La défenderesse est accusée d'avoir enfreint l'article 57 du Règlement concernant les conditions au regard de la possession et de l'utilisation de tout titre de transport émis par la Société de transport de Montréal (Règlement R-105). Plus précisément, on lui reproche d'avoir obtenu un voyage sans avoir acquitté le droit de passage de la façon prévue.
La commission de l'infraction reprochée à la défenderesse a été établie hors de tout doute raisonnable. La défenderesse, qui souffre de sclérose en plaques de forme progressive secondaire et qui peut se déplacer uniquement en fauteuil roulant motorisé, reconnaît avoir effectué un déplacement en transport adapté le 15 juin 2012 pour se rendre à l'hôtel de ville de Montréal. Elle reconnaît également avoir été l'objet d'un contrôle par des inspecteurs de la Société de transport de Montréal (STM) à son arrivée sur les lieux. De plus, la preuve démontre qu'elle n'a pas acquitté son droit de passage de la façon prévue. Il est établi que les titres de transport valides et le mode de paiement disponible dans le transport adapté sont : la carte Opus sur laquelle est porté un titre hebdomadaire ; la carte Opus sur laquelle est porté un titre mensuel ; les billets en papier avec bande magnétique (billet valide pour un déplacement) ; le paiement en argent comptant escompté. À l'embarquement, la défenderesse a bel et bien présenté une carte Opus. Cette dernière ne contenait cependant pas de titre hebdomadaire ni de titre mensuel, mais des titres unitaires. Or, ces titres ne sont pas valides dans le transport adapté, car les véhicules effectuant ce type de transport ne sont pas munis de bornes permettant de débiter les cartes Opus. La défenderesse le savait. Bref, cette dernière a acquitté son droit de passage en prétendant détenir un titre de transport valide.
La défenderesse soutient qu'elle devrait être déclarée non coupable de l'infraction reprochée, car elle a présenté sa carte Opus qui contenait des titres de transport valides et qu'elle ne devrait pas faire les frais de l'incapacité de la STM de s'assurer de percevoir le paiement des transports qu'elle effectue. On ne saurait retenir cet argument, qui n'est pas sérieux et qui dénature les faits ayant conduit au constat d'infraction. Lors du contrôle, la défenderesse n'a pas dit à l'inspecteur Masse qu'elle avait acquitté son droit de passage avec des titres unitaires contenus sur sa carte Opus ; elle a plutôt tenté de l'induire en erreur en faisant des représentations mensongères (erreur de sacoche). Par ailleurs, la défenderesse soutient qu'elle était dans une situation similaire à celle de la personne qui tente de payer dans une borne de stationnement, mais qui est dans l'incapacité de le faire en raison de la défectuosité de la borne. Il s'agit de deux situations bien différentes. L'argument de la défenderesse ressemble beaucoup plus à celui que soulèverait la personne qui s'est présentée à une borne de stationnement qui n'accepte pas les pièces de deux dollars et qui prétendrait qu'elle a voulu payer son stationnement, mais qu'elle n'avait sur elle que des pièces de deux dollars.
Penchons-nous maintenant sur l'argument de la défenderesse relatif à sa détention arbitraire. Lorsque l'on examine les circonstances de la présente affaire, force est de conclure qu'il n'y a pas eu de détention au sens de l'article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne). Tout d'abord, l'intervention des inspecteurs auprès de la défenderesse n'était en fait qu'une vérification administrative visant à s'assurer du paiement par celle-ci de son droit de passage et de la validité de son titre de transport. Bien que les inspecteurs soient des représentants d'une entité publique, ils ne sont pas agents de la paix et ne possèdent pas les pouvoirs de ces derniers. Les inspecteurs possèdent certains pouvoirs, certes, mais ceux-ci sont limités. En outre, la vérification administrative ne comportait aucune contrainte physique ou psychologique considérable. En soi, la vérification administrative n'entraînait aucune conséquence juridique appréciable. Même après que l'inspecteur Masse eut constaté que la défenderesse contrevenait à la réglementation, il n'y avait toujours pas de détention. La conséquence de la constatation d'une infraction par les inspecteurs est un constat d'infraction qui n'entraîne aucune mesure privative de liberté, seulement une amende et des frais. Certes, la personne qui fait l'objet d'une vérification administrative est « détenue » en ce sens qu'elle est retenue ou retardée, mais elle n'est pas détenue au sens de l'article 9 de la Charte canadienne. Ceci est encore plus vrai dans le cas de la défenderesse ou de toute personne utilisant le transport adapté. En effet, la preuve démontre que lorsqu'une infraction est constatée relativement à un voyage en transport adapté, le contrevenant est informé de l'infraction, des conséquences de celle-ci et du fait qu'un constat d'infraction lui sera transmis par la poste. Le contrevenant n'a donc pas à attendre la confection du constat d'infraction. Par ailleurs, il faut noter que l'intervention des inspecteurs auprès de la défenderesse n'a duré que de 10 à 15 minutes. N'eût été des représentations mensongères de cette dernière, l'intervention aurait duré bien moins longtemps. Enfin, le fait que la défenderesse ait été retenue physiquement dans le véhicule n'était aucunement lié à la vérification administrative dont elle était l'objet ni à la constatation de l'infraction. Cette situation était plutôt liée à la sécurité même de la défenderesse.
Si nous nous trompions et que la défenderesse était détenue au sens de l'article 9 de la Charte canadienne, il faudrait néanmoins conclure que cette détention n'était pas arbitraire. D'une part, la détention était autorisée par des règles de droit dont la validité n'est pas contestée (Loi sur les sociétés de transport en commun, Règlement R-105, Code de procédure pénale). D'autre part, la détention n'a pas été effectuée de manière abusive. La vérification administrative dont la défenderesse a été l'objet ne la visait pas particulièrement. Cette vérification administrative a eu lieu au hasard. On ne peut retenir l'argument de la défenderesse selon lequel elle aurait été ciblée en raison de son titre de présidente du Regroupement des activistes pour l'inclusion au Québec (RAPLIQ). Il n'y a pas au dossier un iota de preuve permettant de soutenir un tel argument. En outre, l'intervention a duré une dizaine de minutes, ce qui comprend le temps requis pour écouter les représentations trompeuses avancées par la défenderesse concernant l'erreur de sacoche. De plus, l'intervention s'est limitée à ce qui était nécessaire dans les circonstances. Qui plus est, il n'y a eu aucun commentaire déplacé de la part de l'inspecteur Masse ou de sa collègue, l'inspectrice Forcier.
La défenderesse soutient également que l'intervention des inspecteurs était spécifiquement dirigée contre elle et qu'elle s'est déroulée sur un ton méprisant et arrogant, et ce, devant une importante quantité de personnes. Selon la défenderesse, donc, l'intervention a porté atteinte à ses droits garantis par les articles 1 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise). On ne saurait être du même avis. La preuve ne démontre pas que l'intervention des inspecteurs auprès de la défenderesse a eu lieu dans le but de prendre celle-ci en défaut en raison de caractéristiques personnelles et spécifiques à sa personne. La preuve démontre bel et bien que l'intervention a été faite au hasard. Par ailleurs, l'inspecteur Masse est demeuré centré sur la tâche qu'il devait accomplir. Si ce dernier a refusé l'offre tardive de la défenderesse de payer son droit de passage avec de l'argent comptant, c'est en raison des représentations mensongères de cette dernière. Il n'y a eu aucune insulte ni aucun mot déplacé ou tendancieux de sa part. L'inspecteur Masse n'a pas non plus été méprisant ou arrogant envers la défenderesse. Nous retenons plutôt qu'après avoir été informée qu'une contravention lui serait remise, la défenderesse n'était pas contente et que cet état d'esprit a influé sur sa perception de l'intervention. Enfin, en ce qui concerne la présence de tierces personnes sur les lieux, aucune d'elles ne s'est arrêtée pour regarder le déroulement de l'intervention. Ceci est une indication de la banalité de celle-ci. Bref, on ne croit pas que les inspecteurs aient humilié la défenderesse en mettant l'accent sur sa condition spécifique et aient ainsi porté atteinte à l'intégrité de sa personne. En outre, rien dans la preuve ne permet de conclure que les inspecteurs ont porté atteinte à l'honneur, à la réputation ou à la dignité de la défenderesse.
Reste à examiner la politique tarifaire de la STM qui ne permet pas à un usager du transport adapté d'acquitter son droit de passage par des titres unitaires portés sur une carte Opus. La défenderesse soutient qu'il y a un traitement différentiel entre les usagers du transport adapté et les usagers du transport régulier et que cette différence de traitement a des effets discriminatoires sur les usagers du transport adapté.
L'article 15 de la Charte canadienne est une mesure antidiscriminatoire. Cet article vise à atteindre l'égalité réelle entre les diverses personnes formant la société, et non seulement l'égalité formelle. Il faut se rappeler que l'égalité réelle n'est pas nécessairement atteinte par un traitement identique. Dans certains cas, des distinctions formelles de traitement seront nécessaires afin de composer avec les différences entre les individus et de produire ainsi un véritable traitement égal. Lorsqu'une personne allègue une contravention à l'article 15 de la Charte canadienne, il y a lieu de se demander, dans un premier temps, si cette personne a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la loi ou la mesure gouvernementale (son objet ou ses effets) crée une distinction fondée sur un des motifs énumérés à cet article ou un motif analogue à ceux-ci. Il faut se rappeler que l'omission de faire des distinctions peut aussi être source de discrimination. Toujours dans le cadre de cette première étape, il y a lieu également de se demander si le paragraphe 15(2) de la Charte canadienne s'applique (programme de promotion sociale). Si la question n'a pas été résolue lors de la première étape, il faut se demander, dans un deuxième temps, si la personne qui soulève une contravention à l'article 15 de la Charte canadienne a établi que la loi ou la mesure (son objet ou ses effets) crée ou perpétue un désavantage, un préjugé ou un stéréotype. Le cas échéant, la troisième étape de l'analyse consiste à examiner si la loi ou la mesure est justifiée au regard de l'article 1 de la Charte canadienne.
La STM exploite deux réseaux de transport sur le territoire qu'elle dessert. L'un, qui aux fins du présent dossier sera appelé « réseau régulier », fournit à l'ensemble de la population, handicapée ou non, des services de transport collectif. Tout usager de ce réseau qu'il soit handicapé ou non se voit imposer les mêmes règles, tarifs, modes de perception, etc. Bien que ce réseau se soit grandement amélioré au fil des ans pour permettre la mobilité des personnes handicapées, il comporte des limites pour certaines de ces personnes, d'où le « réseau du transport adapté ». Ce réseau a été mis en place afin d'offrir aux personnes handicapées ayant des problèmes de mobilité la possibilité de se déplacer. Il a permis d'améliorer la situation des personnes handicapées en leur permettant de sortir de l'isolement et en leur fournissant une autonomie à laquelle elles avaient le droit d'aspirer. Bref, ce réseau est un programme de promotion sociale qui permet d'accroître l'égalité réelle entre les personnes handicapées et les autres membres de la société. Pour améliorer de manière significative l'égalité réelle des personnes handicapées, le réseau du transport adapté ne doit pas toutefois fonctionner sur les mêmes bases opérationnelles que celles du réseau régulier. Par exemple, le réseau régulier est un réseau basé sur des arrêts désignés préalablement où les usagers doivent se rendre et fonctionne avec des trajets prédéterminés à des intervalles réguliers. Le réseau du transport adapté, lui, est un réseau de transport de porte-à-porte qui fonctionne sur réservation. L'heure du transport est aussi préétablie. Les véhicules utilisés pour combler les besoins du transport du réseau régulier diffèrent en outre de ceux utilisés sur le réseau du transport adapté. Le réseau régulier utilise essentiellement des autobus et le métro et, accessoirement, des taxis berline. De son côté, le réseau du transport adapté utilise des minibus adaptables, des taxis accessibles et des taxis berline, et ce, en fonction de l'aide à la mobilité nécessaire à l'usager. Il s'agit donc de deux réseaux très différents. Les seules vraies ressemblances entre ces deux réseaux résident dans les moyens avec lesquels l'on peut acquitter son droit de passage et le coût de celui-ci.
En ce qui concerne l'utilisation des titres unitaires portés sur une carte Opus, rien ne distingue les usagers du réseau régulier et les usagers du réseau du transport adapté lorsque ceux-ci circulent en taxi, un taxi accessible ou un taxi berline dans le cas du réseau de transport adapté et un taxi berline (taxi collectif ou navette Or) dans le cas du réseau régulier. En effet, dans chaque cas, les titres unitaires achetés en groupe de dix et portés sur une carte Opus ne sont pas acceptés pour acquitter le droit de passage de l'usager. De plus, en admettant qu'il y ait une distinction entre les usagers du réseau du transport adapté et ceux du réseau régulier en raison du fait que la grande majorité des transports sur le réseau du transport adapté sont effectués en taxi accessible ou en taxi berline alors que le transport en taxi berline représente une infime partie des transports effectués sur le réseau régulier, force est de conclure que cette distinction n'est pas fondée sur l'un des motifs énumérés à l'article 15 de la Charte canadienne. En effet, si les titres unitaires achetés en groupe de dix et portés sur une carte Opus ne sont pas acceptés pour acquitter un droit de passage lors d'un voyage en transport adapté, c'est en raison du type de véhicules utilisés sur ce réseau, lesquels véhicules permettent d'ajuster le transport à la situation des usagers et d'assurer la viabilité de la politique de refus zéro. Ces véhicules ne possèdent effectivement pas d'équipement permettant de débiter les titres unitaires portés sur une carte Opus. La technologie actuellement disponible sur le marché ne peut en fait être physiquement installée dans ces véhicules. Afin de ne pas pénaliser financièrement les usagers du réseau du transport adapté, le paiement en argent comptant sur ce réseau est toutefois moins élevé que celui sur le réseau régulier. Le coût pour un titre de transport unitaire au comptant sur le réseau du transport adapté (paiement en argent comptant escompté) est le même que le coût unitaire d'un lot de dix titres de transport portés sur une carte Opus.
Pour appuyer sa position selon laquelle la politique tarifaire de la STM est discriminatoire, la défenderesse soutient que la STM pourrait, comme le fait le Réseau de transport de la Capitale (RTC) sur son réseau de transport adapté, utiliser un billet papier spécifiquement destiné aux usagers du transport adapté. Sur la base des inconvénients décrits par la défenderesse dans son témoignage, il est difficile de voir en quoi ceci réduirait ces inconvénients. D'une part, ceci n'éliminerait pas la nécessité pour la défenderesse d'avoir à se déplacer pour acheter de tels billets. D'autre part, l'utilisation de tels billets ne changerait en rien les difficultés auxquelles se heurte la défenderesse en raison de sa perte de dextérité fine. Cette perte de dextérité fine cause chez la défenderesse non seulement de la difficulté à manipuler la monnaie, mais également l'argent papier, en somme tous les petits objets.
Somme toute, la défenderesse n'a pas démontré que la politique tarifaire de la STM qui ne permet pas à un usager du transport adapté d'acquitter son droit de passage par des titres unitaires portés sur une carte Opus est discriminatoire et qu'elle contrevient à l'article 15 de la Charte canadienne.
La politique tarifaire de la STM ne contrevient pas non plus à l'article 10 de la Charte québécoise. La décision de la STM de ne pas permettre à un usager du transport adapté d'acquitter son droit de passage par des titres unitaires portés sur une carte Opus n'est aucunement liée, directement ou indirectement, avec un motif énoncé à l'article 10 de la Charte québécoise. La preuve démontre que c'est essentiellement en raison de la nécessité pour la STM d'utiliser certains véhicules sur son réseau de transport adapté et de l'impossibilité d'installer un appareil de perception dans ces véhicules que les titres unitaires portés sur une carte Opus ne sont pas acceptés.
Les arguments présentés par la défenderesse ayant été rejetés, il reste la preuve relative à la commission de l'infraction. Cette preuve établit hors de tout doute raisonnable la commission de l'infraction. Par conséquent, la défenderesse est déclarée coupable de l'infraction.
Photo : shankar s. | https://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/
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