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Suicide d’un homme survenu dans un contexte de « porno-vengeance » : pour avoir envoyé à un tiers des photos intimes de l’homme avec qui elle a eu une courte relation presque exclusivement virtuelle, l’accusée est condamnée à dix mois de prison.

Résumé de décision : R. c. Gosselin, C.Q., 17 juillet 2020.
Suicide d’un homme survenu dans un contexte de « porno-vengeance » : pour avoir envoyé à un tiers des photos intimes de l’homme avec qui elle a eu une courte relation presque exclusivement virtuelle, l’accusée est condamnée à dix mois de prison.

L'apparition de nouveaux moyens de communication crée, désormais, la possibilité d'entrer en contact avec des personnes d'une façon différente que lors des rencontres plus traditionnelles. Nous parlons ici de relations virtuelles. Ce type de relations interpersonnelles peut cependant comporter des risques et mettre en péril la vie privée lors d'un investissement émotif trop hâtif. L'histoire entre l'accusée et M. P. (la victime, un homme âgé de 56 ans qui s'est suicidé dans son garage) l'illustre bien. Lors de leur courte relation, vécue presque exclusivement de façon virtuelle, aura lieu, de consentement, l'envoi réciproque de photos intimes. Néanmoins, la principale caractéristique de la présente affaire demeure la façon dont l'accusée, déçue, a réagi à l'interruption de la relation, c'est-à-dire par la transmission de photos intimes de M. P. à une tierce personne, sans son consentement, le tout motivé par la vengeance. Il s'agit d'un phénomène assez récent que l'on appelle « porno-vengeance » ou « revenge porn » en anglais et qui est visé par l'art. 162.1 C.cr. (publication non consensuelle d'une image intime). Cette infraction est punissable, lorsque poursuivie par acte criminel, d'un emprisonnement maximal de cinq ans.

Un cellulaire et quelques feuilles de papier (une lettre d'adieu) ont été trouvés près du corps de M. P. et permettent de découvrir l'histoire des derniers jours de cet homme. Les messages que se sont échangés l'accusée et M. P. révèlent que, sur une période de quatre jours, l'accusée a manipulé psychologiquement M. P. et a menacé d'envoyer des photos intimes de lui à des tiers, et ce, en dépit du fait qu'elle savait qu'il souffrait face à la possibilité d'un tel envoi et qu'il projetait de se suicider, le cas échéant. L'accusée a même encouragé M. P. à se suicider. Même si la peine que l'on doit imposer ne doit pas punir l'accusée pour la mort de M. P., la contribution directe de l'accusée à ce décès, annoncé par M. P. et encouragé par elle, constitue un facteur aggravant de la commission de l'infraction. En effet, le lien entre l'envoi de photos intimes à un tiers par l'accusée et la décision de M. P. de mettre fin à ses jours, à ce moment précis de sa vie, est établi de façon directe et non équivoque. En outre, l'infraction perpétrée constitue un mauvais traitement d'un conjoint de fait (ce facteur s'applique en dépit de la courte durée de la relation) et un abus de sa confiance (l'échange de photos intimes était mutuel et consensuel et a eu lieu dans le contexte d'une relation de confiance réciproque). L'infraction a aussi eu des conséquences importantes pour les membres de la famille de M. P.

Au chapitre des facteurs atténuants, l'on retient le fait que l'accusée a plaidé coupable, qu'elle n'a pas d'antécédents judiciaires et qu'elle est aux prises avec une problématique de santé mentale. L'un des éléments pivots de la détermination de la peine dans la présente affaire est, sans contredit, la problématique de santé mentale de l'accusée. L'objectif essentiel d'une peine est de protéger la société, de veiller au maintien d'une société juste, paisible et sûre. L'une des façons d'y parvenir peut être par l'imposition d'une peine encourageant toute personne souffrant d'une maladie mentale à s'engager dans un processus de guérison (réhabilitation par le traitement). Ici, la condition particulière de l'accusée n'est pas spécifique à la période de l'infraction; elle perdure dans le temps depuis les années 1980. En raison de cette persistance dans le temps, le pronostic d'amélioration de la situation de l'accusée n'est donc guère probant. Certes, l'on reconnaît un certain lien entre l'état mental de l'accusée et les gestes qu'elle a posés (sa façon d'agir et de réagir envers M. P.). Toutefois, la réhabilitation de l'accusée étant loin d'être acquise, l'ensemble de la situation soulève des préoccupations en regard d'une possible récidive pour cette femme qui n'évoque aucun regret dans sa vie, qui a peu d'autocritique et qui éprouve de sérieuses difficultés identitaires et relationnelles. En regard de l'ensemble de la preuve, la situation psychologique de l'accusée ne permet pas de conclure que la responsabilité morale de celle-ci est à ce point diminuée qu'elle pourrait justifier de réduire la peine à quelques mois d'emprisonnement. La responsabilité morale de l'accusée ne pointe pas dans la direction opposée de celle de la gravité de l'infraction, fort élevée. La responsabilité morale de l'accusée demeure élevée, et ce, même en accordant une attention à sa situation particulière.

C'est le devoir du juge d'individualiser la peine pour être juste dans chacun des cas. Juste et sévère à l'occasion, juste et clément parfois. La gravité de l'infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le degré de responsabilité de l'accusée laissent une place plutôt modérée à la problématique de santé mentale de celle-ci dans la détermination de la peine juste et appropriée qui doit lui être imposée. Le présent dossier ne révèle pas le caractère exceptionnel qui justifierait la clémence disproportionnée que représente la peine suggérée par l'avocate de la défense (un emprisonnement de trois mois). Une peine plus importante aurait pu être requise par le ministère public qui, pourtant, a judicieusement choisi de tenir compte de la situation particulière de l'accusée. En conséquence, la peine qui sera imposée se rapproche de celle suggérée par le ministère public (un emprisonnement de douze mois). Il y a lieu cependant d'affirmer qu'une période d'emprisonnement plus longue aurait pu être imposée envers un autre délinquant pour le même type de délit et niveau de gravité.

Pour ces motifs, l'accusée est condamnée à une peine de dix mois d'emprisonnement, laquelle est assortie d'une ordonnance de probation de trois ans, d'une ordonnance d'interdiction en vertu de l'art. 162.2 C.cr. et d'une ordonnance de non-communication en vertu de l'art. 743.21 C.cr.

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