Extrait de Michel BEAUCHAMP, avec la collaboration de Cindy GILBERT, Tutelle, curatelle et mandat de protection, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 375-377
Depuis la décision L.P. c. F.H.154, les tribunaux rejettent l’homologation d’un mandat donné en prévision de l’inaptitude lorsque le mandant est inapte de façon partielle et procède alors à l’ouverture d’un régime de protection.
Les faits de cette décision sont simples : on demande l’homologation d’un mandat donné en cas d’inaptitude d’une personne qui est partiellement inapte. Comme le mandat contient des pouvoirs de pleine administration, la mandante elle-même conteste l’homologation du mandat au motif que si elle n’avait pas signé de mandat, on lui aurait ouvert un régime de protection de tutelle, vu son inaptitude partielle. Le fait d’homologuer le mandat, selon elle, équivaudrait à la placer sous un régime de protection de curatelle. La Cour d’appel donne raison à la mandante et refuse l’homologation du mandat et renvoie le dossier en Cour supérieure pour qu’il lui soit ouvert d’un régime de protection.
À la suite de cette décision, les tribunaux, généralement, considèrent que les pouvoirs du mandataire (pleine administration) s’apparentent à un curateur et comme le mandant est inapte partiellement, il y aurait lieu plutôt de lui ouvrir un régime de protection de tutelle (simple administration). Le tribunal prenait alors acte de l’intérêt du mandant, uniquement, malgré sa volonté qu’il a valablement exprimée dans un mandat de protection. Souvent, cette situation se rencontre lors d’une demande d’homologation de mandat non contestée.
Nous aimerions ici souligner un passage de la décision de la Cour d’appel :
[...] je suis d’avis qu’un tribunal va à l’encontre de la volonté d’une personne en procédant à l’homologation d’un mandat en cas d’inaptitude contre le gré du mandant, lorsque cette volonté est lucidement exprimée et que les circonstances indiquent que l’homologation est disproportionnée vu une inaptitude partielle. Homologuer un mandat en cas d’inaptitude, en pareil cas, contrecarre le respect de l’autonomie résiduelle d’une personne155.
La Cour d’appel souligne ici l’importance de la volonté de la personne, mais que cette volonté doit être dans son intérêt. De plus, la Cour établit un lien avec la volonté exprimée par le mandant lors de l’homologation du mandat. Ce lien a d’ailleurs été appliqué dans une décision qui a suivi celle de la Cour d’appel156. Nous faisons nôtres les conclusions de Me François Dupin, Ad. E., sur cette question :
- « encarcanner » les justiciables dans les paramètres d’un mandat qu’ils ont eu la prévoyance d’élaborer autrefois, mais qu’il rejette [sic] maintenant, sera rendu plus difficile à l’avenir ;
- l’insigne rattachement du mandat aux régimes de protection, au point de faire des dispositions relatives aux régimes de protection une véritable source de droit supplétif ;
- le caractère unique de chaque situation, qui oblige à un jugement au cas par cas.
Un premier corollaire pratique au principe d’éviter l’imposition d’un mandat rejeté par son auteur est celui de la nécessité de l’interrogatoire pour réactualiser les volontés du mandant quant à son projet de vie constaté par mandat, si la condition du mandant le permet.
Un deuxième corollaire plus théorique au principe de la spécificité de chaque situation est que l’analyse de chaque jugement doit tenir compte des faits qui lui sont propres et que la traduction juridique des principes en jeu peut varier selon chaque espèce157.
Nous croyons que, lors de l’homologation d’un mandat, lorsque l’inaptitude du majeur est partielle, le tribunal doit vérifier la volonté
du mandant au moment de l’homologation du mandat (notamment au moment de l’interrogatoire). Si le mandant ne s’oppose pas à l’homologation du mandat, le tribunal devrait l’homologuer même si le mandat contient des pouvoirs de pleine administration.
Bien entendu, comme le tribunal déclare une personne inapte, il doit prendre toutes ses décisions dans l’intérêt du majeur dans le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie. Le tribunal devra également respecter les volontés d’une personne, valablement exprimées lorsqu’elle était apte, dans un mandat de protection.
154 L.P. c. F.H., [2009] R.J.Q. 1255, 2009 QCCA 984, (sub nom. P. (L.) c. H. (F.)) EYB 2009-158975, par. 39 (le j. en chef Robert).
155 Ibid., par. 39 (le j. Robert).
156 L. (P.) c. G.P. (N.), EYB 2009-167141 (C.S.).
157 François DUPIN, « Autonomie et mandat de protection », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, La protection des personnes.