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En publiant un communiqué de presse non indépendant et en apparence partial quant aux évènements ayant entouré la mort d'un homme de 28 ans entre les mains des policiers, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a porté atteinte à l'honneur et à la réputation de la famille de la victime, ce qui lui vaut une condamnation au paiement d'une somme totale de 30 000 $ pour le préjudice moral ainsi causé.

Résumé de décision : Celik c. Bureau des enquêtes indépendantes, EYB 2021-392683, C.Q., 7 juin 2021
En publiant un communiqué de presse non indépendant et en apparence partial

Un homme de 28 ans est décédé à son domicile devant ses parents lors d'une intervention policière. Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a alors été appelé à rapporter les évènements et à produire un rapport. Cet organisme est soumis aux règles de droit commun notamment en matière de responsabilité extracontractuelle et ne bénéficie d'aucune immunité. Lors de la publication de son second communiqué de presse en lien avec l'évènement, il n'a pas rempli sa mission de transparence, d'indépendance et son devoir de veiller à la confiance du public. Il a excédé sa compétence, en poursuivant une finalité impropre, et a agi de façon déraisonnable dans l’exercice de sa discrétion. Le communiqué de presse était non conforme à la législation, aux buts et à l’essence même de ce que doit être cet organisme. Le déroulement de l’enquête, qui s'est échelonnée sur plus d'une année, n'a pas été expliqué et la description de l’évènement ne repose que sur la version des faits avancée par les policiers. Il ne peut valablement être plaidé que le BEI peut rapporter ce qu’il veut, pourvu qu’il relate une version du rapport. Cette façon de faire revient à contrecarrer l’objet principal du régime législatif qui est d’informer le public du déroulement de l’enquête. En agissant ainsi, le risque de miner la confiance du public est réel. À la lecture du communiqué, une personne raisonnable du public peut avoir l’impression que le texte est écrit pour justifier l’intervention policière. L’usage des mots « agressif envers les policiers » et « L’enquête démontre » ne laisse pas de place à l'objectivité et laisse croire que le BEI prend position et que cette position est uniquement basée sur la version policière. Le texte n'est pas neutre. Il n’en ressort aucune indépendance ni même impartialité. Il fait abstraction d'une autre version tout aussi crédible rendue par des témoins oculaires, soit les parents de la victime. Ces témoins ont vu leur fils mourir sous leurs yeux. Ne pas tenir compte de leur version ou même leur impression sous prétexte que l’organisme est indépendant est un mauvais usage du pouvoir discrétionnaire et une mauvaise interprétation de la législation en vigueur. Les parents ont manifesté leur surprise, leur frustration et leur contrariété avant la publication, envoyant même une mise en demeure pour que le texte soit modifié. Le fait qu'aucun changement n'ait été apporté dans un tel contexte s’apparente à de l’insouciance grave. Le BEI savait pertinemment que le communiqué était contesté, qu’il choquait les parents et qu’une seule version de l’évènement y était, en apparence, privilégiée. Il n'a pas agi comme un organisme raisonnable, prudent et diligent. Il a directement porté atteinte à la réputation et à l'honneur des demandeurs (les parents et les frères de la victime).

Par ailleurs, le BEI a également cruellement manqué à son devoir de tenir les proches de la victime informés de l'enquête indépendante menée. Aucune information ne leur a été fournie ni aucune réponse n'a été donnée à leur question, ce qui les a plongés dans un profond désarroi. L'absence de communication a atteint un paroxysme incompréhensible tel, qu'il a fallu que le père de la victime, d’origine turque et citoyen canadien habitant au pays depuis près de 40 ans, scientifique et homme d’affaires participant à l’essor du pays, fasse appel à l’ambassade de Turquie pour faire bouger les choses.

Les parents ont rapidement compris qu’ils étaient seuls, qu'on ne les croyait pas et que seule la police était écoutée et appuyée. Le préjudice moral qu'ils ont subi n'est pas lié à la couverture médiatique subséquente qui a pu être initiée, ou non, par la famille dans les médias traditionnels ou sociaux. Leurs dommages moraux découlent du fait que leur fils a été décrit comme un homme agressif lors de l’intervention policière, ce qui a eu pour effet de justifier l'évènement. Honorer la mémoire d’un fils, d’un frère, fait partie des « éléments moraux » donnant droit à des indemnités lorsqu’une personne y porte atteinte, comme c’est ici le cas. Pour compenser la perte d’honneur, la détresse psychologique, l’anxiété, la perte de jouissance de la vie et l’humiliation ressentie par les parents à la suite de la publication du communiqué, alors qu'ils se trouvent encore aujourd'hui profondément tristes, troublés et déprimés, une somme de 10 000 $ revient à chacun d'eux. Pour ce qui est des deux frères de la victime, ceux-ci sont toujours bouleversés par ce qui s'est produit, ils ont développé une anxiété physique et une perte de confiance à l’égard de l’État québécois et ont déménagé dans d'autres régions. Ils ont droit chacun à 5 000 $, au lieu des 10 000 $ réclamés.

Le BEI n'a pas posé un geste intentionnel ou fait preuve d’une mauvaise foi qui mérite d’être dénoncée et sanctionnée par l'octroi de dommages exemplaires. La preuve n’indique pas qu'il était motivé par le désir de nuire à la famille de la victime et ne révèle aucune intention malicieuse arrêtée et calculée. Il est impossible de conclure au caractère voulu, conscient et délibéré de l’acte posé. La demande pour l'octroi de dommages-intérêts punitifs est rejetée.

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