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Des soeurs jumelles ayant subi des violences pendant l’enfance notamment en étant forcées par leurs parents à travailler de longues heures pour l’entreprise familiale, et ce, dès l’âge de huit ans, obtiennent 100 000 $ chacune pour leurs dommages non pécuniaires et 10 000 $ en dommages-intérêts punitifs.

Résumé de décision : M.L. c. P.LE., EYB 2024-551409, C.S., 22 juillet 2024.
Des soeurs jumelles ayant subi des violences pendant l’enfance notamment en étant forcées par leurs parents à travailler de longues heures pour l’entreprise familiale, et ce, dès l’âge de huit ans, ob

Des soeurs jumelles âgées de 36 ans réclament à leurs parents des dommages-intérêts pour les violences qu’elles ont subies pendant l’enfance. Elles allèguent du travail forcé, des abus physiques et de la violence psychologique et sexuelle et décrivent un milieu familial dysfonctionnel où régnait un climat de terreur psychologique. Elles ont été contraintes, dès l’âge de huit ans, à travailler pour l’entreprise familiale de livraison de journaux. Ce travail, qualifié d’exigeant et d’exténuant, était effectué principalement de nuit dans des conditions inappropriées toutes les fins de semaine pendant la période scolaire et tous les jours de semaine pendant la période estivale. On leur imposait un rythme effréné. En plus des commentaires violents et des insultes, elles étaient exposées à des propos sexuels de la part de leur père et à des contacts sexualisés entre leurs parents. Le père aurait également visionné des films pornographiques en leur présence. Les traumatismes vécus durant l’enfance ont laissé de lourdes séquelles psychologiques.

Tous les parents ont, à l’égard de leurs enfants, un devoir de surveillance, de garde, d’éducation et d’entretien. Ils doivent exercer leur autorité parentale sans violence aucune. De plus, en vertu de l’art. 39 de la Charte québécoise, tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention de ses parents. En matière de responsabilité parentale, une faute correspondant à un comportement d’une gravité qui transcende la sphère familiale à des fins contraires à l’intérêt de l’enfant doit être démontrée.

Les parents ont adopté un comportement fautif et ont exercé une forme de violence économique en profitant des services de leurs enfants. Le travail qui était exigé des jumelles dépassait leurs capacités et compromettait leur santé. Chacune des jumelles accompagnait un parent sur les trajets en voiture. La cadence était intense. Il n’y avait pas de pause, sauf exception. Elles étaient privées d'eau pour éviter qu’elles aient envie d’uriner. Il s’en résultait de la déshydratation et des migraines. L’hiver, elles souffraient d’engelures, puisqu’elles ne portaient pas de manteaux ni de bottes adéquates. Elles se plaignaient souvent de fatigue et avaient même des vomissements. Les parents adoptaient une conduite automobile imprudente, exposant les jumelles à des risques d’accident et faisant naître chez elles une peur de mourir. Ces conditions de travail ne s’accordent certainement pas avec l’intérêt supérieur d’un enfant ni avec les obligations qu’un parent a envers lui. C’est sous la manipulation de leurs parents que les jumelles ont continué ce travail. Leur père était contrôlant et se mettait facilement en colère. Leurs besoins fondamentaux, comme celui de boire, d’uriner et de prendre des pauses, ont été ignorés.

Il n’est pas possible de conclure que des abus physiques graves ont été commis envers les jumelles. Il est probable que le père ait fait usage de la force pour discipliner la fratrie des jumelles, principalement les garçons, mais la preuve ne démontre pas qu’il y a eu dérogation aux paramètres selon lesquels les parents peuvent utiliser, pour corriger un enfant, une force légère ne dépassant pas la mesure raisonnable selon les circonstances, dont l’effet sera transitoire ou insignifiant.

Les parents ont usé de violence psychologique. Cette violence s’est établie sur une longue période, était répétitive et axée sur le contrôle, le dénigrement et la peur. Elle se manifestait par le contrôle des émotions, l’invalidation par le biais de commentaires inappropriés et les menaces. Les menaces à l’intégrité physique et les insultes étaient chose courante. Par ces mécanismes de contrôle coercitif, les parents ont maintenu les jumelles sous leur emprise, ce qui constitue une faute civile et une contravention à l’art. 39 de la Charte québécoise. Les parents ont fait preuve de déni face à certains besoins physiologiques et ont exposé les jumelles à des situations dangereuses, comme le travail de nuit et la conduite automobile imprudente. Bien que le père soit la source principale de contrôle excessif et de dénigrement, la mère n’est aucunement intervenue pour faire cesser ce climat. En outre, les jumelles ont été exposées à des propos et des comportements sexuels déplacés de manière répétée. Encore une fois, le père est celui à l’origine de la violence sexuelle, mais la mère banalisait les gestes de son conjoint. Elle était vraisemblablement consciente du milieu familial sexualisé, puisqu’elle a demandé ouvertement à ses enfants de l'informer si leur père touchait leurs parties intimes.

La notion de préjudice corporel inclut l’atteinte à l’intégrité physique ou psychologique. L’une des jumelles a souffert d’une dépression majeure. Un état de stress post-traumatique a été confirmé. Il est vrai qu’elle a vécu des agressions et de la violence conjugale postérieurement, mais l’état de stress post-traumatique est relié aux traumatismes vécus durant l’enfance. L’autre jumelle a reçu un diagnostic de trouble de personnalité limite. Ce diagnostic découle de la conduite de ses parents, même si elle a vécu trois épisodes distincts d’agressions sexuelles.

Il y a lieu d’accorder à chacune des jumelles la somme de 100 000 $ pour leurs dommages non pécuniaires. Il y a également lieu de condamner le père à payer à chacune 10 000 $ en dommages-intérêts punitifs. Il a intentionnellement porté atteinte au droit protégé par l’art. 39 de la Charte québécoise. La gravité et la répétition des gestes justifient cette condamnation. La réclamation de l’une des jumelles pour les frais qu’elle a engagés pour changer de nom (364,76 $) est accueillie. Quant à sa réclamation pour les frais de thérapie, un montant de 5 000 $ lui est accordé, puisque les consultations visaient aussi des agressions qui n’ont pas été commises par ses parents.

Le recours n’est pas prescrit. D’une part, les actions civiles alléguant un préjudice corporel résultant de la violence subie pendant l’enfance sont imprescriptibles. La violence subie pendant l’enfance dont il est question à l’art. 2926.1 C.c.Q. peut être de nature physique, psychologique, sexuelle et même économique. D’autre part, la prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité d’agir. Cette impossibilité d’agir peut être d’ordre psychologique. En l’espèce, les jumelles ont été maintenues dans un état psychologique d’impossibilité d’agir par la crainte que leur inspiraient leurs parents. Ce n’est qu’avec l’aide d’une thérapie qu’elles ont été en mesure de vaincre cette crainte.

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