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Ni appel ni demande de contrôle judiciaire par un tiers afin de faire corriger une inscription sur le Registre des marques de commerce

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
Ni appel ni demande de contrôle judiciaire par un tiers afin de faire corriger une inscription sur le Registre des marques de commerce

La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») rendait récemment une décision venant confirmer le véhicule procédural approprié à un appel d’une décision du Registraire des marques de commerce. Comme le démontre cette décision, au point de vue procédural, la façon de faire demeure de faire appel par l’entremise de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce (la « LMC »).

La décision en question est Hutchingame Growth Capital Corporation v. Dayton Boot Co. Enterprises Ltd. (2019 FCA 152). L’affaire débute par une trame de faits un peu inhabituelle. Dayton Enterprises Ltd. (« Dayton Enterprises ») obtient l’enregistrement de la marque de commerce DAYTON  en 2011, avant de signer un contrat avec un individu nommé M. Risk en 2012, dans lequel il est question du transfert éventuel de la marque à sa société nommée Red Cat Ltd. (« Red Cat »). Ce contrat parle d’un transfert éventuel d’une façon qui rend la cession qu’il mentionne, disons moins que parfaite, incluant parce qu’en parlant au futur et en mentionnant que les parties doivent encore compléter la transaction ou les documents pour la compléter. De façon prévisible, les choses s’enveniment ensuite entre les parties.

En 2016, Red Cat se fait transférer la propriété de l’enregistrement de la marque, depuis 2012, en s’adressant au Registraire pour ce faire, évidemment sans mentionner le différend qui opposait déjà alors Red Cat et Dayton Enterprises. À tout événement, le Registraire modifie alors le registraire tel que demandé afin d’y indiquer que Red Cat était détentrice de l’enregistrement depuis 2012.

En l’apprenant, Dayton Enterprises fait objection alors auprès du Registraire, lequel refuse de corriger le registre, dirigeant plutôt les parties vers la Cour fédérale pour ce faire, au besoin, ce que fait alors Dayton Enterprises afin de faire corriger ce qu’elle considère comme une anomalie relative à la propriété indiquée sur le registre des marques. Pour ce faire devant la Cour fédérale, elle fait alors une demande de contrôle judiciaire en se basant entre autres sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (la « LCF »), lequel le permet à « quiconque [qui] est directement touché par l’objet de la demande ».

La Cour fédérale (la « C.F. ») traite la demande de contrôle judicaire, en concluant que la façon de procéder utilisée par Red Cat était essentiellement abusive, en cachant des faits pertinents au Registraire. Pour la C.F., dans un tel contexte factuel, le résultat de l’inscription de ces cessions s’avérait injuste, notamment parce que Red Cat avait procédé sans aviser Dayton Enterprises, en contravention de l’obligation implicite que les parties interagissent avec le Registraire en divulguant ce qui est pertinent, entre autres quand on demande un transfert. Ce faisant, la C.F. annule l’inscription des cessions à Red Cat.

En appel du jugement de la C.F. (devant la Cour d'appel fédérale – la « CAF »), la question centrale est de déterminer si le véhicule procédural qui a été utilisé pour remettre en question la décision du Registraire s’avérait le bon. En telles circonstances, une demande de contrôle judiciaire était-elle appropriée ?

Or, selon la conclusion à laquelle en vient la CAF à ce sujet, on doit répondre à cette pure question de droit par la négative. Selon la CAF, l’article 18.1 LCF n’était pas l’article à invoquer ici, c’est plutôt un appel interjeté en vertu de l’article 57 LMC pour faire modifier l’inscription de l’identité d’un détenteur de marque enregistrée. En effet, selon ce que prévoit l’article 18.1 LCF, lorsqu’une loi telle la LMC prévoit que les appels des décisions doivent passer par un véritable appel à la C.F., c’est ce chemin qu’il faudra obligatoirement suivre. Puisque l’article 56(1) LMC énonce une telle règle, en principe c’est pour un appel qu’il faut opter et non une demande de contrôle judiciaire.

Le problème pour Dayton Enterprises à ce niveau, c’est que le droit d’appeler d’une décision du Registraire requiert que l’entité qui fait appel soit une partie à la décision dont il est question, ce qui n’était pas le cas pour Hutchingame. Or, selon la CAF, outre avoir été détentrice originale de l’enregistrement en question, Dayton Enterprises n’a pas participé à l’échange relatif à la cession de la marque entre Red Cat et le Registraire, ne s’étant pas manifestée pour s’y opposer. En telles circonstances, de façon un peu contre-intuitive, la CAF adopte la position qu’on doit considérer la détentrice originale Dayton Enterprises comme n’étant pas partie à la décision du Registraire, dont elle ne peut donc pas faire appel.

Malheureusement pour Dayton Enterprises, même si elle ne pouvait pas valablement former un appel, cela ne signifie pas nécessairement que la demande de contrôle judiciaire s’avérait être la façon de faire. En effet, selon la CAF, le recours approprié était plutôt de passer par une « demande » présentée en C.F. en vertu de l’article 57(1) LMC. Ce type de recours peut être institué par toute personne intéressée, même si elle n’était pas une partie à la décision du Registraire. Or, Dayton Enterprises détenait clairement un intérêt dans la question (en tant qu’ancienne détentrice de la marque en question), afin de faire corriger le contenu du Registre des marques. Une telle correction du registre se révélait donc tout à fait possible par le biais d’une telle demande en C.F.

Il est donc confirmé qu’un tiers ne pourra généralement pas obtenir la correction du contenu du registre par l’entremise d’une demande de contrôle judiciaire, ni d’un appel de la décision du Registraire. Du point de vue procédural, c’est par une demande en C.F. qu’il faut alors passer.

On notera cependant pour terminer que la LMC vient tout juste d’être amendée, notamment afin de permettre au Registraire de corriger le genre d’erreur d’inscription dont il était ici question. Eût cette nouvelle règle existé il y a quelques années, Dayton Enterprises aurait été libre de demander au Registraire de corriger l’inscription de la cession à Red Cat et, si le Registraire s’y était refusé, aurait eu le droit de faire appel de ce refus auprès de la C.F.

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À propos de l'auteur

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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