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D’importantes indemnités sont accordées à des copropriétaires ayant été victimes d’une arnaque immobilière et d’un comportement hautement abusif de la part de celui qui assumait le rôle d’administrateur.

Résumé de decision : Gestion George Kyritsis inc. c. Balabanian, C.S., 15 janvier 2024.
D’importantes indemnités sont accordées à des copropriétaires ayant été victimes d’une arnaque immobilière et d’un comportement hautement abusif de la part de celui qui assumait le rôle d’administrate

Cette saga judiciaire oppose les copropriétaires d’un immeuble détenu en indivision comportant 119 unités d’habitation. Il est reproché au copropriétaire défendeur, qui détient près de 80 % des parts, de s’être doté de pouvoirs exorbitants en mettant en place un stratagème qui lui a permis d’agir à titre d’administrateur unique et de créancier hypothécaire. Il est question ici d’une véritable arnaque immobilière. Au départ, et ce pendant plusieurs années, les unités résidentielles étaient offertes en location jusqu’à ce que le défendeur décide, en 2007, de transformer son immeuble en copropriété. Pour ce faire, il a conclu une convention d’indivision ayant notamment pour objectif de convertir éventuellement le mode de propriété en copropriété divise. L’immeuble a été divisé en 260 parts, chacune étant associée à l’usage exclusif d’une partie de l’immeuble, comme une unité d’habitation. Puis, la mise en vente des unités a débuté. Les acheteurs se sont fait offrir un prix de vente alléchant et un prêt hypothécaire accordé par le défendeur. Alors qu’on leur avait promis que l’indivision serait rapidement convertie en copropriété divise, ce projet n’a finalement jamais abouti, le défendeur ayant empêché la réalisation de l’une des conditions requises à la conversion. Sa soif de pouvoirs n’étant pas assouvie, il a publié frauduleusement une deuxième convention d’indivision modifiant, sans possibilité de négociation, la convention initiale. Dans cette nouvelle convention, il s’est déclaré propriétaire de l’ensemble de l’immeuble, s’est attribué le pouvoir exclusif de déterminer les frais de copropriété, s’est nommé administrateur à vie et s’est conféré la possibilité d’imposer des amendes et des pénalités comme bon lui semblait. Lui et son frère, lequel est désigné à titre de codéfendeur, ont rendu la vie des occupants tellement intolérable que plusieurs copropriétaires n’ont eu d’autre choix que de céder leurs parts à rabais, perdant de ce fait une bonne partie du capital investi. La présente demande vise à obtenir la résiliation de la première convention d’indivision, l’annulation de la deuxième, la fin de l’indivision, le partage de l’immeuble et des dommages-intérêts pour les préjudices pécuniaires et non pécuniaires et pour l’atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux ainsi que pour l’abus de procédure et les manquements importants dans le déroulement de l’instance. Il y a lieu de donner raison sur toute la ligne aux copropriétaires et de faire droit à l’entièreté de leurs réclamations.

Les exemples démontrant l’ampleur du comportement abusif qu’a adopté le copropriétaire défendeur sont nombreux. Les obligations contractuelles auxquelles il était tenu, que ce soit à titre de copropriétaire ou d’administrateur, ont été violées à maintes reprises. Il a minimisé ses contributions financières en ne payant la cotisation que pour un seul appartement, même s’il est propriétaire d’environ 80 % de l’immeuble, tout en imposant aux autres copropriétaires l’obligation d’acquitter des frais excessifs. Il s’est carrément enrichi à leurs dépens en les utilisant pour gagner des revenus sans assumer les dépenses. Il a adopté un comportement quérulent en les obligeant à passer par la voie de l’arbitrage pour chaque petite décision, même lorsqu’il s’agissait simplement de faire venir un technicien pour une connexion Internet, gaspillant les ressources judiciaires. Il a refusé de respecter les ordonnances des tribunaux. En conservant plus de 50 % des unités, il a empêché la conversion de l’immeuble. Il admet avoir choisi unilatéralement de cesser ce projet, non pas pour des raisons financières, mais pour qu’il puisse se venger, ce qui le fait se sentir mieux. Il s’est approprié les espaces communs, se considérant l'unique propriétaire du toit, du terrain et du deuxième sous-sol. Il ne comprend manifestement pas le fonctionnement d’une indivision, alors qu’il estime que les copropriétaires n’ont pas le droit de demander la vente de l’immeuble au motif qu’ils ont seulement acheté le droit d’usage exclusif d’une unité. Le défendeur, que ce soit personnellement ou par l’entremise de son frère, a harcelé les copropriétaires et les locataires en les insultant, en leur criant dessus et en leur transmettant de la correspondance virulente. Il a publié des préavis d’exercice de droits hypothécaires pour forcer les copropriétaires à payer les frais de copropriété inéquitables. Il a utilisé les fonds de l’indivision pour payer ses dépenses juridiques personnelles. Il a prêté de l’argent à la copropriété sans autorisation, créant un conflit d’intérêts flagrant. Il a imposé des amendes pour tout et pour rien en inventant des infractions. Il a tout autant inventé des pénalités et refusé de procéder à une reddition de compte. Il a tellement négligé l’entretien de l’immeuble que celui-ci est aujourd’hui dans un état de dégradation avancé.

Pour obtenir la réalisation d’une convention d’indivision, il faut démontrer l’inexécution contractuelle, le caractère substantiel de l’inexécution et la demeure. Ces conditions sont amplement satisfaites. On ne peut certainement pas parler d’un défaut de peu d’importance de la part du débiteur. Les manquements commis par le défendeur sont importants et répétitifs. Ils touchent à l’essence même des relations contractuelles entre les parties. Il a été mis en demeure à 16 reprises au fil des ans. La deuxième convention d’indivision doit, pour sa part, être annulée. Sa publication a été faite frauduleusement, c’est-à-dire sans l’accord des autres copropriétaires. Les modifications qui ont été apportées à la convention d’indivision initiale devaient être incluses dans la convocation de l’assemblée générale, ce qui n’a pas été fait. De plus, lors de l’assemblée générale, le défendeur ne pouvait pas voter, puisqu’il avait un solde impayé de frais de copropriété. De toute manière, aucun vote n’a été tenu lors de l’assemblée, ce qui constitue un autre motif de nullité.

Les copropriétaires ont le droit d’obtenir des dommages-intérêts pour la perte de valeur de leurs unités. Il était carrément impossible pour eux de les vendre, non seulement parce que le défendeur n’acquittait pas les taxes et les assurances, mais aussi parce que son comportement abusif devait être dénoncé à tout acheteur potentiel. En vertu de l’art. 1020 al. 2 C.c.Q., l’indivisaire répond des pertes qui diminuent, par son fait, la valeur du bien indivis. Si le défendeur n’avait pas adopté un comportement abusif et été négligent dans l’administration de l’immeuble, les unités auraient pu être vendues pour 4 014 000 $. Il y a lieu de le condamner à payer ce montant, après déduction des sommes que les copropriétaires recevront du partage de l’immeuble. Comme ces derniers ont le droit de mettre fin à l’indivision et qu’ils ont droit au partage, la vente de l’immeuble de gré à gré est ordonnée. Le prix de vente est fixé à 10 125 000 $.

À cela s’ajoutent les dommages pécuniaires causés aux copropriétaires par la mauvaise gestion de l’immeuble et l’appropriation de fonds. Les litiges auxquels le défendeur a participé ne défendaient pas l’intérêt commun de l’indivision. Celui-ci n’avait aucun droit de se rembourser ses dépenses judiciaires. Cette décision a eu pour effet de priver l’indivision des sommes requises pour acquitter les taxes municipales et scolaires, ce qui a engendré des intérêts inutiles. En outre, le coût de l’assurance a grandement augmenté au cours des dernières années, car l’immeuble a connu une période de non-couverture en raison des gestes commis par le défendeur. Par ailleurs, plusieurs des indivisaires ont subi des pertes locatives, ayant été contraints de laisser leurs unités vacantes, soit parce qu'ils n’étaient pas autorisés à louer la leur, soit parce qu’ils s’exposaient à des problèmes légaux avec les locataires. Le total des dommages-intérêts pécuniaires s’élève à 466 948,82 $. Les copropriétaires sont en droit d’obtenir ce montant selon leur quote-part dans l’indivision.

Le défendeur et son frère sont condamnés solidairement à verser 760 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux pour avoir, entre autres, harcelé, espionné et invectivé publiquement les copropriétaires.

Il y a également lieu de condamner le défendeur à payer 760 000 $ en dommages-intérêts punitifs. Il y a eu violation illicite et intentionnelle du droit à la vie privée, à la dignité, à l’honneur et à la réputation et à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens. Les fautes qui ont été commises atteignent un degré de gravité particulièrement élevé. Le défendeur bénéficie d’une situation patrimoniale enviable et dispose de revenus annuels importants, bien qu’il tente de faire valoir le contraire. La réparation demandée est faible comparativement au grave stratagème dont il a usé, d'autant plus qu'il n’en a subi aucune conséquence pénale.

Sept autres dossiers ont été joints, dans lesquels le défendeur demande le délaissement forcé de certaines unités d’habitation. Ces actions doivent être rejetées pour trois raisons. Premièrement, les préavis sont invalides en raison des nombreuses irrégularités qu’on y retrouve. Les défauts qui y sont dénoncés sont erronés, entraînant l’impossibilité pour les débiteurs d’y remédier, puisqu'ils ne connaissent pas la somme réellement due. Deuxièmement, le principe de la fin de non-recevoir commande de rejeter les actions hypothécaires. Si le défendeur n’a pas renouvelé les prêts ou s’il les a résiliés, c’est parce qu’il voulait se venger des débiteurs en raison de leur participation au présent litige. Mettre fin aux prêts hypothécaires à titre de mesure de représailles est un comportement qui doit être sanctionné, ce à quoi sert justement la fin de non-recevoir. Troisièmement, les demandes en délaissement forcé n’ont plus aucun objet, dans la mesure où le partage de l’immeuble a été ordonné.

Le comportement procédural du défendeur mérite d’être sanctionné en vertu des art. 342 et 51 C.p.c. Les manquements au déroulement de l’instance ont été substantiels et continuels. La demande reconventionnelle, qui fait 259 pages, est abusive dans son entièreté. Outre le fait que les arguments sont dénués de tout fondement, aucun élément de preuve n’a été présenté. Le défendeur a multiplié les embûches et les tactiques procédurales pour prolonger la mise en état du dossier, que ce soit en refusant de conclure un protocole de l’instance ou encore en produisant une panoplie de moyens préliminaires. De multiples avocats se sont succédé pour le représenter, occasionnant des délais et des remises. Il ne pouvait ignorer que sa demande reconventionnelle était à sa face même frivole, pourtant, il a insisté pour la maintenir. La très grande majorité des allégations que le défendeur a fait valoir ont déjà été tranchées par décisions arbitrales. La remise en cause d’une question déjà tranchée constitue une forme particulière d’abus de procédure. Le défendeur est condamné à payer 50 000 $ en dommages-intérêts punitifs pour abus de procédure et 150 000 $ pour les manquements dans le déroulement de l’instance.

Une partie qui est forcée d’engager inutilement des frais juridiques pour répondre à un recours abusif peut réclamer le remboursement des honoraires et débours qu’elle a engagés. En l’espèce, les copropriétaires ont eu le privilège de bénéficier des services d’un avocat ayant accepté un mandat pro bono. Rien n’empêche d’accorder des honoraires en faveur d’un avocat agissant pro bono, autrement, cela entraînerait un résultat choquant, puisque le défendeur pourrait être exonéré du paiement des honoraires grâce à la bienveillance d’un tiers. Cela dit, personne en l’instance n’a réclamé les honoraires. N’empêche, l’art. 51 C.p.c. permet d’agir d’office, ce qu’il convient de faire ici en accordant une réserve de droit afin de permettre aux copropriétaires de s’adresser au tribunal pour qu’il décide des honoraires et débours que le défendeur doit payer.

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