Ce qui s'annonçait comme un banal dossier pour des infractions au Code de la sécurité routière a pris une tournure inattendue. Outre l'évaluation des éléments constitutifs des infractions reprochées, il faut en effet se pencher sur le comportement du policier à l'origine des constats d'infraction ainsi que sur celui de deux procureurs du directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
Un soir, un superviseur de relève de la Sûreté du Québec va faire des constatations sur les lieux d'un accident survenu quelques heures auparavant sur l'autoroute 40 Ouest, non loin de l'autoroute 25 à Montréal. À son retour, il en profite pour faire des vérifications sur des véhicules qui roulent sur l'autoroute, ce qui l'amène à changer souvent de voie et à varier grandement sa vitesse. Son comportement ne passe pas inaperçu aux yeux du défendeur, un ex-policier qui a quitté ses fonctions il y a quelque temps déjà. Conscient qu'il s'agit d'un véhicule banalisé conduit par un policier, le défendeur téléphone au numéro *4141 (urgence Sûreté du Québec) pour signaler au répartiteur cette conduite qu'il qualifie de « non sécuritaire » puis de « honteuse » pour un policier. À la fin de l'appel, le répartiteur communique avec le policier concerné et lui fait savoir que le défendeur vient de signaler sa conduite erratique et qu'il veut porter plainte. Il qualifie le défendeur de « tata » et de « méchant pingouin » qui veut « faire des plaintes ». Fort de ce renseignement, le policier qui voit maintenant derrière lui le véhicule du défendeur ralentit pour tenter de prendre le numéro de sa plaque minéralogique. Voyant que le défendeur ralentit lui aussi sous la limite de vitesse, il sort de l'autoroute 40 pour revenir plus loin sur la voie rapide dans le but de le piéger. À partir de ce moment, les faits font l'objet de deux thèses. Le défendeur nie avoir dépassé la limite de vitesse permise et franchi une ligne de démarcation continue. Le policier soutient, lui, que le défendeur a roulé à une vitesse de 130 km/h sur un tronçon de l'autoroute 40 où la limite de vitesse est de 70 km/h et a franchi une ligne de démarcation continue près de la sortie Atwater.
La distance sur laquelle le policier aurait suivi le défendeur est d'environ 18 km. Sans faire intervenir de façon directe la notion de connaissance d'office, mais en nous appuyant sur une expérience de près de 28 ans à divers titres dans ce genre de dossier, nous constatons que c'est la première fois que nous prenons connaissance d'une poursuite effectuée sur une distance aussi grande. On ne peut croire que le policier ait pu suivre le défendeur sur une telle distance sans être animé d'un sentiment d'animosité, voire de vengeance à l'égard d'un citoyen qui a signalé son comportement erratique. En outre, certains passages du témoignage du policier sont exagérés et sujets à caution. En fait, la version du policier laisse planer un doute sur des éléments importants des infractions et elle ne peut être retenue. Même si le défendeur avoue avoir dépassé la limite de vitesse permise pour rattraper le véhicule banalisé avant de dénoncer le policier, cet événement est antérieur à celui visé dans le constat d'infraction. Le défendeur est alors acquitté de l'infraction de vitesse excessive. Quant à l'infraction d'avoir franchi une ligne de démarcation continue, la preuve ne nous convainc pas hors de tout doute raisonnable que le policier était en mesure de la constater avec précision, eu égard à la configuration de la route. Le défendeur est donc aussi acquitté de cette infraction.
Même si le défendeur a été acquitté des deux infractions, on ne peut pas nécessairement en inférer que les poursuites sont manifestement mal fondées. Il faudrait pour cela que ces dernières s'appuient sur des faits complètement erronés ou inventés et qu'elles n'aient aucune chance de succès. C'est un pas que nous ne pouvons franchir en l'espèce. Il n'y a pas absence totale de preuve. Il y a plutôt matière à un doute raisonnable. Après un examen des faits à l'origine des constats d'infraction, le DPCP pouvait légitimement arriver à la conclusion qu'il y avait matière à poursuites.
La notion d'abus est différente. Il faut l'examiner à la lumière de l'ensemble des procédures et du déroulement du débat, et non pas seulement par le biais de la pertinence des poursuites. Les enseignements des tribunaux sont rares en la matière. Cependant, dans un arrêt de 2013, la Cour d'appel nous donne, de façon un peu indirecte quand même, des exemples de comportements abusifs ainsi que les éléments qu'il faut analyser en semblable matière.
Dans la présente affaire, les motivations du policier laissent planer un doute sur leur légitimité. La façon dont ce dernier a collecté les informations à l'origine des constats d'infraction est critiquable, voire équivoque. Difficile aussi d'expliquer les raisons pour lesquelles le policier aurait laissé tomber les autres infractions que le défendeur et d'autres conducteurs auraient commises au cours de la poursuite. Enfin, les qualificatifs insultants employés par le répartiteur de la Sûreté du Québec à l'égard du défendeur sont indignes d'une personne au service du public et auraient dû être condamnés par l'administration.
La conduite des deux procureurs du DPCP pose aussi problème. En deux occasions, le premier procureur à occuper dans le dossier n'a pas respecté les règles du franc-jeu et le devoir de réserve qui conviennent à son importante fonction. La première fois, en profitant de l'ignorance du défendeur en matière de règles de droit pour divulguer les éléments essentiels de la défense à son témoin policier. Certes, un procureur a le devoir de bien préparer son témoin, mais le représentant du DPCP se doit de garder une certaine distance en raison de son importante charge. Comme officier public, celui-ci doit intervenir de manière à permettre au défendeur de comprendre correctement le processus judiciaire et il doit veiller au respect du droit du défendeur à une défense pleine et entière. Il est évident ici que le témoignage du policier a été préparé pour contrer la stratégie du défendeur. La deuxième fois, le matin de la deuxième journée du procès, dans le stationnement du palais de justice, en confiant à une collègue que le défendeur était un « hostie de fou » alors que celui-ci était tout près et en mesure de l'entendre.
Le second procureur ayant occupé dans ce dossier a manqué lui aussi à ses devoirs de franc-jeu et de réserve en quelques occasions. Premièrement, en tendant un piège au défendeur au début de son contre-interrogatoire, en produisant un relevé du plumitif démontrant qu'il avait été déclaré coupable d'un excès de vitesse en 2005. En choisissant d'interroger le défendeur sur une infraction vieille de dix ans, le procureur aurait dû dresser un portrait global du dossier de conduite du défendeur. Deuxièmement, en demandant au défendeur si sa prudence venait du fait qu'il avait auparavant été policier alors que celui-ci n'en avait jamais parlé et voulait taire cette expérience de travail antérieure. Manifestement, on a fouillé dans le passé du défendeur dans le but de le faire mal paraître en sous-entendant qu'il entretiendrait de mauvais rapports avec la police. Troisièmement, il a été mis en preuve que pas moins de dix interrogations du dossier de conduite du défendeur aux registres de la SAAQ ont été faites entre le 17 janvier 2013 et le 27 juillet 2015. Certes, le DPCP peut demander des renseignements à la SAAQ concernant le dossier de conduite d'un citoyen. On peut imaginer des hypothèses où de telles demandes pourraient être légalement faites, mais les dix qui font l'objet d'un examen dans ce dossier ne remplissent pas toutes les conditions prévues par la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Mises en perspective avec les autres éléments précédemment traités, nous pouvons inférer que ces demandes avaient pour but de prendre éventuellement en défaut le défendeur et d'attaquer sa crédibilité en jetant une ombre sur son dossier de conduite.
De façon prépondérante, la preuve révèle que le policier et le DPCP ont abusé de leurs droits dans le traitement des poursuites. Nous sommes donc en présence de deux poursuites abusives et les conséquences prévues par l'article 223 du Code de procédure pénale s'appliquent. Par conséquent, il est ordonné au DPCP de payer au défendeur les frais fixés par règlement.
Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.
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