Il est un principe incontestable que toute personne a une attente raisonnable en matière de vie privée dans sa résidence et, dans une moindre mesure, dans le périmètre qui entoure cette résidence. Néanmoins, en appréciant l'attente d'une personne à cet égard, il faut considérer l'« invitation à frapper à la porte » que tout particulier est réputé faire aux membres du public, y compris les policiers. Si la conduite des policiers demeure dans les limites de ce qui est implicitement autorisé, on ne peut alors affirmer qu'ils commettent une intrusion dans la vie privée du particulier. L'invitation implicite autorise une personne à s'approcher d'une résidence pour frapper à la porte dans le seul but de permettre une communication convenable avec l'occupant de celle-ci. La renonciation aux droits à la vie privée que comporte l'invitation implicite ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Le droit de s'approcher et de communiquer n'exclut pas un questionnement de l'occupant qui vise à faire avancer une enquête policière légitime.
Dans la présente affaire, un policier explique s'être dirigé vers l'arrière de l'immeuble résidentiel avec ses collègues puisqu'au vu des renseignements dont ils disposaient, il s'agissait du seul moyen qui leur permettait de faire un lien entre un appartement précis et la conduite infractionnelle soupçonnée (rassemblement interdit en raison de l'état d'urgence sanitaire). En effet, les informations anonymes transmises identifient le lieu de la commission de l'infraction strictement par la présence d'un balcon sur lequel se trouve un barbecue. Or, après vérifications, l'immeuble ne comporte aucun balcon à l'avant. C'est donc dans le but spécifique d'identifier correctement les lieux que les policiers pénètrent dans la cour arrière. Et une fois dans cette cour, les policiers sont à même d'observer des balcons et la présence d'un barbecue sur un d'entre eux. Observant aussi qu'une porte donne sur le balcon en question, les policiers décident de monter directement par l'escalier en colimaçon qui y mène. Jusque-là, l'intention des policiers se limite à vouloir communiquer avec un occupant des lieux visés par l'appel anonyme auquel ils répondent, et ce, dans le but de faire progresser une enquête légitime. Certes, il est raisonnable de penser que lors d'une intervention policière, un citoyen s'attend à ce que les policiers frappent à la porte principale de sa résidence. Cependant, alors qu'il est permis aux policiers, en vertu de l'invitation implicite, de quitter le trottoir pour se présenter à la porte avant d'une résidence, il n'est pas exclu que les policiers puissent passer par la porte arrière de cette même résidence lorsque des circonstances particulières le justifient et que leur comportement demeure dans les limites de ce qui est nécessaire pour communiquer avec l'occupant.
Mais l'intervention policière ne s'arrête pas ici au moment où les policiers se présentent à la porte de l'appartement du défendeur. Les policiers ne se sont pas limités à valider les informations anonymes qui leur avaient été transmises. En fait, aucune question ne semble avoir été posée au défendeur pour effectivement valider ces informations. Un policier indique plutôt au défendeur que ses collègues et lui doivent s'assurer que les gens qu'ils ont aperçus à travers la fenêtre de la porte sont tous des occupants de l'appartement. Et le policier n'a aucun souvenir d'avoir explicitement demandé au défendeur si ses collègues et lui pouvaient entrer. À partir de ce moment, les policiers outrepassent l'invitation implicite. L'objectif poursuivi par les policiers est de rechercher des éléments de preuve qui permettront de confirmer la commission d'une possible infraction à la Loi sur la santé publique. On ne peut conclure à un consentement valable, même implicite, du défendeur à l'entrée des policiers dans son appartement. Il s'agit ici d'un cas clair où les policiers, au lieu de s'assurer du réel consentement du défendeur, se sont satisfaits de l'absence d'objection et de résistance de ce dernier. Même si les policiers étaient de bonne foi et que leur intervention s'est déroulée sereinement, il n'en demeure pas moins que la nécessité d'entrer à l'intérieur de l'appartement pour identifier les gens a été présentée au défendeur comme un fait, une obligation, et non comme une option que celui-ci pouvait refuser. Considérant que les policiers sont entrés dans l'appartement sans un consentement valide du défendeur et que, ce faisant, ils ont empiété sur le droit de celui-ci à la vie privée, il y a lieu de conclure que l'intervention policière est assimilable à une fouille au sens de l'art. 8 de la Charte canadienne. Et comme elle a été effectuée sans autorisation judiciaire préalable, la fouille est présumée abusive. Pour réfuter cette présomption, le ministère public doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille était autorisée par une loi non abusive et qu'elle n'a pas été exécutée de manière abusive. Qu'en est-il ?
Parmi les pouvoirs qu'elle énonce pour protéger la santé de la population, la Loi sur la santé publique ne prévoit aucun pouvoir qui autorise une fouille comme celle que les policiers ont effectuée dans la présente affaire. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministère public, les policiers n'agissaient pas en vertu des pouvoirs que leur confère l'art. 72 du Code de procédure pénale. Cet article permet à un agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction d'exiger que celle-ci s'identifie afin de dresser un constat d'infraction. Or, lorsque les policiers pénètrent à l'intérieur de l'appartement du défendeur, il ne s'agit pas simplement d'identifier les occupants pour émettre un constat relatif à une infraction déjà constatée. Il s'agit plutôt d'aller recueillir la preuve des éléments constitutifs de l'infraction reprochée. Le seul fait de voir des gens rassemblés à une table ne permet pas de conclure à la commission de l'infraction et d'émettre un constat. Un rassemblement peut légalement avoir lieu dans une résidence, du moment que tous ceux qui le composent y sont domiciliés. Ce n'est donc qu'après avoir identifié tous les gens présents et avoir obtenu l'information relative à leur lieu de résidence (leur adresse) que les policiers sont en mesure d'émettre les constats. De surcroît, même si l'on concluait que les policiers agissaient en vertu de leur pouvoir prévu à l'art. 72 C.p.p., le fait est que cet article ne prévoit pas que les policiers puissent, pour ce faire, pénétrer sans mandat à l'intérieur de l'appartement. Rien ne permet de conclure non plus qu'il était nécessaire pour les policiers d'entrer dans l'appartement pour exercer leur pouvoir. Somme toute, la conduite des policiers ne s'inscrivait pas dans le cadre d'un devoir prévu par un texte de loi ou reconnu par la common law et, par conséquent, ne constituait pas davantage un exercice justifiable d'un quelconque pouvoir afférent à un tel devoir.
Bien que constituant une violation sérieuse de la Charte canadienne au vu de l'importance à accorder au principe de l'inviolabilité de la demeure, la conduite policière n'est pas d'une gravité extrême. D'une part, les policiers n'ont pas agi de manière téméraire ou de mauvaise foi. D'autre part, l'intervention des policiers s'est déroulée dans un contexte particulier et quelque peu chaotique. On parle ici d'une situation exceptionnelle de pandémie mondiale qui déclenche un état d'urgence sanitaire menant les autorités, y compris les forces policières, en terrain inconnu. Par ailleurs, les policiers n'ont pas abusé des pouvoirs qu'ils croyaient erronément avoir; ils se sont limités à questionner les gens attablés dans la salle à manger et à exiger d'eux qu'ils fournissent des pièces attestant de leur identité et de leur lieu de résidence. Et l'intervention s'est déroulée de manière non abusive, sur un ton cordial, et sans avoir recours à une force quelconque. Enfin, les informations obtenues sont des éléments de preuve fiables. Et bien qu'elle vise une infraction de nature pénale règlementaire, l'intervention des policiers se déroule alors que la santé publique est menacée par une pandémie mondiale. Ce contexte d'urgence sanitaire pour le moins exceptionnel nécessite des interventions policières pour freiner la propagation d'un virus bien réel et mortel, et ce, dans le but d'assurer la vie, la santé et la sécurité de la population. Au vu de l'objectif que poursuit la Loi sur la santé publique, l'infraction en cause est une infraction grave.
La nature de la violation milite, à première vue, en faveur de l'exclusion de la preuve, vu le principe sacré de l'inviolabilité du domicile qui la sous-tend. Néanmoins, la preuve pourra être utilisée. Plusieurs facteurs militent effectivement en faveur de l'utilisation de la preuve : l'incidence limitée de la violation, le contexte d'incertitude juridique provoqué par l'état d'urgence sanitaire, la nature des éléments de preuve obtenus et le fait qu'au vu de la gravité de l'infraction et de l'intérêt du public à ce que l'affaire soit jugée au fond, l'utilisation de ces éléments de preuve n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Reste à déterminer si le moyen de défense présenté par le défendeur peut être retenu. Quoique conscient des règles sanitaires en vigueur, le défendeur indique que la détresse psychologique liée à la COVID-19 et causée, notamment, par l'isolement a motivé le rassemblement, les personnes présentes ayant toutes besoin de se remonter le moral. Sans contredit, le contexte inusité de pandémie fut exigeant à tous points de vue, et ce, à divers égards pour tous les citoyens, peu importe leur situation. Mais il faut ici se limiter à déterminer s'il existe ou non un moyen de défense légal à l'égard de l'infraction reprochée. Or, la version de la défense, laquelle se limite au seul témoignage du défendeur, ne permet pas de conclure à l'existence d'un tel moyen de défense. D'une part, le défendeur n'offre que très peu de détails qui peuvent permettre d'envisager qu'au moins l'une des personnes présentes se trouvait dans un état psychologique tel qu'un soutien, dont la réelle teneur n'est pas davantage précisée, était raisonnablement et véritablement nécessaire. Par ailleurs, loin de vouloir banaliser les répercussions psychologiques que l'isolement et le respect des directives ont pu occasionner, l'on doute que le « soutien » auquel il est fait référence dans le décret du gouvernement et qui est autorisé dans certains cas se résume à celui de remonter le moral d'un ami en se réunissant l'espace d'une soirée. Sans compter qu'en plus de la possibilité de se réunir à l'extérieur en étant respectueux d'une distanciation de deux mètres, il existait, en cette ère actuelle de multimédias, plusieurs autres moyens pour arriver à cette fin. D'autre part, même si l'on en venait à la conclusion qu'il s'agissait de la situation qu'envisageait le décret, il n'en demeure pas moins que celle-ci ne respectait pas davantage les modalités du décret.