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L’aveu que l’accusée a fait dans le cadre d’une opération policière secrète de type « Monsieur Big » est déclaré admissible en preuve

R. c. Johnson, EYB 2016-265723 (C.S., 14 avril 2016)
L’aveu que l’accusée a fait dans le cadre d’une opération policière secrète de type « Monsieur Big » est déclaré admissible en preuve

L'accusée subit son procès pour le meurtre non résolu de son conjoint survenu le 30 avril 1998. L'accusation a été portée au terme d'une opération policière secrète de type « Monsieur Big ». L'accusée demande l'arrêt des procédures considérant la conduite attentatoire de l'État lors du déroulement de cette opération.

L'état du droit en matière d'aveu obtenu au terme d'une opération « Monsieur Big » a été modifié par l'arrêt Hart de la Cour suprême. Le juge Moldaver propose dans cet arrêt une démarche analytique en deux volets destinée à préserver le droit à un procès équitable ainsi que l'intégrité du système de justice. Le premier volet de la démarche consacre une nouvelle règle de preuve en common law. Cette nouvelle règle de preuve enseigne que l'aveu est présumé inadmissible. Cette présomption peut être réfutée si le ministère public prouve, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de l'aveu l'emporte sur son effet préjudiciable. La valeur probante tient à la fiabilité de l'aveu. Pour apprécier la fiabilité de l'aveu, le tribunal doit tout d'abord étudier minutieusement, attentivement et scrupuleusement les circonstances dans lesquelles il a été fait. Au nombre de ces circonstances, mentionnons la durée de l'opération, le nombre d'interactions entre les agents d'infiltration et l'accusé, la nature de la relation qui s'est tissée entre les agents d'infiltration et l'accusé, la nature des incitations et leur importance, le recours à des menaces, la conduite de l'interrogatoire et la personnalité de l'accusé, dont son âge, ses connaissances et son état de santé mentale. Après examen des circonstances, le tribunal doit rechercher dans l'aveu même des indices de sa fiabilité. Le tribunal doit tenir compte de la mesure dans laquelle l'aveu est détaillé et déterminer si ce dernier mène à la découverte d'autres éléments de preuve, mentionne des modalités du crime non révélées au public ou décrit fidèlement certaines données anodines que l'accusé n'aurait pas connues s'il n'avait pas été l'auteur du crime. Une preuve de corroboration n'est pas absolument nécessaire, mais lorsqu'elle existe, elle peut offrir une solide garantie de fiabilité. Plus les circonstances de l'aveu soulèvent des doutes, plus il importe de trouver des indices de fiabilité dans l'aveu même ou dans l'ensemble de la preuve. Le deuxième volet de la démarche repose, quant à lui, sur une approche plus vigoureuse de la doctrine de l'abus de procédure pour remédier au problème du comportement répréhensible des policiers. Somme toute, on s'efforce de faire en sorte que seul l'aveu qui se révèle plus probant que préjudiciable et qui ne résulte pas d'un abus soit admis en preuve.

L'opération policière secrète de type « Monsieur Big » menée dans la présente affaire visait plusieurs objectifs. On voulait d'abord établir un lien de confiance entre l'accusée, l'organisation criminelle fictive et ses membres. On souhaitait également amener l'accusée à croire en l'organisation, sa puissance, son envergure, son important réseau et ses contacts. De même, on désirait faire comprendre à l'accusée les valeurs de l'organisation (honnêteté, franchise et loyauté) et les conséquences du non-respect de ces valeurs entre les membres et au sein de l'organisation. Enfin, on voulait démontrer à l'accusée que les membres de l'organisation faisaient partie d'une grande famille, que l'organisation était capable de commettre des crimes, qu'il n'arriverait jamais rien physiquement à un membre de l'organisation même s'il était renié, que le traitement était différent pour quelqu'un de l'extérieur qui voulait toucher à un membre de l'organisation ou à l'un de ses proches, ou qui était malhonnête envers l'organisation, et que cette dernière était là pour aider un membre qui s'était mis dans le pétrin. Cette opération a commencé le 21 novembre 2012 et s'est terminée le 19 juin 2013. Au total, 51 scénarios ont été conçus. L'accusée a été bien traitée par l'organisation. L'on se souciait constamment de son bien-être et de sa sécurité et l'on s'informait pour savoir s'il lui manquait quoi que ce soit. Aussi, l'on vérifiait continuellement si elle était à l'aise de faire tel ou tel travail. L'accusée n'a pas hésité d'ailleurs à mentionner qu'elle ne voulait pas toucher à la drogue. On lui a assuré que l'organisation ne touchait pas à la drogue. L'accusée déterminait en outre son horaire de travail en fonction de ses besoins. L'écoute électronique démontre qu'elle était à l'aise, volontaire et de bonne humeur. L'accusée répétait même souvent qu'elle aimait son travail. Elle accomplissait ses tâches avec intérêt, conviction et coeur. De plus, l'accusée adhérait aux valeurs de l'organisation. Qui plus est, l'accusée a développé rapidement un grand lien de confiance avec les agents primaires (les agents d'infiltration qui étaient le plus souvent avec elle) et a établi un lien de familiarité avec les autres membres de l'organisation qu'elle connaissait.

Par ailleurs, l'accusée n'était pas démunie financièrement. Pendant l'opération, elle a reçu 18 000 $ environ pour les tâches effectuées et a été remboursée pour ses dépenses (2 400 $). L'organisation a vérifié son intérêt pour un véhicule. Elle a accepté la proposition. L'organisation a aussi vérifié son intérêt pour un condo, un pied-à-terre à Québec, moyennant un montant mensuel d'argent. L'accusée a refusé, car cela ne l'intéressait pas. Enfin, on lui a mentionné qu'elle pourrait avoir une somme de 50 000 $ si elle participait à une « grosse job ». Or, cette « grosse job » n'intéressait pas particulièrement l'accusée, qui se disait satisfaite avec le travail qu'elle accomplissait. Sur le plan personnel, l'accusée a eu un passé difficile : elle a été victime de violence conjugale, elle a consommé de la drogue et de l'alcool, elle a fait une dépression, elle a mené une vie désordonnée, elle a volé et utilisé des cartes de crédit. Depuis 2010, cependant, soit depuis la naissance de son petit-fils Z, l'accusée mène une vie rangée et s'occupe de ses enfants et de ses petits-fils, plus particulièrement Z. L'accusée n'est pas non plus isolée socialement. Au moment de son arrestation, elle est en couple depuis quelques années, elle a un travail, mais est en arrêt de travail, et elle fréquente sa famille, sa belle-famille et des amis. Tout au long de l'opération, l'accusée a su garder son indépendance et n'a pas délaissé sa famille. Certes, la santé physique de l'accusée est fragile. L'organisation ne l'a cependant jamais exploitée. Au contraire, l'organisation a été à l'écoute de la condition physique de l'accusée. Cette dernière affirme en outre avoir un problème de jeu. Les agents d'infiltration n'ont toutefois pas nourri ce problème.

Quant au dernier scénario, il s'agit sans contredit d'une rencontre importante. L'accusée était certainement très nerveuse, mais elle n'était pas apeurée. Le grand patron était respectueux et n'a jamais monté le ton. Il n'y a pas eu de confrontation ni d'intimidation. Le grand patron a même offert à l'accusée, et ce, à plus d'une reprise de quitter la rencontre. La seule chose que l'accusée devait faire, c'était dire la vérité. L'accusée s'est sentie soulagée d'avoir avoué le crime.

Lors de ce dernier scénario, l'accusée a raconté les événements et décrit ses gestes. Elle a expliqué en détail ce qu'elle avait fait. Elle a aussi décrit la pièce, l'arme, sa position et ses gestes avec l'arme, la position du corps de son conjoint, l'endroit où la balle a entré dans sa tête et ce qu'elle a fait après le seul coup de feu tiré. Les éléments connus seulement par le meurtrier et l'enquêteur rehaussent la fiabilité de l'aveu. Il y a, notamment, l'emplacement où la balle a pénétré dans la tête de la victime, la position du meurtrier par rapport à la victime, le fait qu'il y ait eu une seule décharge d'arme à feu et qu'aucune douille n'ait été retrouvée sur la scène de crime et, enfin, le maquillage de la scène. Le croquis de l'accusée pour décrire, entre autres, l'endroit approximatif où elle a disposé de l'arme est aussi digne de mention. L'arme n'a pas été retrouvée, mais l'accusée l'a recherchée désespérément pour pouvoir la faire disparaître. Finalement, l'aveu que l'accusée a fait à sa fille après son arrestation est également un élément de corroboration.

Le niveau de détail contenu dans l'aveu de l'accusée et les explications et les indices fournis par cette dernière font en sorte que l'aveu ne suscite « aucune préoccupation réelle étant donné que, dans les circonstances, sa véracité et son exactitude peuvent être suffisamment vérifiées ». À cette étape des procédures, il convient de rappeler qu'il s'agit uniquement de décider si la valeur probante de l'aveu l'emporte sur son effet préjudiciable. C'est le jury qui aura la tâche d'apprécier ultimement la fiabilité de l'aveu. À ce stade-ci, à la lumière de l'ensemble de la preuve, de tous les scénarios et de l'aveu, il y a lieu de conclure que la valeur probante de l'aveu l'emporte sur son effet préjudiciable.

Même si un aveu est digne de foi, l'accusé peut obtenir son exclusion ou même l'arrêt des procédures lorsque le comportement des policiers a été abusif. Il est évidemment impossible de recourir à une formule précise pour déterminer à quel moment une opération de type « Monsieur Big » devient abusive. Les opérations menées sont trop différentes les unes des autres pour qu'une frontière nette se dessine. Cela dit, une ligne directrice peut être avancée. Une telle opération vise l'obtention d'aveux. Le seul fait de recourir à des incitations n'est pas condamnable. Le comportement des policiers, y compris leurs incitations et leurs menaces, devient problématique lorsqu'il s'apparente à l'exercice d'une contrainte. Les policiers qui mènent une telle opération ne sauraient être autorisés à venir à bout de la volonté de l'accusé et à contraindre ainsi ce dernier à avouer. Cela équivaudrait presque assurément à un abus de procédure. La violence et la menace d'y recourir constituent deux formes de contrainte inadmissible. Toutefois, une opération de type « Monsieur Big » peut aussi devenir coercitive sous d'autres rapports. Une opération qui mise sur les points vulnérables de l'accusé tels ses problèmes de santé mentale, sa toxicomanie ou sa jeunesse pose aussi sérieusement problème.

En l'espèce, l'accusée n'a pas fait l'objet d'une contrainte irrésistible. Les policiers ont utilisé des techniques d'enquête, des manoeuvres, des stratagèmes, des ruses pour l'amener à confesser le crime. L'accusée n'a pas été soumise à des actes de violence et ne présentait pas un état de vulnérabilité manifeste. Elle a été témoin, certes, d'actes de violence. Toutefois, ces actes ne visaient jamais des membres de l'organisation. La violence dont l'accusée a été témoin ne va pas à l'encontre des limites suggérées par la Cour suprême dans les arrêts Hart et Mack.

Pour ces motifs, l'aveu que l'accusée a fait dans le cadre de l'opération de type « Monsieur Big » est déclaré admissible en preuve et la requête en arrêt des procédures est rejetée.

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