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La Cour évalue quel impact, le cas échéant, la pandémie de COVID-19 pourrait avoir sur la détermination de la peine dans la présente affaire.

Résumé de décision : R. c. Baptiste, C.Q., 12 mai 2020
La Cour évalue quel impact, le cas échéant, la pandémie de COVID-19 pourrait avoir sur la détermination

À l'issue de son procès, l'accusé a été déclaré coupable de diverses infractions relatives aux armes à feu. Ultérieurement, l'accusé s'est en outre reconnu coupable d'avoir eu en sa possession des armes alors que cela lui était interdit. Les discussions que les parties ont eues après le prononcé du verdict ont abouti à une suggestion commune sur la peine. Ces dernières proposent une peine totale de 16 mois d'emprisonnement.

D'entrée de jeu, il convient de mentionner que la Cour n'est pas liée par la suggestion commune des parties. Dans l'arrêt R. c. Anthony-Cook, la Cour suprême du Canada définit les recommandations conjointes relatives à la peine comme étant le fait pour les avocats du ministère public et de la défense de convenir de recommander au juge une peine en particulier, en échange d’un plaidoyer de culpabilité de la part de l’accusé. Ces recommandations conjointes font partie des discussions en vue d’un règlement. Or, ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. Aucune recommandation conjointe n'a été proposée en échange d'un plaidoyer de culpabilité. Plutôt, un procès a eu lieu et la Cour a déclaré l'accusé coupable. Par conséquent, ce qui s'est passé ne constitue pas une «  négociation de plaidoyer ». La suggestion commune que les parties ont faite après le prononcé du verdict n'est pas une véritable recommandation conjointe contraignante.

Toutes les infractions liées aux armes à feu sont des crimes graves. Les peines doivent refléter fidèlement le caractère hautement répréhensible et la grande nocivité de ces infractions. Les peines doivent aussi tenir responsables les auteurs de ces infractions. Il ne suffit pas que les tribunaux déclarent simplement que les infractions liées aux armes à feu sont graves. Lors de l'imposition d'une peine pour des infractions liées aux armes à feu, la dénonciation et la dissuasion sont des considérations primordiales. Les tribunaux d'appel soulignent la nécessité d'une peine sévère pour répondre à la gravité de l'infraction, et ce, même lorsque le délinquant est jeune et qu'il a eu, jusque-là, un comportement irréprochable. Certes, il est vrai que l'accusé n'a pas utilisé l'arme à feu; il a eu en sa possession l'arme à feu et il se verra imposer une peine pour une telle infraction. Cependant, lorsqu'il est question d'armes à feu illégales, il convient de répéter que leur possession est pernicieuse et dangereuse en soi. Tant que de telles armes à feu sont en circulation, le risque de blessure ou de mort demeure. Au moment d’infliger une peine, les tribunaux doivent tenir compte du préjudice potentiel raisonnablement prévisible qui découle de l'infraction.

La fréquence d’un type d’infraction dans une région donnée peut certes constituer un facteur pertinent pour le juge chargé de la détermination de la peine. Ce facteur a un impact sur le besoin de dénoncer le comportement illégal à cet endroit et de dissuader quiconque, par la même occasion, d’en faire autant. La ville de Montréal, deuxième centre urbain du pays, est aux prises avec une augmentation de la violence liée aux armes à feu. C'est sans hésitation que la Cour admet d’office ce phénomène alarmant qui s'est aggravé ces derniers mois. En fait, jusqu'au calme relatif provoqué par la crise du COVID-19 à la mi-mars 2020, la ville de Montréal a connu une recrudescence sans précédent des fusillades. L'aggravation de la situation oblige les tribunaux à agir avec fermeté afin de freiner la prolifération des infractions liées aux armes à feu. Le message du système de justice doit être ferme et sans équivoque: les armes illégales ne seront pas tolérées dans le district judiciaire de Montréal.

Au chapitre des facteurs aggravants, l'on retient ce qui suit : 1) les condamnations antérieures de l’accusé, bien qu’elles ne visent pas des infractions liées aux armes à feu; 2) la nature de l'arme à feu (un fusil semi-automatique); 3) le fait que des munitions de calibre différent aient été trouvées à côté de l'arme à feu, ce qui suggère que l'accusé avait accès à d'autres types d'armes dangereuses; 4) le fait que l'arme à feu était entreposée dans un endroit où les gens convergeaient pour des rassemblements ou des fêtes; 5) le fait que de jeunes enfants vivaient juste au-dessus de l'endroit où se trouvait l'arme à feu; 6) le fait que l'arme à feu était entreposée négligemment et dangereusement; 7) le fait que la possession était de longue date; 8) la recrudescence importante de la violence liée aux armes à feu dans le district judiciaire de Montréal; 9) le fait que l'accusé était soumis à une ordonnance d'interdiction de possession d'armes à feu.

Il n'y a pas de facteurs atténuants en l'espèce. Le fait que l'accusé possédait une arme à feu pour se défendre, si on le croyait, bien sûr, ne pourrait atténuer la peine. Pour la communauté, le danger créé par de telles armes est le même, quelle que soit la motivation du délinquant à s'armer de cette manière. Par ailleurs, la loi ne permet pas aux personnes de prendre les choses en main et de s'armer ainsi d'armes dangereuses et illégales. Le fait de ne pas récidiver ne peut pas, non plus, être considéré comme un facteur atténuant. Ici, le respect des conditions de mise en liberté est au mieux un facteur neutre. Étant donné que l'accusé savait que de graves accusations avaient été portées contre lui, il aurait été incongru qu'il récidive. La logique dicte plutôt que tout délinquant dans une telle situation aurait le meilleur comportement possible. Un délinquant ne peut être récompensé pour cette précaution la plus élémentaire. Au même titre, le simple fait d'avoir un emploi stable n'est pas un facteur atténuant en soi. Et lorsqu'un délinquant travaillait déjà au moment de l'infraction, il est difficile pour lui d'invoquer son emploi au moment de la détermination de la peine pour démontrer qu'il est moins susceptible de récidiver. Enfin, la Cour n'est pas insensible au fait que l'accusé s'occupe actuellement, avec sa conjointe, de ses trois enfants, dont un très jeune bambin, et qu'il a l'intention de demander la garde de ses deux adolescents qu'il a eus dans le cadre d'une relation précédente. Ainsi, si l'accusé est incarcéré, la famille dans son ensemble sera inévitablement pénalisée. Néanmoins, si, à la suite de l'emprisonnement de l'accusé, d'autres personnes souffrent et que plus de tort est causé, cela est dû à la conduite de l'accusé, et non à la sévérité de la loi. Ceux qui sont responsables de la sécurité financière d'autrui ne sont pas moins responsables de leurs actes. Lorsqu'un accusé commet une infraction délibérée et continue sachant très bien que ses enfants dépendent de lui, une réduction de peine sera rarement appropriée.

L'accusé se livrait à une véritable activité criminelle. Certes, l'arme à feu n'était pas détenue ou transportée dans un lieu public. Mais elle n'était pas bien cachée ni sécurisée non plus. La nature du crime et les multiples facteurs aggravants sont tels qu'il y a lieu de privilégier la dissuasion, la dénonciation et la protection de la société. Toute personne qui envisage de s'armer avec des armes à feu dangereuses doit savoir que les tribunaux réagiront sévèrement à une telle conduite, particulièrement dans le district judiciaire de Montréal. En soupesant tous les facteurs, y compris le degré de culpabilité morale de l'accusé, la gravité des infractions, la dissuasion générale et la dénonciation, ainsi que la situation personnelle de l'accusé, il y a lieu de conclure qu'une peine d'emprisonnement de 32 mois permettra d'atteindre adéquatement et équitablement les objectifs de détermination de peine.

Il faut maintenant évaluer quel impact, le cas échéant, la pandémie de COVID-19 pourrait avoir sur la détermination de la peine dans la présente affaire. La question se pose à deux niveaux du processus de détermination de la peine : 1) au moment de créditer la détention présentencielle; et 2) au moment de déterminer la durée totale de la peine appropriée.

Même en l'absence d'une contestation constitutionnelle, il semble que les tribunaux soient toujours disposés à accorder un crédit supérieur à 1,5: 1 afin de tenir compte des conditions difficiles de la détention présentencielle. Dans les circonstances de la présente affaire, un crédit supérieur à 1,5: 1 ne sera pas accordé. Certes, malgré les bonnes intentions derrière les mesures prises au centre de détention (le confinement dans les cellules, notamment) en raison de la situation unique et sans précédent que nous vivons, le résultat est que la détention présentencielle devient plus difficile pour le détenu. La restriction de la liberté du détenu, la réduction des contacts sociaux, la suppression ou la limitation d'autres privilèges, la suppression des visites et les difficultés psychologiques d'être confiné dans un petit endroit ne sont pas négligeables. Toutefois, on ne peut conclure que les conditions de la détention présentencielle de l'accusé étaient plus difficiles que les conditions de détention des détenus qui purgent actuellement leurs peines dans des établissements provinciaux ou des pénitenciers fédéraux. Bien que la Cour soit sensible à l'angoisse accrue et constante d'être infecté, l'accusé est dans la trentaine et rien n'indique qu'il souffre de conditions médicales le mettant particulièrement en danger.

Par ailleurs, accorder des réductions de peine en raison de difficultés éventuelles en milieu carcéral (la pandémie et les risques d'infection qui en résultent) serait imprudent pour diverses raisons. D'abord, personne ne sait à quoi s’attendre en ce qui concerne la propagation de la pandémie. À ce stade-ci, il ne serait pas approprié de supposer que les conditions de détention continueront d'être particulièrement dures. Accorder une réduction de peine en raison de circonstances encore inconnues serait inapproprié et hautement spéculatif. Ensuite, il semble plus approprié de laisser ces considérations à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. L'article 718 C.cr. et le principe de proportionnalité ne sont tout simplement pas les mécanismes appropriés pour faire face aux difficultés potentielles ou futures que pourrait rencontrer un délinquant lorsqu'il purge sa peine. Une telle tentative fausserait le processus de détermination de la peine. Les autorités chargées des libérations conditionnelles, les responsables de la santé publique et les décideurs politiques sont mieux placés pour aborder ces problèmes indéniablement importants. Qui plus est, cette approche est conforme à la jurisprudence des tribunaux d’appel qui a toujours respecté le principe selon lequel la preuve prédictive de la façon dont la peine d’un délinquant pourrait être gérée par l’établissement correctionnel ou la Commission des libérations conditionnelles du Canada n’est pas pertinente pour déterminer la peine appropriée. Le même raisonnement s’applique aux contestations liées au COVID-19 lorsqu'un accusé purge sa peine et à la réaction des autorités à ce sujet. Finalement, une réduction de peine fondée uniquement sur l’existence de la pandémie de COVID-19 au moment où le délinquant se voit imposer une peine serait arbitraire. Les personnes qui purgent déjà des peines ne pourraient pas bénéficier d'une telle réduction de peine même si elles courent exactement le même niveau de risque. Sans aucune preuve précise sur les risques pour la santé de l'accusé, la Cour refuse de réduire ce qui serait autrement une peine appropriée.

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