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Un militaire de carrière vivant avec un trouble de stress post-traumatique sévère qui a commis un homicide involontaire coupable est condamné à une peine de huit ans d'emprisonnement. Selon le juge, ce militaire a une obligation morale de se soigner et de retrouver l'homme qu'il était. Il le doit non seulement à la victime et à ses proches, mais aussi à ses frères d'armes qui ne sont jamais revenus de la guerre.

Résumé de décision : R. c. Lévesque, EYB 2023-532905, C.S., 4 octobre 2023.
Un militaire de carrière vivant avec un trouble de stress post-traumatique sévère

L'accusé, un militaire de carrière qui a vécu plusieurs événements traumatiques au cours de ses différentes missions à l'étranger, a été reconnu coupable, par 12 de ses pairs, d'homicide involontaire coupable. Le temps est venu de déterminer la peine juste et appropriée dans les circonstances. Le ministère public considère que c'est une peine de 15 ans d'emprisonnement. L'avocat de la défense croit plutôt que c'est une peine de cinq ans d'emprisonnement.

D'emblée, il convient de mentionner que la présente affaire est une terrible tragédie et que la peine qui sera imposée à l'accusé ne pourra jamais combler la profonde affliction causée par le départ tragique et trop soudain de la victime. Les tribunaux ne peuvent changer ce qui s'est passé. Ils ne peuvent que s'efforcer de tenir les délinquants responsables de leur conduite.

Le crime d'homicide involontaire coupable est passible de l'emprisonnement à perpétuité et implique, de ce fait, le plus haut degré de gravité objective prévu au Code criminel. Et lorsque ce crime est commis, comme en l'espèce, au moyen d'une arme à feu, il entraîne automatiquement une peine minimale d'emprisonnement de quatre ans, laquelle augmente encore davantage la gravité objective du crime. Sur le plan subjectif, les circonstances aggravantes suivantes militent en faveur de l'imposition d'une peine d'emprisonnement sévère. D'abord, il est question d'un quasi-meurtre. La victime a été abattue de six projectiles de calibre 9mm, dont trois à la tête, et au moins un des tirs a été effectué à moins de 75 cm d'elle. La vulnérabilité de la victime doit également être prise en considération. Celle-ci était en effet sans défense, au volant d'un véhicule automobile à bord duquel se trouvaient ses deux enfants âgés respectivement de deux ans et un an. Pour toute réaction, elle a seulement eu le temps de composer le 911 sur son téléphone cellulaire avant d'être tuée. Le fait que les enfants aient été témoins de l'homicide constitue d'ailleurs un facteur très aggravant, d'autant plus que leur propre santé physique a été mise en danger. En outre, la psychologue qui a témoigné à titre d'experte en expériences traumatiques vécues par les enfants expose les impacts psychologiques à long terme dont pourraient éventuellement souffrir ces enfants. S'ajoutent à cela les graves conséquences du crime sur les proches de la victime (son conjoint, sa mère, son père et sa soeur). Enfin, même si la preuve est muette quant au risque de récidive présenté par l'accusé, le fait est que ce dernier vit avec un trouble de stress post-traumatique sévère. Force est alors de conclure, et ce, hors de tout doute raisonnable que l'accusé pourrait, en raison de son trouble mental et faute de traitement adéquat, représenter à long terme un certain risque pour la société.

Toujours sur le plan subjectif, il faut aussi considérer les circonstances atténuantes suivantes. D'entrée de jeu, l'accusé n'a pas d'antécédents judiciaires (le tribunal ne tient pas compte de la condamnation antérieure pour conduite avec facultés affaiblies remontant à près de 20 ans) et rien dans la preuve soumise ne suggère que son geste était prémédité ou planifié. En outre, une preuve prépondérante démontre que l'accusé s'est comporté comme il l'a fait non pas pour faire du mal à la victime (une personne qu'il ne connaissait pas), mais bien pour protéger sa conjointe d'un danger inexistant. La perception que l'accusé avait des événements était effectivement altérée par son trouble mental. Conséquemment, on ne peut que conclure à sa culpabilité morale moindre. Et ce trouble de stress post-traumatique joue ici un rôle primordial. De fait, il existe un lien causal entre ce trouble mental et le crime commis. Il est démontré qu'au moment des événements, l'accusé était dans un état de dissociation et se comportait comme s'il était sur un champ de bataille. Dans un autre ordre d'idées, on ne peut ignorer que l'accusé n'a jamais cherché à échapper aux forces de l'ordre. Au contraire, il a collaboré avec ces dernières, dans la mesure où sa mémoire le lui permettait. De plus, avant les événements, l'accusé a toujours affiché des valeurs prosociales. L'accusé a eu, aussi, une belle carrière de militaire, et il cherchait constamment à protéger les siens sur les différents champs de bataille. Enfin, les regrets que l'accusé a exprimés aux proches de la victime sont sincères.

L'élément-clé d'une peine juste et appropriée en matière d'homicide involontaire coupable consiste à déterminer adéquatement le degré de faute morale chez l'accusé. On ne s'étonnera guère, dans les circonstances, que l'éventail des peines infligées pour un tel crime soit très large et que les suggestions formulées par les avocats diffèrent sensiblement. Dans la présente affaire, bien que l'on reconnaisse l'importance de dénoncer le comportement illégal, on entend favoriser prioritairement la réhabilitation et la réinsertion sociale de l'accusé, malgré les conséquences gravissimes du crime, compte tenu du lien causal entre le trouble mental de l'accusé et le décès de la victime. En l'absence de planification et de préméditation, le facteur d'exemplarité sera également pris en considération, mais jouera un rôle secondaire. On estime par ailleurs que l'accusé est déjà parfaitement conscient de sa responsabilité criminelle et reconnaît le tort qu'il a causé à la victime et à ses proches, de même qu'à la collectivité.

Le crime pour lequel l'accusé a été déclaré coupable a entraîné des conséquences catastrophiques pour plusieurs personnes : la victime, il va sans dire, mais aussi son conjoint et leurs enfants, ses parents et sa soeur. On ne croit pas cependant que les gestes que l'accusé a posés définissent qui il est véritablement. Sa personnalité véritable, l'accusé doit la retrouver. Elle erre encore quelque part, on ne sait où, dans les plaines désertiques de l'Afghanistan. Il est du devoir de l'accusé de purger sa peine, de se soigner et de retrouver l'homme qu'il était. Cette réhabilitation, l'accusé la doit non seulement à la victime et à ses proches, mais aussi à ses frères d'armes qui ne sont jamais revenus de la guerre. L'accusé a une obligation morale. Il n'a pas droit à l'échec.

L'accusé est condamné à une peine de huit ans d'emprisonnement. Compte tenu de sa détention provisoire (deux ans donnant un crédit majoré de trois ans), il devra, à compter d'aujourd'hui, purger une peine de cinq ans d'emprisonnement.

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