Quatre requêtes ont été déposées auprès de la Cour afin d'obtenir, notamment, la levée totale ou partielle d’ordonnances de confidentialité prononcées dans le dossier d'un indicateur qui a été déclaré coupable d'un crime après avoir subi un procès dans le secret le plus complet.
La Cour suprême du Canada a souvent décrit, en termes forts, le privilège de l'indicateur et la règle interdisant la divulgation des renseignements susceptibles de permettre l'identification de celui-ci. Ce privilège est qualifié d'« absolu » ou de « quasi absolu », sous réserve d'une seule exception lorsque l'accusé (s'il n'est pas lui-même l'indicateur, il va sans dire) a besoin des renseignements protégés pour établir son innocence (et, même là, les conditions que doit remplir l'accusé qui prétend à cette exception sont exigeantes). Ce privilège et le secret qu'il implique revêtent une importance capitale dans notre système de justice pénale. Il ne s'agit pas d'un privilège discrétionnaire qui peut être levé ou atténué en raison d'intérêts concurrents : le secret qui en découle doit obligatoirement être assuré. Le privilège de l'indicateur est un privilège dit « générique » qui s'applique chaque fois que la présence d'un indicateur confidentiel est établie. Autrement dit, le débat entre, d'une part, la nécessité de protéger l'indicateur par le secret absolu de ce qui est susceptible de l'identifier et, d'autre part, les droits qui favorisent la divulgation de l'information est déjà clos : cette pondération a eu lieu lorsque la Cour suprême du Canada discutait de l'opportunité de reconnaître un tel privilège, sachant qu'il dérogerait à d'autres droits. Tout cela signifie aussi que seul un groupe restreint de personnes a accès aux informations relatives à l'indicateur, à savoir l'indicateur lui-même, la police, le ministère public et le tribunal. Ce « cercle du privilège » exclut toute autre personne, sauf dans le cas de l'exception de l'innocence. Il faut bien le comprendre : ce cercle n'inclut pas même l'accusé et les avocats qui le représentent, à moins, bien sûr, que celui-ci soit l'indicateur ou que son innocence soit en jeu. C'est donc dire que le droit à une défense pleine et entière, qui constitue pourtant l'un des piliers de notre système de justice criminelle et qui est garanti par l'art. 7 de la Charte canadienne, ne l'emporte pas sur le privilège de l'indicateur, lequel résiste également à l'obligation de divulgation de la preuve imposée au ministère public. Bref, le privilège de l'indicateur, privilège générique et d'intérêt public, est absolu et prépondérant, son application devant être obligatoirement assurée par les tribunaux, qui n'ont aucune discrétion en la matière et qui doivent obligatoirement, tout comme la police et le ministère public, protéger l'identité de l'indicateur et ne révéler aucune information, même la plus infime, susceptible de permettre son identification.
De quoi parle-t-on lorsqu'on affirme que, pour assurer la mise en œuvre du privilège de l'indicateur, les tribunaux (comme d'ailleurs la police et le ministère public) doivent garder secrets les renseignements susceptibles de permettre la découverte de l'identité de l'indicateur ? On aura d'abord remarqué que ce ne sont pas seulement les renseignements permettant l'identification de l'indicateur qui doivent être gardés secrets, mais bien les renseignements susceptibles de permettre cette identification. La différence sémantique est importante. La réponse à la question de savoir ce qui doit être gardé secret dépendra des circonstances et ne peut être décidée qu'au cas par cas. Le privilège de l'indicateur a une large portée et s'applique « à tout détail susceptible d'en révéler l'identité ». La perspective qui préside à l'examen de cette question est celle des complices de l'indicateur, du milieu criminel dans lequel celui-ci évolue et des accusés que les renseignements auront permis d'inculper, et non pas l'honnête perspective de la personne raisonnable. On le sait, l'une des raisons d'être du secret lié au privilège de l'indicateur est de soustraire ce dernier à la vindicte de ceux qu'il a dénoncés. En effet, la délation est mal vue en ces milieux et le risque de représailles est bien réel. Par conséquent, ne doivent pas être divulgués les renseignements qui permettraient à cette « clientèle » particulière d'identifier l'indicateur. Lorsqu'il est impossible de déterminer avec assurance qu'une information n'est pas susceptible de permettre l'identification d'un indicateur, elle ne peut pas être divulguée. Cette circonspection s'étend à toutes les informations qui entourent l'indicateur ou son implication dans un dossier judiciaire et qui peuvent en révéler implicitement ou indirectement l'identité, ou permettre de l'établir. L'injonction est péremptoire : tous les renseignements susceptibles de servir à identifier l'indicateur sont protégés et aucun d'entre eux ne peut être dévoilé. Quant aux façons de protéger les informations que détient le tribunal, elles aussi varient selon les circonstances. En outre, la nature de la participation de l'indicateur à l'instance est certainement un élément à considérer.
On ne peut nier que le privilège de l'indicateur de police (fondé sur le secret) et le principe de la publicité des débats judiciaires (qui suppose l'accès du public et des médias à l'enceinte et aux dossiers judiciaires) entrent en conflit. Les tensions entre le privilège de l'indicateur et le principe de la publicité des débats judiciaires ont cependant été résolues en faveur du premier. Cette primauté est de nature générique et ne résulte pas d'une approche au cas par cas à laquelle on appliquerait le test Dagenais/Mentuck qui a été légèrement reformulé dans le récent arrêt Sherman. En effet, ce test s'applique au prononcé de toute ordonnance de confidentialité discrétionnaire. Il ne s'applique donc pas à la protection non discrétionnaire du privilège relatif à l'indicateur. Cela dit, cela n'exclut pas toute considération du principe de la publicité des débats judiciaires dans le régime du privilège de l'indicateur. Le tribunal doit, dans toute la mesure du possible, réserver ses ordonnances de confidentialité aux renseignements réellement susceptibles de révéler l'identité de l'indicateur; tous les autres renseignements sur l'instance demeurent des renseignements pouvant être publiés en application du principe de la publicité des débats judiciaires. En d'autres mots, le tribunal ne doit soustraire à la vue du public et des médias que ce qui est susceptible de permettre l'identification de l'indicateur. Rien de plus.
La démarche applicable se divise en deux temps : 1) le tribunal statue d'abord sur la revendication du privilège de l'indicateur, c'est-à-dire sur son existence ; 2) s'il conclut à l'existence du privilège, il détermine ensuite la façon de le protéger de manière efficace (c'est-à-dire de protéger l'identité de l'indicateur, ce dont le tribunal a l'obligation absolue et non facultative), tout en s'assurant de ne pas aggraver inutilement l'atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires. La première étape se déroule à huis clos, en la seule présence du ministère public et de la personne qui revendique le privilège, auquel pourrait, exceptionnellement, s'ajouter un amicus curiae. À cette première étape, même la revendication du privilège de l'indicateur ne doit pas être révélée. La deuxième étape, elle, recèle une forte composante discrétionnaire. Le tribunal peut prévenir les médias et leur permettre de faire des observations sur la manière de protéger le privilège de l'indicateur. À cette fin, le tribunal peut communiquer aux médias des renseignements qui leur permettront de faire des observations utiles, sans toutefois porter atteinte au privilège. Et les médias peuvent faire des observations utiles même s'ils n'ont pas en main les renseignements gardés confidentiels. Dans la présente affaire, par exemple, les médias ont en main toute une série de renseignements cruciaux à l'affaire en plus de connaître la nature générale des renseignements caviardés. Tout cela leur permet de formuler des arguments juridiques utiles.
Ce tour d'horizon étant fait, il convient maintenant de statuer sur les requêtes présentées, à la lumière de ces règles ainsi que de celles qui régissent la révision des ordonnances de confidentialité.
Pour demander légitimement la révision d'une ordonnance de confidentialité, il faut : 1) être une personne touchée par celle-ci ; 2) ne pas avoir été avisée du prononcé à venir de l'ordonnance et ne pas avoir eu l'occasion de se faire entendre ; 3) avoir qualité pour agir, c'est-à-dire être en mesure de présenter des arguments utiles ; et 4) avoir procédé avec célérité une fois l'ordonnance connue. Par ailleurs, lorsque l'ordonnance contestée a été rendue sans avis aux médias, un représentant de ces derniers devrait généralement avoir qualité pour agir s'il est à même de démontrer qu'il présentera des observations qui n'ont pas été considérées au moment du prononcé de l'ordonnance et qui peuvent influer sur le résultat, ou encore s'il peut démontrer un changement important des circonstances relatives au prononcé de l'ordonnance. En l'espèce, toutes les parties requérantes ont agi avec célérité, dès qu'elles ont appris l'existence des ordonnances contestées, et aucune d'entre elles n'a été préalablement informée de leur prononcé. En ce qui concerne les ordonnances prononcées par la Cour (le caviardage de l'arrêt rendu et la mise sous scellés du dossier d'appel), on peut également reconnaître la qualité pour agir aux médias, en tant que personnes touchées. Les médias démontrent également l'utilité de leurs observations. Par ailleurs, la qualité pour agir du procureur général du Québec (PGQ) doit aussi être reconnue, ne serait-ce qu'en raison de l'art. 79 al. 2 C.p.c. Par contre, en raison de l'issue que connaîtra sa requête, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la qualité pour agir de la juge en chef de la Cour du Québec.
Comme il s'agit d'une demande de révision (ou de réexamen d'ordonnances déjà prononcées), et compte tenu de la méthode établie par l'arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba, c'est aux parties requérantes qu'il incombe de démontrer qu'il y a ici matière à annuler ou modifier les ordonnances contestées, lesquelles sont présumées être valides. La question n'est pas de savoir si ces ordonnances sont erronées, mais s'il convient de les réexaminer parce qu'elles ont été rendues sans le concours des personnes touchées ou parce que s'est produit un changement de circonstances.
À la lumière des observations présentées par les parties, il n'y aura pas lieu d'annuler ou de modifier les ordonnances prononcées par la Cour. L'existence du privilège de l'indicateur est indiscutable. Il ne saurait donc être question de divulguer quelque renseignement susceptible de permettre l'identification de l'indicateur, au risque de mettre celui-ci en danger. Il ne saurait non plus être question de dévoiler des renseignements qui permettraient aux personnes que l'indicateur a dénoncées, à leurs complices et acolytes ou à d'autres acteurs du milieu dans lequel il évoluait ou évolue encore de l'identifier. Cela est une opération délicate, car certaines informations sans doute anodines aux yeux du public permettraient à ces autres personnes de faire des rapprochements susceptibles de les mener droit à l'indicateur. C'est précisément le cas, en l'espèce : la nature, les dates et les circonstances des infractions dont l'indicateur a été accusé sont de nature à permettre ces rapprochements et ne sauraient être dévoilées. Qu'en est-il de l'identité du juge et du tribunal de première instance (incluant la désignation du district judiciaire), de la poursuivante et de ses avocats, des avocats de l'indicateur et du corps de police en cause ? Ces renseignements sont en principe publics. Ils ont pourtant été caviardés par la Cour dans la version publique de son arrêt et sont tenus secrets. Ce secret a choqué. On peut même dire que le flot de critiques et de réactions qu'il a généré atteint le degré de notoriété qui le place dans le champ de la connaissance d'office. Mais aussi inhabituel que soit le secret entourant ces renseignements, la Cour ne peut les divulguer sans enfreindre le privilège de l'indicateur, car, ensemble ou séparément, ils sont susceptibles de servir à identifier celui-ci.
Lorsqu'on jette un regard rétrospectif sur l'ensemble de la situation, il appert que tout découle de la décision de poursuivre l'indicateur. La collaboration avec les indicateurs de police a ses revers, dont celui qu'on ne peut pas toujours les poursuivre pour leurs crimes. Mais c'est là le prix d'une relation jugée essentielle à la justice criminelle, malgré les compromis qu'elle engendre nécessairement. Cela ne pouvait être ignoré. Cela dit, la Cour ne suggère aucunement que les personnes impliquées dans cette affaire ont agi par mauvaise foi, par négligence et encore moins par dédain du principe de la publicité des débats judiciaires. Ces personnes ont agi avec la plus grande honnêteté. Même si des erreurs ont pu être commises, la mise en œuvre de l'impératif de confidentialité rattaché au privilège de l'indicateur ne constitue pas la démonstration d'une volonté indue de cacher des choses au public. Si ces choses ont été cachées, c'est parce qu'il fallait protéger le privilège de l'indicateur. Et soyons clairs. Il faut réfuter la supposition gratuite voulant que le juge de première instance ait demandé de taire son identité. Ce n'est pas le cas. Le juge n'a jamais demandé à la Cour que son identité soit gardée secrète. Et s'il n'a pas tenu d'audience publique sur la requête en arrêt des procédures présentée par l'indicateur ni rendu public le jugement par lequel il a rejeté cette requête, ce n'était pas pour se cacher, mais bien pour protéger l'identité de l'indicateur. Il en avait l'obligation absolue. Son intégrité et sa probité ne sauraient être remises en cause.
Subsidiairement, dans l'exercice du pouvoir de révision qu'on lui demande maintenant d'exercer, la Cour pourrait-elle desceller partiellement son dossier, comme l'ont suggéré certains médias et le PGQ, et ce, de manière à ce que le dossier puisse être consulté par le public moyennant un caviardage qui correspondrait à celui de la version publique de l'arrêt rendu ? Autrement dit, on descellerait le dossier d'appel d'une manière qui serait en quelque sorte le miroir de l'arrêt caviardé et l'on conserverait le secret des mêmes renseignements, le reste devenant accessible. Cette suggestion ne peut être retenue. Ce descellement partiel requerrait un œil particulièrement prudent et aiguisé, pour ne pas laisser échapper des détails potentiellement révélateurs. L'exercice paraît impraticable devant l'obligation de préserver le privilège de l'indicateur. La Cour n'a d'autre choix que de maintenir ses ordonnances de confidentialité.
Les médias demandent aussi l'annulation des ordonnances de confidentialité prononcées par le juge de première instance. La Cour n'a pas compétence pour ce faire. La situation aurait peut-être pu être différente si la Cour avait été saisie de l'appel de ces ordonnances et qu'elle les avait confirmées. Mais ce n'est pas le cas. Seule la question de l'arrêt des procédures a été portée en appel et non le processus mis en place en première instance pour assurer le respect du privilège de l'indicateur. La Cour est évidemment consciente du fait que, ne pouvant révéler l'identité du tribunal de première instance, elle met les médias dans une situation qui les empêchera de facto de demander la révision des ordonnances prononcées par ce tribunal. Cela ne saurait pour autant donner à la Cour une compétence qu'elle n'a pas.
Reste la requête de la juge en chef de la Cour du Québec. Celle-ci ne demande pas la levée des ordonnances, mais un accès au dossier d’appel. L'avocat qui la représente n'a cependant pas réussi à justifier son intérêt juridique ni à expliquer pourquoi la Cour devrait lui conférer ou lui reconnaître un tel droit d'accès. On ne voit pas pourquoi, dans un contexte comme celui de l'espèce, la juge en chef d'un tribunal devrait avoir accès aux dossiers scellés d'un autre tribunal. La requête est donc rejetée.