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Un collège est condamné à verser une indemnité totale d’un peu plus de 80 000 $ à une élève, qui s’est blessée au doigt en utilisant une scie dans le cadre d’un cours, et à la mère de celle-ci

Résumé de décision : Boucher c. John Abbott College, EYB 2015-250198 (C.S., 30 mars 2015)
Blogue juridique

La victime, une jeune fille de 18 ans, s'est coupé l'index de la main droite en utilisant une scie dans le cadre d'un cours offert par le collège défendeur. Alléguant la responsabilité de ce dernier, sa mère et elle réclament solidairement une indemnité de 326 000 $.

Ayant été absente au cours précédent, la victime avait pris un peu de retard sur les autres étudiants. Alors que ceux-ci avaient terminé l'étape de la coupe d'un morceau de bois sur la scie, une autre étudiante et elle devaient effectuer cette tâche avant de passer à la prochaine. Il ressort de la preuve que, lorsque l'accident est survenu, l'enseignant se trouvait dans une pièce voisine et donnait des instructions aux élèves sur le prochain travail à accomplir. Son assistant, qui avait la responsabilité de surveiller la victime et sa camarade de classe, avait quitté la pièce peu de temps auparavant pour aller aux toilettes. La victime n'a pas été en mesure d'expliquer avec précision comment son doigt est entré en contact avec la lame de la scie. Tout compte fait, il convient de retenir la version donnée par l'élève qui se trouvait à ses côtés lors de l'événement. Celle-ci a vu la victime se servir de la baguette coulissante pour déloger un morceau de bois qui se trouvait près de la lame. Ce geste était contraire aux instructions données. La victime, à l'aube de l'âge adulte, aurait dû savoir que son geste était non seulement inutile, mais également très dangereux. Elle n'a pas respecté les consignes de sécurité et doit, en conséquence, supporter 25 % de ses dommages. Le collège, de son côté, a omis de prendre les précautions appropriées pour éviter un risque raisonnablement prévisible. L'assistant aurait dû interdire l'utilisation de la scie en attendant qu'il revienne. S'il avait été présent, il aurait vraisemblablement dissuadé la victime d'essayer de déplacer le morceau de bois et l'aurait enlevé lui-même. L'accident aurait alors été évité. Une part de responsabilité de 75 % revient donc au collège.

La victime soutient avoir été ridiculisée par certains enseignants à la suite de l'accident. Certains auraient soulevé sa maladresse et d'autres auraient minimisé ses blessures. En raison de ce manque de sensibilité et de soutien, elle se serait sentie rejetée, ce qui l'aurait amenée à s'inscrire dans un autre collège et aurait augmenté ses difficultés d'adaptation et accentué son préjudice matériel. Le témoignage qu'elle a rendu à l'audience était beaucoup plus nuancé que les allégations contenues dans la requête introductive d'instance. Les enseignants qui se sont fait entendre au procès, de leur côté, étaient très convaincants. Certains ont fait des plaisanteries considérées comme inoffensives, alors que la plupart se sont dits surpris des prétentions de la victime. Cette dernière semble être une personne sensible qui a besoin de plus d'appui et d'encouragement des personnes de son entourage que la moyenne des gens. Elle se serait sûrement attendue à recevoir un traitement spécial à son retour au collège. Somme toute, il n'est pas possible de retenir que les préposés du collège auraient commis quelque faute que ce soit en raison de gestes posés ou de commentaires prononcés à la suite de l'accident. Par ailleurs, aucune atteinte à la réputation de la victime n'a été démontrée.

Dans le présent recours, il ne peut y avoir de solidarité entre les créanciers. Le préjudice subi par la victime est différent de celui subi par sa mère. Chacune doit être indemnisée pour les dommages qui lui sont propres.

La victime invoque à bon droit la théorie de la prédisposition (thin skull rule) qui veut que la personne fautive doive composer avec l'état vulnérable dans lequel se trouvait la victime avant le dommage, ce qui fait en sorte que les conséquences de la faute sont plus graves pour celle-ci que pour une personne ordinaire. Il appert en l'espèce que la victime souffre d'une certaine fragilité et sensibilité particulière. Elle a un trouble d'adaptation chronique, un manque de confiance en elle et une tendance à craindre le jugement des autres. Les revers scolaires qu'elle a connus après l'accident s'inscrivent dans un schéma qui était déjà en place auparavant. Il y a tout de même lieu de retenir que sa blessure au doigt a exacerbé la piètre estime d'elle-même qu'elle avait déjà tout en prenant en considération sa tendance naturelle à dramatiser les situations difficiles. Tout bien considéré, il y a eu aggravation d'une condition préexistante.

La victime est droitière. Elle venait de commencer son programme d'études au département des beaux-arts du collège. La preuve ne permet pas de conclure qu'elle aurait perdu totalement sa capacité de dessiner ni celle de gagner sa vie dans ce domaine. Certains dessins déposés en preuve montrent son talent et sa compétence. En outre, la technologie peut permettre de pallier certaines limitations manuelles. Son défi est cependant plus grand et sa capacité de gain est limitée en raison des emplois exigeant une grande rapidité d'exécution. Son incapacité partielle permanente est évaluée à 5 %. Une indemnité de 50 000 $ lui est accordée à ce poste.

Il n'est pas en preuve que la victime aurait enduré d'importantes douleurs. Elle a, par contre, dû se soumettre à deux interventions chirurgicales. Elle a plus de difficultés à accomplir ses tâches quotidiennes, à effectuer certaines activités de loisirs et à manipuler de petits objets. Pour l'ensemble de ses pertes non pécuniaires, incluant douleurs, souffrances, dommages moraux et perte de jouissance de la vie, un montant de 50 000 $ est approprié. Une somme de 2 000 $ lui est également octroyée pour son préjudice esthétique.

La mère de la victime a droit au remboursement des frais de physiothérapie payés, qui s'élèvent à la somme de 850,07 $. Comme il n'a pas été prouvé que ce serait en raison de l'attitude des enseignants du collège que la victime a dû s'inscrire dans une autre école, le remboursement des frais de scolarité et autres dépenses connexes en lien avec ce changement d'institution scolaire n'est pas accordé. La mère de la victime a dû prendre soin de celle-ci à la suite de l'événement et lui apporter une assistance particulière. Elle est en droit de recevoir un montant de 5 000 $ pour ses dommages moraux, incluant les difficultés et inquiétudes que lui a occasionnées l'accident.

Ainsi, le collège est condamné à verser 76 500 $ à la victime et 4 387,55 $ à sa mère.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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