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Décès d'un patient au bloc opératoire de l'hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval : les gestes posés par l'anesthésiste de garde ne visaient qu'à assurer le confort du patient et à l'accompagner vers la mort, en plein respect de sa dignité et des volontés qu'il avait clairement exprimées.

Résumé de décision : R. c. Desormeau, EYB 2025-563818, C.Q., 18 février 2025
Décès d'un patient au bloc opératoire de l'hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval : les gestes posés par l'anesthésiste de garde ne visaient qu'à assurer le confort du patient et à l'accompagner vers

Au moment de son arrivée à l'urgence de l'hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval le 31 octobre 2019, M. Raymond Bissonnette était gravement malade. Son système digestif était déjà si atteint qu'il était condamné à décéder dans les heures suivantes. La chirurgie lui ayant été proposée par le chirurgien de garde, le Dr Hubert Veilleux, n'était pas pour autant une chirurgie dite « héroïque ». En effet, les résultats d'examen auxquels celui-ci avait accès ne lui permettaient pas de connaître la portée réelle de l'atteinte à l'intestin grêle de M. Bissonnette. Le Dr Veilleux gardait espoir et envisageait même que M. Bissonnette puisse se remettre de cette chirurgie somme toute mineure dans une unité de soins réguliers. Il avait cependant pris soin de s'assurer qu'une place à l'unité des soins intensifs (USI) était réservée advenant que le parcours postopératoire de M. Bissonnette soit plus complexe. L'anesthésiste de garde ce soir-là, Mme Isabelle Desormeau, était moins optimiste que son collègue quant à la trajectoire hospitalière qu'allait devoir suivre M. Bissonnette après sa chirurgie. Le portrait hémodynamique que ce dernier présentait, combiné à ses nombreuses comorbidités, l'avait rapidement convaincue qu'elle ne serait pas en mesure de procéder à l'extubation à la fin de la chirurgie. Elle avait donc elle aussi pris soin de s'assurer qu'une place était réservée à l'USI avant que ne débute la chirurgie.

La chirurgie ne s'est pas avérée des plus simples et le temps initialement alloué à celle-ci était déjà amplement entamé lorsque le Dr Veilleux a compris l'état réel de la situation : l'atteinte à l'intestin grêle était à ce point importante qu'elle était incompatible avec la vie. Le Dr Veilleux a alors décidé d'arrêter la chirurgie. M. Bissonnette lui avait clairement indiqué qu'il refusait tout acharnement thérapeutique. Il allait décéder sous peu et l'on ne pouvait dès lors que lui administrer des soins de confort. Le Dr Veilleux a transféré la responsabilité de cette prochaine étape à Mme Desormeau et à l'intensiviste de garde, le Dr Joseph Dahine. Mme Desormeau a alors contacté son collègue pour l'informer de l'état de la situation et prévoir le transfert de M. Bissonnette vers l'USI afin qu'il y vive ses derniers instants. Les propos tenus par Mme Desormeau et le Dr Dahine durant cette conversation font l'objet d'une preuve contradictoire. Toutefois, les gestes posés par l'anesthésiste ne sont généralement pas contestés. Cette dernière a cessé d'administrer les amines qui maintenaient la tension artérielle de M. Bissonnette. Malgré les véhémentes protestations du personnel infirmier, elle a également retiré l'assistance respiratoire et a administré un cocktail de médicaments à M. Bissonnette. Après de longues minutes d'attente, alors qu'une atmosphère lourde s'était abattue sur la salle d'opération, M. Bissonnette est décédé.

Convaincues qu'elles avaient assisté à une euthanasie, les infirmières présentes ont dénoncé Mme Desormeau aux autorités de l'hôpital dans les heures suivantes. Quelques jours plus tard, le directeur des services professionnels de l'hôpital a rencontré Mme Desormeau, qui a affirmé fermement qu'elle referait la même chose si elle était confrontée à la même situation. Au cours de cette même rencontre, il a en outre été décidé de dénoncer la situation aux policiers. Une enquête a alors été menée. À l'issue de cette enquête, une accusation d'homicide involontaire coupable a été portée contre Mme Desormeau. Dans le cadre du procès, le ministère public soutient qu'il a démontré hors de tout doute raisonnable que les gestes et omissions de l'anesthésiste sont de nature à engager sa responsabilité criminelle. De son côté, l'anesthésiste est convaincue que ses actions étaient celles requises par l'état de santé de M. Bissonnette, qu'elles étaient conformes aux volontés exprimées par ce dernier et qu'elles étaient en tous points légales.

Prise dans son ensemble, la preuve démontre sans l'ombre d'un doute que les gestes posés par l'accusée ne visaient qu'à assurer le confort de M. Bissonnette et à l'accompagner vers la mort, en plein respect de sa dignité et des volontés qu'il avait clairement exprimées.

Certes, il aurait été souhaitable que M. Bissonnette puisse être transféré à l'USI pour ses derniers instants de vie, malgré l'absence de possibilité qu'il puisse survivre à la nuit ou y recevoir quelque soin curatif que ce soit. Cependant, la preuve révèle que ce n'est pas par empressement ou autre volonté néfaste que l'accusée n'a pas effectué ce transfert. Cette dernière a été placée devant le fait accompli par le Dr Dahine et a choisi, avec le soutien de celui-ci, un spécialiste de la qualité de l'acte et de l'administration des soins de confort, de prodiguer les soins requis par l'état de M. Bissonnette. Il ressort d'ailleurs de la preuve que le Dr Dahine aurait lui aussi stoppé les vasopresseurs, maintenu un niveau suffisant d'analgésie et de sédation et stoppé la ventilation mécanique. En outre, le Dr André Denault, un expert en anesthésiologie et en soins intensifs, témoigne avoir effectué cette même séquence de gestes « maintes et maintes fois » à l'USI durant sa carrière.

Contrairement à ce que plaide le ministère public, la décision de l'accusée de ne pas retourner consulter la famille n'est pas un signe de son esprit coupable. Le seul consentement qui comptait ce soir-là était celui donné par M. Bissonnette lui-même. L'argument du ministère public voulant que la démission de l'accusée à la suite de sa rencontre avec le directeur des services professionnels de l'hôpital soit une autre démonstration de son esprit coupable ne peut non plus être retenu. La preuve démontre effectivement que le directeur des services professionnels a adopté rapidement et sans réserve la vision mise de l'avant dans la plainte, écartant d'emblée toute explication contraire de l'accusée. De surcroît, le directeur des services professionnels n'avait pas en main les explications du Dr Dahine. Il n'est donc pas surprenant que l'accusée ait perdu confiance dans le caractère impartial et raisonné du processus mis en place par l'hôpital et qu'elle ait refusé de continuer à s'y soumettre. Par ailleurs, le comportement de l'accusée en lien avec la disposition de la dépouille (laisser en place le matériel pour permettre l'enquête du coroner) et la dispute survenue entre l'accusée et le Dr Veilleux lors de la signature du constat de décès démontrent clairement que l'accusée ne cherchait pas à cacher ni à minimiser le caractère sérieux ou inhabituel du décès.

Enfin, le ministère public n'est pas en mesure de démontrer que l'intention de l'accusée d'accélérer le décès de M. Bissonnette peut être déduite du dosage des médicaments administrés. La preuve retenue démontre sans l'ombre d'un doute la justification médicale de ce dosage dans la présente affaire.

À la lumière de la preuve retenue, il y a lieu de conclure que la seule cause prouvée du décès de M. Bissonnette est celle déterminée par la pathologiste, soit les conséquences directes de l'occlusion intestinale et de l'ischémie mésentérique avec lesquelles celui-ci s'est présenté aux urgences. Le ministère public n'a pas prouvé que les gestes posés par l'accusée ont hâté le décès. Il n'a pas prouvé non plus que l'accusée a omis de poser des actions qui auraient pu empêcher le décès ou qu'elle a eu l'intention de causer la mort de M. Bissonnette. La preuve ne démontre aucunement que ce dernier est décédé par asphyxie. Il est donc impossible pour le ministère public de démontrer un lien causal entre les gestes de l'accusée et le décès de M. Bissonnette.

Tous s'entendent pour dire que le changement de trajectoire opératoire et de niveau de soins au cours d'une chirurgie est une circonstance exceptionnelle, et qu'un décès au bloc opératoire dans ce contexte l'est encore plus. En d'autres mots, comme cela a été entendu quelques fois durant le procès, on ne meurt pas au bloc opératoire. Toutefois, si par un malheureux concours de circonstances exceptionnelles, un patient vient malgré tout à décéder à cet endroit, il n'en découle pas pour autant qu'on doive blâmer le professionnel qui n'a pas tout fait pour l'empêcher. Dans de telles circonstances difficiles, le médecin appelé à trancher le nœud gordien doit avant tout être guidé par les volontés du patient. Dans la présente affaire, le refus de transférer M. Bissonnette à l'USI n'appartenait qu'au Dr Dahine, qui a placé sa collègue dans une impasse et lui a imposé la suite des choses. Il ne revient pas au tribunal de déterminer le caractère adéquat de la décision du Dr Dahine. On ne peut que constater qu'à première vue, cette décision était conforme à la politique en place au CIUSSS de Laval, et ce, malgré la conséquence inusitée de celle-ci. Le ministère public n'est pas en mesure de démontrer en quoi les gestes posés par l'accusée sont différents de ceux qui auraient été faits par l'équipe de l'USI si le Dr Dahine avait accepté de recevoir M. Bissonnette. La même conduite médicale, commise en deux endroits d'un hôpital ou par des médecins relevant de deux spécialités distinctes, ne peut être criminelle en fonction de ces seules considérations, et ce, quoiqu'il indispose un membre du personnel hospitalier.

La théorie du ministère public implique qu'un médecin serait obligé de maintenir en place des soins essentiels au soutien de la vie, « pour une période de seulement quelques heures ou jours », avec comme seul objectif de prouver haut et fort que le patient est bel et bien décédé de sa maladie sous-jacente, sans que le protocole de soins de confort puisse même être suspecté d'avoir accéléré ou facilité d'une quelconque façon l'inévitable. Une telle proposition, qui rencontre la définition d'« acharnement thérapeutique » et qui risque de causer des souffrances inutiles, se doit d'être dénoncée comme étant contraire à l'autonomie du patient qui indique ne pas vouloir être soumis à un tel régime. Évidemment, il reviendra au médecin ayant la vie de son patient entre les mains de décréter le point de non-retour et son incapacité à le soigner. Lui permettre de prendre une telle décision, pour autant qu'elle respecte des volontés exprimées de manière valide, n'équivaut pas à lui donner un « chèque en blanc ». En l'espèce, ces volontés étaient claires et constantes. M. Bissonnette, tout en consentant à une chirurgie de la dernière chance, se savait mourant et ne voulait pas se soumettre à des examens ou à des traitements exhaustifs. Il avait été conseillé à de nombreuses occasions dans les deux mois précédents son décès et il acceptait son sort. Il était entièrement apte à consentir ou à refuser de subir des examens ou de recevoir tel ou tel traitement, et ce, jusqu'au moment où il a confié son sort au chirurgien et à l'anesthésiste. Il pouvait s'attendre à ce que ces derniers exécutent ses instructions, au meilleur de leurs habiletés et de leurs connaissances. Selon la preuve retenue, c'est exactement ce qui a été fait.

La théorie du ministère public cherche à convaincre le tribunal que, face à la mort et à l'inconfort que celle-ci peut engendrer, les règles décrétant l'autonomie du patient doivent être amenuisées, de crainte que ce dernier ne change soudainement d'idée au moment où le médecin, pour respecter ses instructions, décidera d'arrêter de lui prodiguer un traitement. C'est d'exiger la survenance d'un tel doute dans l'esprit du médecin, notamment en criminalisant sa persistance à agir, qui va à l'encontre de la dignité humaine et du droit à l'autodétermination dont nous bénéficions tous. L'idéologie mettant de l'avant « la vie à tout prix », au détriment de ce droit inaliénable, ne peut servir d'assise à une condamnation criminelle, du moins dans les circonstances de la présente affaire.

L'accusée doit être acquittée.

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