 2 C.p.c.
8 Il s’agit d’une nomination sur avis de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis et non pas sur l’avis du conseil de tutelle.


Ce commentaire est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais.

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À propos de l'auteur

Michel Beauchamp, notaire à Montréal depuis 1989 au sein de l’étude Beauchamp et Gilbert, notaires, S.E.N.C., concentre sa pratique en droit des personnes physiques et des successions.

Diplômé de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, il est également chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et formateur pour la Chambre des notaires du Québec.

Il est régulièrement appelé à donner des conférences pour la Chambre des notaires, le Barreau du Québec, l’Association du Barreau canadien et pour plusieurs centres hospitaliers.

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