Skip to content

Dans le cadre de la détermination des modalités de garde d'une jeune enfant, le tribunal souligne l'évolution de la société à de nouvelles réalités et l'absence de poids que doivent avoir dans la prise de décision les stéréotypes et les stigmates liés à la santé mentale d'un des parents ou à son orientation sexuelle, lorsqu'il n'y a aucun impact sur ses capacités parentales.

Résumé de décision : Droit de la famille — 202173, C.S., 27 novembre 2020.
Dans le cadre de la détermination des modalités de garde d'une jeune enfant

La cellule familiale dans laquelle l'enfant est née n'est pas commune. Lorsque ses parents, alors toutes deux lesbiennes, se sont rencontrées et ont développé une relation amoureuse, madame a déménagé dans la région de sa nouvelle conjointe (monsieur). Elles étaient d'accord, dès le départ, pour que cette dernière amorce un processus de transformation de genre et, ensuite, pour qu'ils fondent une famille et que madame devienne enceinte par l'entremise d'un donneur. Si madame a pu remettre en question le statut de monsieur par rapport à l'enfant, puisqu'ils n'avaient pas de lien biologique, il a finalement été décidé que son nom apparaîtrait comme père au certificat de naissance. Quelques semaines après la naissance de l'enfant, ils ont rompu et madame est revenue vivre dans sa région avec le bébé, à une distance de plus ou moins dix heures de route, sans en informer monsieur. Un jugement intérimaire a rapidement été prononcé. Une garde partagée avec des échanges aux trois semaines a été temporairement ordonnée.

Dès le prononcé du jugement intérimaire, madame a fait un signalement à la DPJ au motif que monsieur ne serait pas apte à s’occuper seul de l'enfant. L'enquête, qui a alors été ouverte et qui a donné lieu à des visites surprises, a mené à la fermeture du dossier, la DPJ ayant conclu que le milieu de vie de monsieur et sa manière de prendre soin de l’enfant étaient adéquats.

Madame tente aujourd'hui d'obtenir la garde exclusive en se basant sur des stéréotypes et des stigmates, attaquant la santé mentale de monsieur, son orientation sexuelle et les effets de sa médication. Or, ce ne sont pas les critères qui doivent être pris en compte. La société évolue et le droit de la famille doit s’adapter à de nouvelles réalités. En l'absence de preuve d'impact sur les capacités parentales de monsieur, les éléments soulevés par madame n'ont pas de poids.

L'enfant, âgée maintenant de 17 mois, est donc en garde partagée depuis près d'un an. Pendant ce temps, aucun incident ne s’est produit chez l’un ou l’autre des parents et l'enfant se développe bien. Les parents semblent tous deux détenir des capacités parentales équivalentes et adéquates. Ils ont été en mesure, pendant le délibéré, d'en arriver à une entente sur les modalités d’accès et semblent capables d'exercer une bonne coparentalité essentielle au bien-être de l'enfant. Une garde partagée serait donc de mise, mais il est hors de question que l’enfant continue de changer de résidence aux trois semaines et de voyager sur de longues distances. Non seulement son éloignement de chacun de ses parents sur des périodes aussi longues n’est pas souhaitable pour le développement de son lien d’attachement avec eux, vu son jeune âge, mais en plus la situation actuelle menace la stabilité d'emploi de monsieur et la réussite scolaire du fils de celui-ci, soit le beau-frère de l'enfant. Il n'est pas possible de faire abstraction des impacts sur la fratrie dans le cadre de la présente décision. Ainsi, le maintien de la garde actuelle n'est pas possible.

Par ailleurs, madame n'a pas réussi à démontrer qu'elle serait la personne la plus significative dans la vie de l’enfant. Même après avoir quitté la région et avoir privé l'enfant de la présence de monsieur pendant 6 semaines et même si elle peut avoir été un peu plus impliquée dans les soins prodigués à celle-ci pendant quelques mois, il appert que durant les 3 premières semaines de vie de l’enfant, puis au cours des 11 derniers mois, monsieur s’est autant occupé d'elle que madame.

L'idéal serait que madame revienne habiter dans la région où l'enfant est née et qu'elle exerce une garde partagée avec monsieur. Elle n’a pas encore de logement dans sa région, elle vient tout juste de se trouver un emploi et n’a pas encore refait sa vie. Dans l'optique où elle maintient son désir de ne pas déménager, force est de déterminer quel parent doit exercer la garde exclusive et il appert que des deux parents, celui qui a le plus à perdre si la garde est accordée à l’autre, c'est monsieur et son fils, dont le réseau est bien établi et l'enracinement est bien présent.

En déménageant intempestivement, madame n’a pas agi dans le meilleur intérêt de l'enfant, alors qu’elle est partie sans même avoir de plans et que son choix oblige maintenant celle-ci à dormir dans une chambre d’hôtel pour voir monsieur et son demi-frère et à voyager sur de longues distances. Certes, une séparation occasionne son lot de décisions impulsives, mais ces décisions prises sur un coup de tête sont susceptibles de générer des effets négatifs pour le parent qui les prend. Madame plaide avoir été victime de violence conjugale pour justifier sa précipitation et son choix de mettre monsieur devant le fait accompli. Il s'agit d'une grave accusation qui ne doit pas être portée à la légère pour arriver à ses fins. C'est pourtant le cas en l'espèce. La preuve révèle plutôt des chicanes récurrentes, mais brèves à la suite de la naissance de l'enfant, lesquelles étaient provoquées par la détermination du parent devant prodiguer les soins au bébé. Il n'y a aucune preuve de violence physique ou psychologique ni du fait que la sécurité de l'enfant a pu être menacée. Rien ne soutient les craintes décrites par madame dans ses procédures.

Madame affirme également que monsieur serait incapable de prendre soin de l'enfant adéquatement, car il est bipolaire. Elle connaissait pourtant ce diagnostic avant de décider de fonder une famille avec lui et cet élément n'a jamais été un enjeu pour elle à l'époque. Elle soutient, en outre, qu'il serait instable psychologiquement et produit en preuve un texto pour corroborer ses allégations voulant qu'il soit suicidaire, mais un rapport du psychiatre de monsieur, rédigé plusieurs mois après ce message texte, confirme que celui-ci est stable mentalement, depuis plusieurs années. Les diverses impressions de madame ne font pas le poids pour contredire cette preuve.

Madame pousse l’audace jusqu’à invoquer que monsieur aurait un problème de consommation excessive de cannabis et d’alcool, mais la consommation qu'elle dénonce est tellement exagérée qu’elle lui enlève toute crédibilité. Il est impensable que monsieur ait pu fonctionner normalement en consommant de 15 à 25 joints de grandes tailles ainsi que 4 à 6 bières par jour. D'ailleurs, les tests de dépistage de drogue effectués dans les 11 derniers mois sont négatifs et confirment que monsieur est tout à fait sobre.

Après toutes ses accusations non appuyées par la preuve, c’est à travers certains faits énoncés et certains commentaires que madame fournit spontanément le véritable motif qui l’anime. Sa volonté d'obtenir la garde est en lien avec la transformation subie par monsieur et avec sa véritable orientation sexuelle. Or, ces éléments ne changent absolument rien à la possibilité pour celui-ci de se voir confier l'enfant. Ce n'est que l'intérêt supérieur de cette dernière et les capacités parentales de monsieur qui importent. Madame plaide qu'il serait devenu plus agressif depuis qu'il prend de la testostérone, mais cette consommation est antérieure à la décision de concevoir un enfant et l'hypothèse avancée ne relève que de la pure spéculation.

Monsieur a un emploi stable et s'occupe bien de l'enfant. Il avait trouvé un emploi à madame la première fois lorsqu’elle est venue s’installer dans la région et a offert de l’aider à nouveau, de même que pour se trouver un logement. Il est celui qui a démontré que ses besoins personnels passaient après le meilleur intérêt de ses enfants. Il a aussi fait la démonstration de son réel désir de mettre en place des conditions gagnantes, afin que l’enfant puisse développer un véritable lien significatif avec chaque parent.

Tout bien pesé, il convient d'ordonner une garde partagée, si madame revient s'établir à 45 minutes ou moins de la résidence de monsieur. À défaut d'agir de la sorte, la garde exclusive est confiée à ce dernier, dès le mois prochain. Pour ce qui est des droits d'accès, l'entente conclue entre les parties, qui les fixe du jeudi soir au lundi après-midi, doit être entérinée. Toutefois, la portion voulant que l’enfant soit avec madame pendant toute la période estivale doit être modifiée. Cette modalité n'est pas dans l'intérêt d’une jeune enfant. Une période de trois semaines consécutives chez chaque parent durant l'été est préférable. Du reste, aucune pension alimentaire n'est établie puisque les parties ont sensiblement le même revenu, mais elles doivent se tenir au courant de l’évolution de leur situation financière.

You May Also Like
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.