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Bien que les fautes importantes commises par les policiers dans leur enquête aient mené à l'acquittement de la principale suspecte d'un meurtre, c'est cet acquittement qui a entraîné le préjudice subi par les proches du défunt et non les erreurs policières commises.

Résumé de décision : Hogue c. Procureur général du Québec, C.A., 25 août 2020
Bien que les fautes importantes commises par les policiers dans leur enquête aient mené à l'acquittement de la principale suspecte d'un meurtre, c'est cet acquittement qui a entraîné le préjudice subi

Les appelants sont la fille et les petits-fils d'un homme (la victime) décédé à la suite d'un meurtre, dont la principale suspecte était sa conjointe. Il est admis que dans le cadre de l'enquête, les policiers ont violé les droits constitutionnels de la suspecte et que celle-ci a été acquittée, après que la quasi-totalité de la preuve recueillie a été exclue. Les appelants disent avoir été lésés par le comportement incompétent des policiers et que ces événements ont anéanti la confiance qu’ils pouvaient avoir envers les autorités policières et qu’ils sont aujourd'hui privés de l'apaisement qu'aurait pu leur procurer une condamnation. Ils fondent ainsi leur prétention concernant le lien de causalité sur un principe de common law voulant que, dans certaines circonstances, la démonstration du fait que la négligence du défendeur a pu contribuer de façon appréciable au préjudice soit suffisante. Or, ce critère de la « contribution appréciable » n'est employé qu'exceptionnellement et n’est pas une théorie de la causalité utilisée en droit civil québécois. Elle constitue une application de la théorie de l’équivalence des conditions, qui se veut à elle seule insuffisante pour conclure à une conséquence directe, logique et immédiate de la faute. En l'espèce, il est vrai que la juge pose la question de savoir si sans la faute des policiers, il y aurait nécessairement eu condamnation, alors que le lien à faire se situe plutôt entre les erreurs commises et le préjudice occasionné, mais, en fait, c'est en raison de l'absence de condamnation que les appelants disent avoir subi des dommages. Il aurait été possible de faire la démonstration que, n’eût été la faute des policiers, la suspecte aurait pu être condamnée, mais les appelants ont simplement omis de faire cette preuve. Ils ont délibérément choisi de ne pas faire témoigner l’enquêteur et de ne pas déposer les éléments de preuve matérielle recueillis lors de l’enquête, dont la juge aurait pu apprécier la valeur. Les statistiques qu'ils déposent au dossier pour la première fois en appel, voulant que plus des deux tiers accusés au criminel soient reconnus coupables des infractions qui leur sont reprochées, ne leur sont d'aucun secours. Il n'est, par ailleurs, pas retenu que la juge aurait imposé un standard de certitude en employant le mot « nécessairement » relativement à l'obligation d'établir la condamnation possible en d'autres circonstances. Elle mentionne valablement dans la phrase suivante de son jugement que le fardeau à remplir est celui de la prépondérance de preuve.

En outre, même si les appelants étaient parvenus à démontrer la possible culpabilité de la suspecte, il aurait été difficile de conclure que le préjudice subi constitue une conséquence directe, logique et immédiate de la faute des policiers. C’est à bon droit que la juge qualifie les dommages subis de préjudice par ricochet (préjudice en cascade), ce qui n’est pas indemnisable. C’est à la suspecte seulement que la violation de ses droits a pu causer un préjudice, en compromettant son droit à une défense pleine et entière et son droit à un procès juste et équitable. C'est la réparation de cette injustice par l'exclusion des preuves illégalement recueillies qui a entraîné l'acquittement et le préjudice subi par les appelants. Cette « réparation » interfère entre les fautes et le préjudice. Cette interférence empêche de conclure à une suite immédiate et directe.

Les appelants plaident également la violation de leurs droits publics et sociaux. C'est à tort qu'ils soutiennent que l'art. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés crée le droit d’être assuré que ceux qui transgressent la loi seront traduits en justice. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ne peut être invoqué que par une personne faisant l’objet d’une accusation. Aussi, cette disposition ne prévoit pas l’obligation d’être jugé, mais que si on doit être jugé se doit l'être dans un délai raisonnable. Il n'est pas non plus possible de conclure à la violation aux droits à la sûreté, à la sécurité et à l’intégrité des appelants (art. 7 de la Charte canadienne et art. 1 de la Charte québécoise) fondé sur le fait que la personne ayant assassiné la victime est toujours en liberté et que celle-ci serait susceptible de leur porter atteinte. En ce qui concerne la réclamation de la succession pour une atteinte au droit à l’intégrité et à la sécurité de la victime elle-même, ce ne sont pas les policiers qui sont responsables de cette atteinte, mais bien la personne qui a causé sa mort.

Il ne peut non plus être valablement reproché à la juge de ne pas avoir statué sur la faute professionnelle ou l'abus de pouvoir commis par l’enquêteur qui a eu une relation intime avec la fille de la victime puisque cette question n'a pas été soumise dans la déclaration de dossier complet. Cet élément de responsabilité paraissait secondaire et si ce sujet a été abordé en plaidoiries, il est impossible de le savoir puisque celles-ci n'ont pas été reproduites en appel.

Enfin, si la conduite des policiers a été qualifiée par la juge de « négligence extrême », ce n'est que la victime de l’atteinte illicite qui est susceptible d’obtenir une compensation.

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