La Cour fédérale rendait il y a quelques jours une décision en matière de droits d’auteur et d’avis de décès : Thomson c. Afterlife Network Inc. (2019 FC 545). Selon la conclusion à laquelle en vient le tribunal ici, eh oui, même un simple texte de rubrique nécrologique peut très bien s’avérer protégé par droits d’auteur. Ce faisant, toute organisation qui en repique et republie à droite et à gauche, en particulier sur Internet, s’expose à une responsabilité envers l’auteur.
La décision en question s’inscrit dans le cadre d’une action collective, en Cour fédérale, intentée au nom d’une classe de représentants auteurs d’avis de décès ayant été republiés (sans autorisation) par la société Afterlife Network Inc. (« ANI »). ANI oeuvrait en marge de l’industrie des services funéraires au Canada, en exploitant (jusque-là) un site Web dont le modèle d’affaires passait par la republication d’avis de décès de Canadiens trouvés ci et là en ligne (plus d’un million), qu’on affichait ensuite sur le site, en association avec de la publicité et de la vente d’objets qui pourraient intéresser des personnes en deuil. Pour l’exploitant, on rendait service aux proches des défunts, en disséminant les avis de décès qui avaient été préparés afin d’annoncer des décès à la collectivité. Pour la représentante de la classe ayant intenté cette action collective, ANI générait du profit en reproduisant sans droits du contenu qu’elle chapardait ci et là dans des journaux et des sites de maisons funéraires, et ce, aux dépends de l’honneur et de la réputation des familles touchées.
Malheureusement pour ANI, les personnes en deuil ne sont pas toute susceptibles de voir d’un très bon œil la republication non autorisée d’avis de décès qu’elles avaient préalablement rédigés et (encore moins) leur affichage en association avec de la vente de produits et services liés à l’industrie des services funéraires.
La décision vient d’abord confirmer que, sans grande surprise, un texte d’avis de décès et la photographie s’y rattachant peuvent certainement constituer des « œuvres » au sens du droit d’auteur. Ce faisant, toute reproduction non-autorisé a le potentiel d’impliquer la responsabilité de l’éditeur. Eh oui, la pratique d’ANI déclenchait l’application du régime des droits d’auteur, puisqu’on parle de textes et de photographies que des individus ont pris le temps et l’énergie créative de créer. Pas de grande surprise ici, remarquez, ni non plus dans le fait que la republication sur un site Web de tiers (ANI) est une contrefaçon.
Puisqu’on était en présence d’œuvres, avec un million de publications par ANI, chaque article comportant un texte et une photographie, le compte final du nombre de cas de contrefaçon s’élève donc autour de deux millions, logiquement. Avec un nombre si grand, le calcul habituel en matière de dommages préétablis donnerait un chiffre astronomique (1 G$), que le tribunal se dit disposé à réduire conformément au paragraphe 38.1(3)b) de la Loi sur le droit d’auteur, en fixant le total à dix mille dollars, conformément à la demande de la représentante. Jusqu’ici, ANI s’en tire bien.
Malheureusement pour ANI, la Cour en profite cependant aussi pour octroyer des dommages aggravés, compte tenu de la nature de l’incident et du comportement qu’a adopté ANI en cours de réclamation. Dans un contexte pareil, le tribunal octroie dix millions de dollars en dommages aggravés, au profit des membres de la classe. Malgré sa conclusion que le comportement d’ANI pouvait être qualifié de « high-handed, reprehensible and represents a marked departure from standards of decency », la Cour se refuse à accorder en plus des dommages punitifs, vu le montant des autres types de dommages déjà octroyés. Au final, c’est donc avec une facture de seulement vingt mille dollars que s’en tire ANI, pour deux millions d’instances de contrefaçon, à savoir environ 1 ¢ par œuvre copiée.
Bien que la question des droits d’auteur ne soit rien de révolutionnaire, le traitement de la question des droits moraux, elle, s’avère intéressant. À ce sujet, la demanderesse exigeait un montant de 100 000 $, à titre de dédommagement lié à la violation de droits moraux, pour l’affichage des œuvres avec du contenu autre (des publicités) portant ombrage à l’honneur et à la réputation des membres de la classe visée, etc. Après tout, l’affichage d’un avis de décès en rapport avec l’offre de produits (par ex. vente de fleurs et de cierges funéraires) n’est-elle pas de nature à faire honte à tous ceux dont les textes ont ainsi été exploités à des fins commerciales en périphérie de leur deuil ? La représentante exigeait d’ailleurs aussi des dommages punitifs de l’ordre de cinq millions de dollars.
Le tribunal reprend ici l’énoncé de l’affaire Maltz c. Witterick (2016 FC 524) voulant que la réclamation en droit moraux comporte une composante subjective et une objective par rapport à l’atteinte prétendue à l’honneur et à la réputation de l’auteur. Oui, on doit se demander comment l’auteur se sentait (quant à son honneur, etc.), mais il faut aussi considérer comment les autres membres de la communauté perçoivent l’incident, comment leur estime de la personne peut ainsi être affectée. Ici, même si la preuve démontrait comment la demanderesse et d’autres auteurs ayant fourni des affidavits se sentaient, aucune preuve n’a été faite quant à l’opinion de la communauté ou d’experts. Vu cette lacune de la preuve, la C.F. rejette la réclamation en matière de droit moraux.
À noter qu’ANI n’a pas participé aux débats et que le jugement en résultant a essentiellement été rendu par défaut.