La Cour fédérale se prononçait dans les derniers mois, dans une décision issue d'une demande de contrôle judiciaire statuant quant à l'existence et l'effet d'une licence verbale de marque de commerce, dans l'affaire Allianz Global Investors of America LP c. Middlefield Capital Corporation. Je partage aujourd’hui avec vous la teneur de cette décision dont la publication m'avait personnellement échappé et qui pourra en intéresser plus d’un.
L'affaire Allianz mettait en présence deux parties prétendant chacune avoir des droits relatifs à des marques incluant les mots INDEX PLUS, d'où des oppositions croisées déposées par les parties contre leurs demandes d’enregistrement respectives. En définitive, la question litigieuse intéressante pour nous dans cette affaire tourne autour du droit de l'intimé Middlefield Capital Corporation (« Middlefield ») à prétendre avoir utilisé sa version de la marque depuis les débuts de son usage. Le hic pour lui, cependant, avait trait au fait que l'usage en question s'était fait, en pratique, par une autre société avec laquelle Middlefield avait une relation privilégiée. Selon Middlefield, malgré l’absence d’une licence écrite en bonne et due forme, l’usage s’était néanmoins fait par l'entremise d’une licence qui n'avait jamais été documentée comme telle, mais qui relevait de la nature d’une entente verbale. La question se posait donc : en telles circonstances, peut-on valablement prétendre qu'il existe bien une licence (fût-elle implicite ou verbale), même en l'absence d'un document à cet effet ?
Initialement, la Commission des oppositions (du Bureau des marques) conclut qu'il existait bien une licence, en se fondant pour arriver à cette conclusion sur la preuve faite par Middlefield de l’existence d'un contrat verbal de licence. Par conséquent, la Commission des oppositions conclut qu'il était tout à fait acceptable pour Middlefield de prétendre à l'usage de sa marque, et ce, depuis les débuts de l'utilisation de celle-ci notamment par le tiers licencié. Ceci étant, on décida donc de l'opposition en faveur de Middlefield, puisqu’elle avait techniquement utilisé sa version de la marque avant Allianz Global Investors of America LP (« Allianz »).
Allianz fait ensuite appel de la décision de la Commission des oppositions auprès de la Cour fédérale, d'où la décision dont nous traitons ici.
En appel, Allianz tente de faire déclarer qu'il y avait absence d'un degré de contrôle suffisant par Middlefield face à son licencié. La Cour fédérale confirme cependant plutôt la décision de la Commission des oppositions sur ce point, en concluant qu'en pratique, il n'y avait PAS eu perte de contrôle par le concédant quant à la qualité ou les caractéristiques de sa marque. Selon le tribunal, il n'y avait pas en soi de problème avec la nature collaborative de la pratique de Middlefield avec son licencié. Selon la preuve, le concédant est demeuré celui qui décidait au final de la façon dont on utilisait la marque visée, qu’il existe ou non des dispositions de contrôle expresses dans cette licence. Selon la décision, la prestation de services de distribution de prospectus d'investissements et de sollicitation d'intérêt dans certains véhicules d'investissement, par les préposés du licencié, n'avait pas fait perdre à Middlefield le contrôle sur sa marque et son usage. Ce faisant, le concédant de la licence pouvait donc bénéficier de l’usage de la marque par son licencié afin de soutenir sa demande d’enregistrement et ses droits, depuis le début. Les droits et l’usage de Middlefield étaient donc bien antérieurs à ceux d’Allianz.
Ce jugement de la Cour fédérale vient donc confirmer qu'il est tout à faire possible de se retrancher sur l'existence d'une licence verbale, au besoin. Lorsqu’on choisit cette option, par contre, on devra alors être prêt à mettre en preuve dans quelle mesure et de quelle façon on a exercé le contrôle sur l'usage de la marque visée. La Cour fédérale suit ainsi la décision dans l'affaire Wakefield Realty Corp. , dans laquelle la Cour fédérale d’appel avait statué qu'il s'avérait possible dans certaines circonstances d’inférer l’existence d’un contrat de licence de marque de commerce. On peut donc conclure que la théorie de la licence implicite ou verbale demeure bien vivante en droit canadien, malgré ce qu’on pourrait penser à la lecture de l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce. Cette possibilité pourra s’avérer une planche de salut, lorsque le détenteur d’une marque a négligé de se munir d’un contrat de licence en bonne et due forme. L’absence de dispositions expresses de contrôle dans une telle licence n’est pas nécessairement fatale au détenteur et la validité de sa marque, tout dépendant de la preuve qu’on parviendra à faire quant au contrôle exercé en pratique.
En passant, malgré ce qui précède, il va sans dire que le fait de se fier à une licence verbale (ou implicite) emporte son lot de risque, ce pour quoi il s'avère évidemment de beaucoup préférable de voir à documenter toute licence de marque de commerce, en prenant soin d'inclure des dispositions conférant le contrôle de l'usage de la marque à son détenteur. Tout détenteur de marque se fiant à la possibilité de démontrer l’existence d’une licence verbale le fait à ses risques et périls, c’est certain.