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La Cour d’appel infirme le jugement ayant déclaré inopérantes des dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie

Résumé de décision : Québec (Procureure générale) c. D'Amico, EYB 2015-260118 (C.A., 22 décembre 2015)
La Cour d’appel infirme le jugement ayant déclaré inopérantes des dispositions de la <i>Loi concernant les soins de fin de vie</i>

Le 6 février 2015, la Cour suprême rendait sa décision dans l'arrêt Carter c. Canada (Procureur général) (l'arrêt Carter) portant sur l'aide médicale à mourir. Elle a alors prononcé un jugement déclaratoire selon lequel l'article 14 et l'alinéa 241b) du Code criminel portent atteinte de manière injustifiée à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et sont inopérants dans la mesure où ils prohibent l'aide d'un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. Cependant, la plus haute instance du pays a suspendu pendant 12 mois la prise d'effet de cette déclaration afin de permettre « au Parlement et aux législatures provinciales de répondre, si elles choisissent de le faire, en adoptant une loi compatible avec les paramètres constitutionnels énoncés dans les présents motifs ». Le 3 décembre 2015, la Procureure générale du Canada (la PGC) demandait à la Cour suprême du Canada de prolonger la suspension de la prise d'effet de la déclaration d'invalidité pour une période additionnelle de six mois. Tout en ne s'opposant pas à cette demande de prolongation, la Procureure générale du Québec (la PGQ) a demandé à la Cour suprême du Canada de soustraire le Québec à la suspension de la prise d'effet de la déclaration en ce qui a trait aux dispositions relatives à l'aide médicale à mourir prévues à la Loi concernant les soins de fin de vie (la Loi). Il y a lieu de noter que la PGC ne s'oppose pas à cette demande du Québec. La Cour suprême du Canada ne s'est cependant pas encore prononcée sur ces deux demandes.

En l'espèce, la PGQ porte en appel, sur permission, un jugement du 1er décembre 2015 du juge Michel A. Pinsonnault. Le juge était saisi d'une demande en injonction interlocutoire provisoire pour une durée renouvelable de dix jours visant à ordonner que les dispositions des articles 26 à 32 portant sur l'aide médicale à mourir contenues dans la Loi ne puissent s'appliquer au moment de l'entrée en vigueur de cette loi le 10 décembre 2015. Le juge a rejeté la requête pour l'obtention d'une injonction provisoire, mais il a néanmoins déclaré que, jusqu'à la prise d'effet de la déclaration d'invalidité de l'article 14 et de l'alinéa 241b) C.cr. prononcée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Carter, ces dispositions du Code criminel rendent inopérants les articles 26 à 32 de la Loi, ainsi que l'article 4 de cette loi, dans la mesure où les dispositions de cet article visent ou touchent l'aide médicale à mourir. Pour leur part, les intimés demandent le rejet de l'appel de la PGQ. Par des appels incidents, ils cherchent également à obtenir de cette Cour l'injonction que leur a refusée le juge afin d'interdire ou de suspendre l'application des dispositions de la Loi, ou subsidiairement, une injonction interlocutoire provisoire reprenant les ordonnances déclaratoires du juge.

L'appel est accueilli et les appels incidents sont rejetés. Le jugement porté en appel s'appuie sur la prémisse que la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale s'applique en l'espèce. Cette prémisse est erronée. Il y a lieu de noter que dans le cadre de la procédure en injonction provisoire, la législation provinciale attaquée bénéficie de ce qui est communément, mais erronément appelé « présomption de validité constitutionnelle ». Cette présomption est en fait une règle de procédure voulant que le fardeau d'établir qu'une loi va à l'encontre de la Constitution incombe à ceux qui la contestent. Par définition, cette règle vise essentiellement le fond du litige. Il est donc rare que la constitutionnalité d'une loi puisse se régler au stade d'une procédure provisoire ou interlocutoire, et les tribunaux n'ordonneront pas à la légère qu'une loi que le Parlement ou une législature provinciale a dûment adoptée pour le bien public soit inopérante avant d'avoir fait l'objet d'un examen constitutionnel complet. Toutefois, il peut survenir de rares cas où la question de la constitutionnalité se présente sous la forme d'une question de droit purement et simplement, laquelle peut être définitivement tranchée par un juge saisi d'une requête provisoire ou interlocutoire. Il peut également se présenter de rares cas où la situation est telle qu'il y a lieu de traiter immédiatement du fond de l'affaire. Néanmoins, de façon générale, au stade provisoire ou interlocutoire, les tribunaux doivent tenir pour acquis qu'une mesure législative attaquée sert un objectif d'intérêt public valable et doivent, dans la mesure du possible, éviter de se prononcer sur le fond du litige à moins que des circonstances exceptionnelles soient en cause.

Ainsi, en l'espèce, le juge a reconnu qu'il ne lui appartenait pas de remettre en question la validité constitutionnelle de l'aide médicale à mourir prévue par la Loi dans le cadre des procédures dont il était saisi. Nous devons tenir pour acquis à ce stade des procédures que la Loi sert un objectif public valable.

La question qui se pose en l'occurrence n'est pas de savoir si les dispositions portant sur l'aide médicale à mourir contenues dans la Loi sont valides, mais bien de déterminer si elles entrent en conflit avec des dispositions législatives fédérales de façon à rendre manifestement applicable la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale. C'est ainsi que le juge a défini la question dont il était saisi.

Lorsque deux lois fédérale et provinciale autrement valides entrent en conflit, une règle de droit doit permettre de mettre fin à l'impasse. La règle applicable est la suivante : lorsqu'il existe une incompatibilité véritable entre une loi fédérale valide et une loi provinciale valide, la loi fédérale doit prévaloir dans la mesure de l'incompatibilité. C'est ce qui est connu comme la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale. Cette doctrine s'applique non seulement dans les cas où la législature provinciale a légiféré en vertu de son pouvoir accessoire d'empiéter dans un domaine de compétence fédérale, mais aussi dans les situations où la législature provinciale agit dans le cadre de ses compétences principales et le Parlement fédéral en vertu de ses pouvoirs accessoires.

Cependant, pour que la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale puisse s'appliquer, la législation provinciale doit être incompatible avec une législation fédérale valide. Comme le juge Gascon de la Cour suprême du Canada le signalait récemment dans l'arrêt Alberta (Procureur général) c. Moloney, l'application de la doctrine de la prépondérance des lois fédérales requiert que « les deux lois soient valides indépendamment l'une de l'autre » « [s]i la loi adoptée par un ordre de gouvernement est invalide, il ne peut exister de conflit, ce qui met fin à l'examen ». D'ailleurs, le juge en chef Dickson notait dans R. c. Edwards Books and Art Ltd. qu'une « loi [fédérale] inconstitutionnelle ne saurait rendre inopérante une loi provinciale en vertu du principe de la prépondérance ». Or, sous l'éclairage de l'arrêt Carter, il est manifeste que les dispositions de l'article 14 et de l'alinéa 241b) C.cr. sont des dispositions législatives fédérales invalides sur le plan constitutionnel dans la mesure où elles prohibent l'aide médicale à mourir.

Il est vrai que la prise d'effet de cette déclaration d'invalidité a été suspendue pendant 12 mois. Toutefois, comme l'a reconnu le juge en chef Lamer, dissident sur le fond dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) : « pendant la période de suspension d'une déclaration d'invalidité […] la disposition est à la fois invalidée et temporairement maintenue », ce qui rend possibles les exemptions constitutionnelles lorsque les circonstances s'y prêtent. Le juge en chef Lamer a également reconnu « que la loi qui fait l'objet d'une déclaration d'invalidité dont l'effet est suspendu ne s'applique pas nécessairement dans tous ses aspects inconstitutionnels […] au cours de la période de suspension ». Comme le signalaient également les juges LeBel et Rothstein dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop, la suspension d'une déclaration d'invalidité constitutionnelle survient normalement lorsqu'il y a lieu d'éviter un vide juridique avant que le Parlement ou la législature provinciale en cause ne puisse remplacer les dispositions inconstitutionnelles : « [e]n suspendant la déclaration d'invalidité, notre Cour permet que l'inconstitutionnalité demeure le temps que le législateur y remédie ». Or, l'aide médicale à mourir est un domaine de compétence concurrente à l'égard duquel le législateur provincial peut validement légiférer et à l'égard duquel le Québec a, de fait, légiféré. Le cadre législatif établi par le Québec permet justement de combler le vide juridique afin de permettre aux personnes remplissant toutes les conditions prévues à la Loi d'exercer leurs droits constitutionnels reconnus par la Cour suprême du Canada en ce qui a trait à l'aide médicale à mourir.

Le principe du fédéralisme, un principe constitutionnel qui a plein effet juridique, assure « une reconnaissance de la diversité des composantes de la Confédération et de l'autonomie dont les gouvernements provinciaux disposent pour assurer le développement de leur société dans leurs propres sphères de compétence ». Il serait contraire à ce principe de prétendre que la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale peut s'appliquer dans le cas qui nous occupe de façon à donner préséance à des dispositions législatives fédérales invalides au simple motif que la prise d'effet de la déclaration d'invalidité a été temporairement suspendue afin de permettre au Parlement et aux législatures provinciales de se conformer aux préceptes énoncés dans l'arrêt Carter. Ce serait donner une nouvelle et trop grande portée à la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale, doctrine qui doit faire l'objet d'une approche restrictive de la part des tribunaux, lesquels doivent plutôt éviter de chercher des incompatibilités législatives. Appliquer la doctrine de la prépondérance de la législation fédérale comme si l'arrêt Carter avait confirmé plutôt qu'infirmé la validité constitutionnelle des dispositions en cause du Code criminel qui prohibent l'aide médicale à mourir est une approche erronée dans les circonstances particulières en cause. Le conflit ici, si conflit il y a, n'est pas entre une loi provinciale valide et une loi fédérale valide, mais plutôt entre une loi provinciale valide ou présumée valide à ce stade des procédures, et une ordonnance judiciaire qui suspend la prise d'effet d'une déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions législatives fédérales en cause. Il faut donc plutôt déterminer si l'effet de cette ordonnance judiciaire, compris à la lumière des objectifs de celle-ci, est de rendre inopérantes les dispositions portant sur l'aide médicale à mourir contenues dans la Loi.

Dans l'arrêt Carter, la plus haute instance du pays, s'appuyant sur sa jurisprudence antérieure, est d'avis que la santé est un domaine de compétence concurrente à l'égard duquel le Parlement et les législatures provinciales peuvent validement légiférer. Les deux ordres de gouvernement peuvent donc légiférer sur des aspects de l'aide médicale à mourir. La Cour suprême conclut également que la prohibition de l'aide médicale à mourir prive les personnes affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Elle reconnaît également qu'un système de garanties soigneusement conçu et surveillé peut limiter les risques associés à l'aide médicale à mourir. Elle ajoute qu'il appartient à la fois au Parlement et aux législatures provinciales, si elles choisissent de le faire, de répondre à la déclaration d'invalidité « en adoptant une loi compatible avec les paramètres constitutionnels énoncés dans les présents motifs ».

La Loi est une législation portant sur la santé qui relève de la compétence législative du Québec. Cette loi permet et encadre l'aide médicale à mourir. Elle permet ainsi aux personnes affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables de bénéficier de l'aide médicale à mourir, laquelle fait partie du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne selon la Cour suprême du Canada. Cette loi encadre fortement l'aide médicale à mourir, ce qui permet d'en limiter les risques.

Dans ce cadre, force est de constater que tant l'effet que les objectifs de l'ordonnance de suspension de la prise d'effet de la déclaration d'invalidité de l'article 14 et de l'alinéa 241b) C.cr. ne sont pas incompatibles avec l'entrée en vigueur des dispositions portant sur l'aide médicale à mourir contenues dans la Loi. Au contraire, cette ordonnance de suspension vise précisément à permettre au Parlement et aux législatures provinciales qui le désirent de légiférer dans les meilleurs délais à l'égard de l'aide médicale à mourir dans leurs sphères de compétences respectives.

Cela ne signifie pas que le gouvernement fédéral et le Parlement ne peuvent pas continuer leurs travaux sur l'aide médicale à mourir afin de développer un cadre législatif fédéral qui s'appliquerait tant au Québec qu'ailleurs au Canada. Si le Parlement adopte éventuellement une législation fédérale valide portant sur l'aide médicale à mourir qui s'applique au Québec, il faudra alors réexaminer les dispositions portant sur l'aide médicale à mourir contenues dans la Loi afin de déterminer si elles sont en conflit avec ce cadre législatif. Par contre, d'ici là, les dispositions invalides du Code criminel prohibant l'aide médicale à mourir ne peuvent à elles seules empêcher l'entrée en vigueur et l'application de la Loi. La suspension de la déclaration d'invalidité de l'arrêt Carter ne peut pas, non plus, avoir un tel effet dans le contexte particulier en cause.

Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire de traiter des autres motifs d'appel soulevés par la PGQ. Il y a aussi lieu de noter que les intimés pourront continuer à contester au fond devant la Cour supérieure la validité constitutionnelle des dispositions portant sur l'aide médicale à mourir contenues dans la Loi pour les autres raisons qu'ils soulèvent dans leur requête introductive d'instance.

Précisons également que c'est à bon droit que le juge a rejeté la demande d'injonction provisoire des intimés. En effet, les critères pour obtenir une telle injonction provisoire ne sont pas remplis par les intimés. La situation personnelle de l'intimée Lisa D'Amico, comme le souligne le juge, ne lui permet pas de satisfaire aux critères donnant ouverture à l'injonction provisoire. Quant à l'intimé, le Dr Paul J. Saba, il est manifeste qu'il ne satisfait pas non plus à ces critères en raison de nos conclusions sur l'appel principal. Il n'y a donc pas lieu de faire droit aux appels incidents des intimés.


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Photo : U.S. Army Corps of Engineers Norfolk District | https://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/

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