L'accusé se pourvoit contre le jugement qui l'a déclaré coupable de cinq chefs d'accusation de voies de fait. Au moment des événements, l'accusé travaillait dans une ressource intermédiaire pour personnes en perte d'autonomie et était le surveillant de neuf résidents. Quatre de ces résidents, lesquels souffraient d'une déficience intellectuelle, étaient inaptes à prendre soin d'eux-mêmes et étaient représentés par le curateur public, sont visés par les accusations.
Dans le cadre de son premier moyen d'appel, l'accusé soutient que le juge de première instance a erré en évaluant les témoignages selon un double standard. Ce moyen d'appel doit échouer. Ainsi que le rappelait la Cour récemment, ce moyen d'appel requiert la démonstration d'une faille ou d'une lacune déterminante dans l'évaluation des témoignages contradictoires. Ce seuil exigeant n'est pas atteint en l'espèce. L'accusé cible 14 éléments qui démontreraient « une iniquité dans l'analyse de la preuve », mais l'exercice n'est pas convaincant. Aucun élément, considéré isolément ou globalement, ne démontre que le juge a évalué les témoignages selon un double standard. L'accusé ne démontre donc pas que le juge a commis une erreur de droit en évaluant la preuve d'une manière inéquitable.
Passons au deuxième moyen d'appel. L'accusé reproche au juge d'avoir « ébauché » une analyse de la notion de consentement fondée sur la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), alors qu'il n'y a aucune preuve du statut juridique de la ressource où il travaillait. L'applicabilité de cette loi n'ayant pas été prouvée, les conclusions du juge selon lesquelles il a omis de suivre ce cadre légal ne sauraient justifier la qualification de voies de fait. L'accusé fait fausse route. La question n'est pas de savoir si la LSSSS s'appliquait, mais plutôt si la force que l'accusé a employée contre les résidents avait pour but de leur prodiguer des soins (on entend, ici, soins au sens large étant le donné le contexte d'hébergement et de soins de longue durée qui existait) et si cette force a été excessive, selon la nature et la qualité des actes.
Le juge aussi se méprend lorsqu'il tient pour acquis que les résidents n'ont pas consenti à l'emploi de la force et que le ministère public n'a pas à prouver un excès de force. Dans l'esprit du juge, c'est l'emploi de la force, quelle qu'elle soit, qui est condamnable, et la seule défense possible est celle de la croyance sincère au consentement. Le juge analyse donc le consentement à travers le prisme des motifs raisonnables pour étayer une telle croyance, plutôt que de se demander si l'accusé a commis un excès de force. Cette démarche est erronée. Le curateur public a consenti à la garde des résidents dans une ressource adaptée à leurs besoins ainsi qu'aux soins requis par leur état de santé. Ces soins, que ce soit de déplacer un résident de son fauteuil roulant à son lit, de le transporter ou de l'assister dans ses mouvements, ou toute autre intervention, requéraient l'emploi intentionnel d'une certaine force qui, sans le consentement du résident, constituerait des voies de fait. En pareilles circonstances, la défense de consentement implicite peut trouver application.
Le droit criminel doit protéger les personnes inaptes contre toute atteinte injustifiée à leur intégrité et à leur dignité. D'un autre côté, les personnes qui prennent soin d'une personne inapte sur la foi d'un consentement substitué (c'est-à-dire donné par le représentant, le conjoint, un proche parent ou toute autre personne démontrant un intérêt particulier pour la personne inapte) doivent pouvoir employer la force nécessaire à cette fin sans crainte d'être accusées de voies de fait. Il est donc dans l'intérêt public de reconnaître que le consentement aux soins, qu'il soit donné par la personne elle-même ou par son substitut, implique le consentement à l'emploi de la force nécessaire à ces soins. Ce consentement implicite comporte toutefois deux exigences : 1) la force doit être employée pour prodiguer des soins ; et 2) la force ne doit pas être excessive. Le juge commet donc une erreur de droit en analysant la question du consentement strictement au regard de la défense de croyance sincère au consentement. Vu le consentement implicite des résidents à l'emploi d'une certaine force, il s'agit plutôt de savoir si l'accusé a employé la force dans le but de prodiguer des soins aux résidents et si cette force a été excessive.
L'erreur du juge porte sur une question au cœur de la décision globale sur la culpabilité ou l'innocence. Il ne s'agit pas d'une erreur mineure, sans lien avec la question au cœur du procès ou manifestement dépourvue d'un effet préjudiciable. L'erreur a pu fausser l'analyse du juge sur la force employée par l'accusé et l'amener à assimiler la brusquerie à des voies de fait. Or, la brusquerie n'est pas nécessairement un crime. Il en va de même du manque de respect ou de courtoisie. L'erreur du juge dans l'analyse de la question du consentement n'est donc pas sans conséquence, et la Cour n'est pas convaincue qu'il n'existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l'absence de l'erreur. En pareilles circonstances, la tenue d'un nouveau procès est ordonnée.