Skip to content

Jeunes femmes hassidiques victimes de harcèlement criminel : le fait que les plaignantes appartiennent à la communauté hassidique a peut-être amplifié leur crainte, mais en aucun cas cela ne rend la crainte déraisonnable.

Résumé de decision : Jolicoeur c. R. (C.S., 22 avril 2021)
Jeunes femmes hassidiques victimes de harcèlement criminel : le fait que les plaignantes appartiennent à la communauté hassidique a peut-être amplifié leur crainte, mais en aucun cas cela ne rend la c

L'accusé a été reconnu coupable de multiples infractions. Il se pourvoit contre tous ces verdicts.

En ce qui concerne d'abord les verdicts visant l'infraction de harcèlement criminel, l'accusé soulève trois moyens : 1) son comportement ne peut être qualifié de menaçant; 2) les craintes des plaignantes ne sont pas raisonnables; et 3) il y a absence totale de preuve de mens rea. Ces moyens doivent échouer.

La présente affaire a ceci de particulier qu'il s'agit d'un seul événement par plaignante, que les protagonistes ne se connaissent pas, donc qu'il n'y a aucun passé commun ajoutant au contexte dans lequel se déroulent les événements. Le seul lien commun est qu'il s'agit de jeunes femmes (sauf un plaignant en couple avec une jeune femme) appartenant toutes à la communauté hassidique. L'accusé voudrait que l'on retienne de la preuve qu'il n'a en fait suivi personne et que ce n'est que le fruit du hasard s'il s'est retrouvé à marcher à peu de distance de sept personnes, à six moments différents, et à rythmer son pas sur le leur. Tout au plus peut-on parler d'incivilité, plaide-t-il. Si toutes ces personnes ont eu peur de lui, c'est uniquement en raison de leur mauvaise interprétation de son comportement et de ses intentions, interprétation découlant de leur mode de vie particulier en tant que membre de la communauté hassidique. La juge d'instance a rejeté cette version, avec raison. Force est de constater qu'on ne parle pas ici d'une simple incivilité. Lorsque tard le soir, sur la rue, un homme suit de trop près une femme inconnue, ne répond pas à sa demande de passer devant elle et ajuste son pas sur le sien pour continuer à la suivre, objectivement, cet homme se comporte de manière menaçante. La juge d'instance n'a commis aucune erreur en concluant que le comportement de l'accusé envers les plaignantes était objectivement menaçant.

Pour soutenir que la crainte des plaignantes ne peut être qualifiée de raisonnable dans les circonstances, l'accusé met l'accent sur l'appartenance de ces femmes à la communauté juive orthodoxe comme seule responsable de la crainte qu'il a suscitée. On ne peut se rendre à cet argument. D'abord, la juge d'instance n'a pas omis de considérer la preuve relative aux relations hommes/femmes dans la communauté juive orthodoxe. La lecture de son jugement démontre qu'elle a tenu compte de cet élément tout le long de son analyse. En outre, en voulant limiter la crainte des plaignantes à l'effet d'une norme sociologique et religieuse de leur communauté, l'accusé se trouve à écarter de l'analyse les autres éléments pertinents quant à la crainte suscitée. Le soir, la rue n'a pas la même noirceur pour tout le monde. Il est indéniable que la sécurité réelle et ressentie d'une personne marchant sur la rue est différente pour une femme et pour un homme. Les femmes font face à des dangers uniquement en raison de leur genre et nombre d'entre elles se soucieront plus de la présence d'un homme inconnu que de celle d'une autre femme dans un contexte comme celui en l'espèce. C'est pourquoi la norme objective, celle de la personne raisonnable, tient compte du genre. Encore aujourd'hui, nombre de femmes se sentent vulnérables lorsqu'elles marchent à la noirceur sur une rue peu achalandée. Le fait que les plaignantes appartiennent à la communauté hassidique et que leurs relations avec les hommes soient différentes de celles entretenues par les gens hors de cette communauté a peut-être amplifié cette crainte, mais en aucun cas cela ne rend la crainte déraisonnable ou permet de conclure qu'une autre personne n'aurait pas ressenti cette même crainte face au comportement de l'accusé. Au contraire, cela démontre simplement que les dangers peuvent être cumulatifs pour une femme appartenant à plus d'un groupe à risque. La juge d'instance a eu raison de conclure que les craintes des plaignantes étaient objectivement raisonnables.

Enfin, l'accusé reproche à la juge d'instance d'avoir erronément conclu à l'existence d'une preuve de mens rea en l'absence totale de preuve à cet effet. On peut disposer rapidement de ce moyen. Il ne faut pas oublier que la juge d'instance a entièrement rejeté les explications de l'accusé. Ainsi, sa conclusion que la preuve de l'insouciance de ce dernier s'infère de son comportement est raisonnable. La juge d'instance a conclu que l'accusé avait suivi non pas une, mais sept personnes, dont six femmes ciblées parce qu'elles appartenaient à la communauté hassidique. L'inférence selon laquelle l'accusé était à tout le moins insouciant quant au fait que ces femmes puissent se sentir harcelées est inéluctable. Ainsi, l'insouciance de l'accusé quant à la crainte que pouvaient susciter ses comportements s'infère des faits mis en preuve.

Au sujet des verdicts visant l'infraction d'intimidation, l'accusé reproche à la juge d'instance d'avoir erré sur l'élément matériel qui lui était reproché (suivre avec persistance les plaignantes) ainsi que sur l'intention spécifique. Qu'en est-il? La juge d'instance dispose assez rapidement de cette infraction. D'abord, elle utilise le dictionnaire pour définir ce que signifient les mots « intimidation » et « persistance ». Puis, appliquant ces définitions à la preuve, elle conclut que l'accusé a commis ce geste. Du même souffle, elle conclut à la culpabilité. Force est de constater que la juge d'instance a omis de considérer l'élément de l'intention. Or, l'étude de la preuve ne révèle aucunement que l'accusé a suivi les plaignantes dans le but (intention spécifique) de les forcer à s'abstenir de faire soit une chose qu'elles avaient légalement le droit de faire, soit une chose qu'elles pouvaient légalement s'abstenir de faire. L'appel est accueilli en ce qui concerne cette infraction et des verdicts d'acquittement sont substitués aux verdicts de culpabilité.

Reste l'infraction de séquestration. L'actus reus de la séquestration comprend une contrainte physique pendant une période significative et une absence de consentement. La mens rea générale est l'intention de restreindre les mouvements. Pour déterminer, dans une affaire donnée, si le « laps de temps est suffisamment long », il faut considérer l'ensemble des faits, et pas seulement la durée. Cette formule d'interprétation permet de s'éloigner d'une interprétation trop restrictive de la séquestration se rapprochant du concept populaire d'une personne enlevée et enfermée plusieurs jours dans une cave sombre, et aussi de marquer la distinction entre les deux infractions. Ainsi, c'est l'ensemble de la preuve qui doit démontrer que la contrainte physique s'est prolongée sur un laps de temps suffisamment long. Ce cadre légal appliqué aux circonstances de la présente affaire ne permet pas de conclure que la restriction des mouvements des plaignantes fut suffisamment longue pour constituer de la séquestration. Pour les deux événements qui sont à la base des accusations de séquestration, la preuve de la séquestration en question repose sur les mêmes faits que ceux justifiant les accusations de voies de fait. Par conséquent, l'appel est également accueilli en ce qui a trait à l'infraction de séquestration et des verdicts d'acquittement sont substitués aux verdicts de culpabilité.

Même si l'on ne veut pas s'ingérer dans la discrétion du poursuivant quant au choix des accusations à porter, on ne peut s'empêcher de mentionner que la multiplication des chefs d'accusation a indéniablement contribué à complexifier et à alourdir les procédures, allongeant d'autant les délais. Était-il vraiment nécessaire d'ajouter l'intimidation au harcèlement, la séquestration aux voies de fait? La séquestration et l'intimidation sont des infractions qui recèlent une complexité légale et factuelle qui ne doit pas être sous-estimée lors du choix des accusations à porter. Ce choix a des conséquences importantes non seulement sur le dossier concerné, mais aussi sur l'ensemble de l'administration de la justice. En l'espèce, les infractions de harcèlement et d'intimidation, tout comme celles de voies de fait et de séquestration, reposent sur les mêmes faits. N'oublions pas que si la juge d'instance considère la preuve établie pour les deux infractions, elle doit alors appliquer les principes de l'arrêt Kienapple, lequel interdit de condamner un accusé deux fois pour les mêmes faits. Certes, le poursuivant a une discrétion, mais il doit aussi exercer son jugement. Il ne doit pas seulement se demander s'il peut porter certaines accusations, mais également s'il doit le faire. Ici, la multiplication des chefs d'accusation n'aura eu aucun effet bénéfique; elle n'aura servi qu'à complexifier et allonger les procédures, et ce, tant en première instance qu'en appel. Les accusations dans la présente affaire furent déposées en 2013, soit quelques années avant l'émergence d'une nouvelle culture judiciaire. À la lumière des arrêts Rodgerson, Jordan et R.V., lesquels ont été rendus par le plus haut tribunal du pays, il semble clair que la bonne administration de la justice et le respect des droits constitutionnels des accusés ont depuis imposé que cette approche soit repensée. Souhaitons que cela ait déjà été fait.

You May Also Like
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.